La communauté juive de France vit au rythme de la guerre en Israël. Les établissements confessionnels qui ont renforcé leurs mesures de sécurité s’emploient à aider les enfants à vivre avec les événements.
L’Ecole juive moderne (EJM) est, avec le groupe scolaire Alliance Rachi et Les Institutions Sinaï, l’une des trois écoles juives du 17e arrondissement de Paris, où, avec quarante-cinq mille personnes, réside la plus importante communauté de juifs en France. Au rez-de-chaussée d’un immeuble, il est impossible de remarquer cet établissement si l’on en ignore l’existence. Pas de plaque ostensible, aucun signe. Rien qui ne permette de savoir qu’ici, de la maternelle à la 6e, se retrouvent tous les matins deux cent trente élèves. Une discrétion justifiée pour des raisons de sécurité, depuis le meurtre de trois enfants dans l’attentat le 19 mars 2012 au collège-lycée juif Ozar Hatorah, à Toulouse, du terroriste islamiste Mohammed Merah. Des écoliers ont été assassinés parce que juifs.
L’Ecole juive moderne a été fondée par les Massorti, un mouvement cherchant à adapter le judaïsme aux contraintes de la vie moderne, dans l’esprit de l’association cultuelle Judaïsme en mouvement, dont l’un des animateurs est la rabbine Delphine Horvilleur. Comme le souligne sa directrice, Josée Vaisbrot, dans cet établissement sous contrat avec l’Etat, en conformité avec l’éducation nationale, l’accent est placé sur le « pluralisme ». Ici se côtoient sur le même banc des enfants issus d’un mariage mixte, dont l’un des parents n’est pas juif, et d’autres qui grandissent dans un foyer orthodoxe, où le sabbat et les fêtes juives sont rigoureusement respectés.
A l’EJM, d’emblée, comme dans toutes les institutions juives en France, il y a un avant- et un après-7 octobre, et l’incursion des troupes du Hamas sur le territoire israélien et le massacre, à ce jour, d’au moins mille quatre cents personnes, très largement des civils, hommes, femmes, enfants, bébés et personnes âgées. De nombreux élèves de l’établissement ont une partie de leur famille en Israël et des parents branchés sur les chaînes d’information en continu. Sans compter qu’une partie du corps enseignant est israélienne. L’apprentissage de l’hébreu moderne est d’ailleurs un axe pédagogique important de l’institution.
« Gérer les émotions des adultes »
L’accueil des élèves, le lundi 9 octobre, au lendemain du drame, a donc pris un tour particulier. « La grande difficulté, explique Josée Vaisbrot, est de gérer les émotions des adultes. Quand ils déposent leurs enfants, les parents doivent être assurés qu’ils seront en sécurité. Il faut composer avec le climat anxiogène régnant dans certaines familles. Lundi 9 octobre, cinq d’entre elles voulaient retirer leurs enfants de l’école, je m’y suis opposée. » Les mesures de sécurité ont été renforcées comme à chaque moment de tension dans le conflit israélo-palestinien, depuis la deuxième Intifada, en 2000, pour prévenir tout acte antisémite. Les sorties des enfants à la piscine ou dans le parc avoisinant sont limitées ou supprimées, les forces de l’ordre sont présentes à l’entrée et à la sortie des classes.
Dès le lundi 9 octobre, une discussion autour des événements a été organisée dans chaque classe. Le principe consiste à laisser d’abord parler les enfants, à leur demander s’ils ont de la famille en Israël. Vient ensuite la question de la solidarité : chaque membre du peuple juif a, à son échelle, la responsabilité d’aider son prochain – c’est l’une des bases du programme éducatif de cette école. « J’ai des élèves qui ont bien évidemment parlé entre eux de cette tragédie, constate Elisa Azancot, professeur en moyenne section à l’EJM. J’ai accueilli leurs craintes en m’efforçant de les rassurer, tout en leur expliquant la situation avec des mots choisis. Certains disaient qu’on allait tuer tous les juifs, d’autres que nous allions tous être bombardés. Une petite fille me disait lundi qu’elle devait désormais dormir avec sa sœur, car celle-ci faisait des cauchemars. »
Inscrire les enfants dans la cité
Un psychologue sera présent dans l’établissement une journée par semaine à la disposition des familles et des enseignants. Deux professeurs ont actuellement un enfant mobilisé dans l’armée israélienne. Une maîtresse rapporte que des copains de son fils se trouvaient à la rave où deux cent soixante jeunes adultes ont été massacrés, ils ont perdu deux de leurs meilleurs amis. Un point d’écoute spécifique pour les enfants a été également mis en place avec un psychiatre, un dispositif médico-psychologique qui est installé après chaque événement traumatisant.
« Je demande aux enseignants s’ils observent des changements de comportement, note Josée Vaisbrot. Je perçois bien qu’il y a une agitation inhabituelle chez les enfants et les collégiens en lien avec la surexposition aux médias. » A l’EJM, le projet pédagogique est d’inscrire les enfants dans la cité. Ceux-ci partent régulièrement ramasser les déchets dans le quartier. Ils se déplacent dans des maisons de retraite. Ces derniers jours, des enfants de maternelle et des petites classes de primaire ont fait des dessins qui seront envoyés à de jeunes orphelins du 7 octobre.
Samuel Blumenfeld