Le slogan « Mort aux juifs », entendu dans plusieurs manifestations pro-palestiniennes, résonne pour l’écrivain Abel Quentin comme un mot d’ordre à la fois précis et intemporel. Il serait vain de le « replacer » dans un contexte géopolitique, car par sa nature même, ce « slogan » exprime un impératif universel. Il promet la mort à tous les juifs, en tant que juifs. Juifs d’Israël ou d’ailleurs, adultes et enfants, de droite ou de gauche, soutiens ou opposants à la politique de Netanyahou. Hier, aujourd’hui et demain.
« Mort aux juifs ! », scandé comme un slogan, dans une manifestation. Mon éditrice a assisté à la scène, le 12 octobre 2023, lors du rassemblement en soutien à la Palestine, à République : elle était attablée à une terrasse de la rue du Faubourg-du-Temple, lorsqu’elle a vu une vingtaine de jeune femmes, hilares, hurler ces mots, à plusieurs reprises. D’autres l’ont entendu. Aucune plainte n’a été déposée : à quoi bon ? Les Français juifs vivent avec l’antisémitisme. Cet appel au meurtre, en pleine rue, n’est qu’une abjection de plus. Celles qui l’ont proféré seront rentrées chez elles, sans être inquiétées. Grisées de hurler leur haine à pleins poumons, sous les pancartes et les drapeaux. Jubilant. Décomplexées.
Et, d’ailleurs, pourquoi se gêneraient-elles ?
En avril dernier, le même slogan était scandé à Berlin, dans un rassemblement pro-palestinien, devant les caméras cette fois-ci. Depuis les massacres du 7 octobre, des slogans similaires ont été entendus dans toutes les capitales occidentales, avec des variantes (Par exemple,« Gazons les Juifs », à Sydney).
Pourquoi se gêner, vraiment ?
Ces supportrices françaises du Hamas tombent le masque, et on ne voit pas pourquoi elles s’embarrasseraient de précautions oratoires, dans un pays où l’antisémitisme gagne du terrain comme jamais. Où des hommes et des femmes politiques français qualifient de « résistants » les tueurs qui ont assassiné des bébés devant leur parents, au cri de « Allah Akbar », en se filmant avec des caméras GoPpro. Où la haine raciste et antisémite devient, pour tant de personnes autorisées, une « colère » qu’il faudrait « recontextualiser ».
Je crois, précisément, qu’elle ne doit pas l’être.Que l’immense ressentiment palestinien contre la politique coloniale d’Israël puise ses racines dans une situation ancienne est une évidence. Que cette politique viole le droit international, aussi. Mais le slogan « Mort aux juifs » traduit autre chose : mot d’ordre simple, à la fois précis et intemporel. Il est vain de le « replacer » dans un contexte géopolitique. Par sa nature même, ce « slogan » exprime un impératif universel. Il promet la mort à tous les juifs, en tant que juifs. Juifs d’Israël ou d’ailleurs, adultes et enfants, de droite ou de gauche, soutiens ou opposants à la politique de Netanyahou. Hier, aujourd’hui et demain. Soyons clairs : pour ces jeunes femmes qui le scandent, « hilares », sur le trottoir parisien, le 12 octobre dernier, il n’est pas tellement question de protester contre l’implantation de colonies illégales dans les territoires occupés, le déluge de feu de la riposte israélienne, les milliers de morts gazaouis. Il est question d’exterminer les juifs.
La logique est celle, millénaire, du pogrom. La volonté d’extermination des juifs est devenue un objectif autonome, qui supplante les objectifs de guerre. Cette autonomisation du projet génocidaire était déjà une des caractéristiques du régime hitlérien : preuve en est, le IIIème Reich en a accéléré l’exécution dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, quand celle-ci était, à l’évidence, perdue. Quelque chose de cet ordre s’est joué le 7 octobre, dans les kibboutz de Beeri, de Réïm et de Kfar Aza. Aucune cible militaire ou seulement stratégique n’était poursuivie par ces assassins. Les massacres qui y ont été perpétrés empruntent le mode opératoire, mais aussi la dimension apocalyptique du terrorisme daeshien. Les tueurs capturés par le Tsahal l’ont dit eux-mêmes, calmement, dans leurs auditions filmées : « Le Hamas nous a ordonné d’écraser ou couper les têtes, et de couper les jambes. »
En France, les juifs ont peur et on serait bien en peine de les rassurer.
Nous sommes tous menacés par le terrorisme islamiste : en 2016, le chauffeur de Nice a tué indifféremment athés, chrétiens, juifs et musulmans. Mais il est une seule communauté qui demande à ses enfants de cacher leur religion, lorsqu’ils sont inscrits à l’école publique. Dont les lieux de culte et les écoles doivent être protégés par des militaires. Une seule, dont les membres décrochent la mezouza, de peur que leur porte soit incendiée, renoncent à porter la kippa après 18 heures dans certains quartiers. Changent l’orthographe de leur patronyme sur leurs boîtes aux lettres, ou leur compte Uber. Se posent la question de l’exil. Se sentent menacée au quotidien : pas seulement par le terrorisme islamiste, mais par un « djihadisme d’atmosphère » beaucoup plus diffus. Pour les protéger, la République parait bien faible : vieille dame gênée aux entournures, que la peur et la mauvaise conscience post-coloniale empêchent de dire les choses franchement.
« Heureux comme un juif en France », disait le dicton, quand notre pays était le premier à donner aux juifs la pleine citoyenneté et que l’on rêvait, dans les shtetls d’Europe centrale et orientale, de Paris. Depuis il y a eu les briques dans les vitrines pendant l’affaire Dreyfus, Blum laissé pour mort par les Camelots du roi, le Vel d’Hiv’, la rue Copernic, l’affaire Merah. Et, à présent les éructations de tik-tokeuses haineuses, à trois pas de la statue de Marianne (qu’elles doivent tenir, on s’en doute, pour quelque « te-pu », méprisable parce que dépoitraillée). Une chose est sûre : le jour où nos compatriotes juifs quitteront un pays qui ne parvient plus à les protéger, alors la France sera amputée d’une partie de son âme.
Par Abel Quentin , écrivain