Les actes antisémites se sont multipliés en France depuis l’attentat du Hamas et la riposte israélienne sur Gaza. Pour les représentants de la communauté, l’heure est à la vigilance et à la protection.
Le chauffeur Uber s’arrête soudainement et demande à Samuel Lejoyeux de descendre de la voiture. «J’annule la course», lui dit-il sans ménagement, ni même lui donner d’explication. Depuis une quinzaine de minutes, le jeune président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) est en conversation avec Libération, qui l’interroge sur le climat qui règne dans les milieux juifs français depuis l’attaque terroriste du 7 octobre, menée par le Hamas. «C’est la première fois que cela m’arrive.» Samuel Lejoyeux est abasourdi. Nous aussi. «J’ai bien pris le numéro de sa place d’immatriculation. Mais c’est typiquement le genre d’acte qui est difficile à qualifier juridiquement. Ce que je viens de vivre là, les étudiants juifs le vivent quotidiennement.»
Cette censure des expressions de solidarité envers Israël et les juifs de France engendre une angoisse quotidienne.
En cette période, cette forme d’antisémitisme est banalisée.
Je porte donc plainte pour discrimination et j’attends de @UberFR que le chauffeur soit renvoyé.
— Samuel Lejoyeux (@SLejoyeux) October 19, 2023
D’après Samuel Lejoyeux, «un climat de suspicion» s’est installé depuis une dizaine de jours à l’université à l’égard des étudiants de confession juive. Dans les couloirs des facultés, dans les boucles WhatsApp qui rassemblent, par exemple, les étudiants d’une même promo, cela va de remarques déplaisantes jusqu’à l’insulte. «L’une des pires choses à laquelle nous avons été confrontés, c’était une boucle qui a été ouverte à ce moment-là et qui s’appelait “Défouloir”, ce qui veut tout dire. Des étudiants identifiés comme juifs y étaient inscrits sans qu’on leur demande leur avis ! Nous l’avons fait fermer», raconte le président de l’UEJF.
«Choc terrifiant»
Pour Yonathan Arfi, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), «il y a un bouillonnement à chaque point de rencontre de la société, à l’école, dans la rue». En une dizaine de jours, depuis l’attaque terroriste du 7 octobre, ce sont quelque 300 actes antisémites qui ont été recensés. Par comparaison, il y en avait eu 436 pour l’ensemble de l’année 2022. «Il y a une forme d’assignation systématique des juifs français à la situation au Proche-Orient, soutient Yonathan Arfi. L’identification dévoyée à la cause palestinienne entraîne des actes antisémites.»
«La communauté juive est entre tension et appréhension, estime, de son côté, le grand rabbin de Lyon, Daniel Dahan. La situation, c’est clair, est inflammable. Avec les autres responsables religieux de la ville, nous tentons d’apaiser le climat.» Lui-même a renoncé, selon les instructions des instances communautaires, à prendre les transports en commun. «Je suis très visible, je mesure 1,95m et je porte un chapeau», lâche-t-il, maniant un humour ironique et grinçant.
Dans les premières heures qui ont suivi les massacres du 7 octobre, chaque famille juive française a pris des nouvelles de proches ou d’amis qui vivent en Israël. Puis un climat d’anxiété s’est vite installé. «Ce qui s’est passé le 7 octobre a été un choc terrifiant», appuie Samuel Lejoyeux. Pour faire face, l’UEJF a mis en place des groupes de parole, des écoutes téléphoniques. «C’est un sentiment d’insécurité qui prédomine, souligne Yonathan Arfi. Les juifs français ont été rattrapés par une situation que l’on pensait révolue. L’attaque subie par Israël nous a renvoyés aux violences infligées au peuple juif dans le passé.»
«Ligne de crête»
Beaucoup redoutent de plus en plus les semaines à venir. «La haine se déchaîne déjà alors que l’essentiel de la riposte israélienne n’a pas commencé», s’inquiète Samuel Lejoyeux. L’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas risque, selon les responsables communautaires, d’entraîner une radicalisation et une importation violente du conflit dans l’Hexagone.
«Nous sommes sur une ligne de crête, estime, de son côté Elie Korchia, le président du Consistoire central. Nous devons être vigilants et adopter toutes les mesures de protection possibles. Pour cela, nous sommes en contact avec le ministère de l’Intérieur. En même temps, nous ne devons pas sombrer dans la psychose que les mouvements terroristes veulent créer.»
par Bernadette Sauvaget