Depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, plus d’une centaine d’interpellations ont eu lieu en France à la suite d’actes antisémites. Récits d’incidents, partout en France.
» A mort les juifs « , « sale juive » , « tuer les juifs est un devoir »… depuis une semaine, attisés par un contexte géopolitique hautement inflammable, les injures, tags et menaces antisémites se multiplient partout en France. Le dernier bilan révélé ce lundi par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, fait état de 102 interpellations « en lien avec des actes antisémites ou d’apologie du terrorisme » depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre. Parmi les interpellés, onze étrangers ont été placés en centre de rétention administrative ou envoyés en détention. Gérald Darmanin a par ailleurs demandé le « retrait systématique » de leurs titres de séjour.
Cette flambée d’antisémitisme se traduit par des injures dirigées contre la communauté juive aux quatre coins du pays. À Épernay (Marne), une jeune femme de 18 ans s’est arrêtée devant une maison sur laquelle était accroché un drapeau d’Israël. Pour avoir insulté l’habitante de « sale juive », elle sera jugée en février pour « injure publique en raison de la religion », confirme Ombeline Mahuzier, la procureure de Châlons-en-Champagne. Samedi 7 octobre 2023, à Paris, ce sont quatre personnes qui criaient en direction des fidèles à la sortie de la synagogue : « Sales juifs ! »
Outre les actes antisémites, les chiffres du ministère de l’Intérieur incluent l’apologie du terrorisme, faits pour lesquels un homme a été condamné en comparution immédiate à six mois de prison ferme à Nantes (Loire-Atlantique) et interdit du territoire français pendant trois ans. Le 7 octobre, cet homme âgé d’une vingtaine d’années a lancé : « Vive le Hamas. Je vais partir là-bas et revenir avec des kalachnikovs. » Selon le procureur de Nantes, Renaud Gaudeul, deux autres procédures ont été ouvertes pour apologie et provocation à la commission d’actes terroristes : l’une pour des propos tenus en ligne, l’autre pour des propos tenus par un détenu en prison.
Manifestations propalestiniennes
Dans ce contexte tendu, les membres de la communauté juive subissent aussi des menaces. Selon une source judiciaire, ce vendredi, dans le 10e arrondissement de Paris, un homme auteur d’un vol à l’étalage a déclaré : « Allah akbar, c’est ce soir qu’on va tous vous fumer […] le gaz dans le métro pour les juifs. » Une expertise psychiatrique a finalement conclu à son irresponsabilité pénale et il a été hospitalisé sous contrainte.
En Seine-Saint-Denis, département habituellement touché par les actes antisémites, aucun « déferlement » notable n’a été observé, constate Éric Mathais, le procureur de Bobigny. Ce lundi, moins de dix enquêtes sont en cours pour des faits antisémites. L’une d’elles a été ouverte pour des menaces sur un homme qui portait une kippa : « On va vous tuer. » Aucune interpellation n’a eu lieu pour l’heure.
Le 10 octobre, à l’hôpital Fondation-Rothschild dans le 19e arrondissement de Paris, un employé a uriné sur les murs en tenant des propos antisémites. Il a été jugé en comparution immédiate le 14 octobre pour apologie de terrorisme, dégradation en raison de la race, ethnie, nation ou religion, et menace de crime ou délit et condamné à 18 mois d’emprisonnement, dont 12 avec sursis, la partie ferme étant assortie d’un mandat de dépôt.
Scrutées en raison de leur propension à servir de déversoirs de haine, les manifestations propalestiniennes à Paris n’ont finalement donné lieu qu’à des interpellations pour outrage, rébellion, port d’arme ou organisation d’une manifestation non autorisée. Selon une source judiciaire, sur les deux manifestations du 13 et 14 octobre, 34 personnes ont été interpellées, dont 7 mineurs. Six procédures ont finalement été classées en raison de l’absence d’infraction et dix l’ont été car l’infraction était insuffisamment caractérisée. En parallèle, quatre enquêtes se poursuivent en préliminaire, quatre gardes à vue ont été prolongées, tandis qu’une personne a écopé d’un stage de citoyenneté et une autre a été déférée pour avoir frappé un policier au visage, ajoute une source judiciaire.
« Vive la Palestine, à mort les juifs, à mort Israël »
Depuis la semaine dernière, l’antisémitisme le plus visible se lit sous forme de tags ou d’inscriptions sur les murs. Ainsi, la phrase « Tuer les juifs est un devoir » a été écrite à la peinture violette sur l’un des murs extérieurs du stade Jean-Claude Mazet à Carcassonne (Aude). Au sud de Paris, dans le Val-de-Marne, ce week-end, d’autres tags injurieux ont été découverts. L’un sur les murs d’un gymnase, à Champigny-sur-Marne : « Gouvernement de youpins, lâches et PD », « À mort les juifs » accompagné d’une croix gammée. Et l’autre à Fresnes, devant un lycée : « White Power » et « Heil Hitler ».
Selon le procureur de Toulouse, Samuel Simon-Vuelta, plusieurs enquêtes ont été ouvertes pour des tags glorifiant le Hamas « contre l’État sioniste » dans le quartier réputé difficile du Mirail, où a aussi été accrochée une banderole de « soutien à l’offensive palestinienne ». D’après le Conseil représentatif des associations juives (Crif), à Paris, le 7 octobre, quatre personnes ont été placées en garde à vue après avoir brandi un drapeau palestinien sur le pont d’Iéna (Paris 7e) et crié « Vive la Palestine, à mort les juifs, à mort Israël ».
Antisémitisme décomplexé en ligne
L’antisémitisme le plus lâche s’est surtout signalé en ligne avec, selon le ministère de l’Intérieur, 2 839 incidents déclarés sur la plateforme Pharos, parmi lesquels 237 ont été transmis à la justice auprès du Pôle national de lutte contre la haine en ligne. « Les messages dont on a été saisis sont extrêmement violents », confie une source judiciaire. Morceaux choisis : le 14 octobre, des collégiens d’un établissement juif du 12e arrondissement de Paris reçoivent la menace suivante : « Je vais faire un attentat lundi. » Un homme a aussi été placé en garde à vue à Paris, après avoir tourné une vidéo affublé d’un masque d’Oussama Ben Laden et menacé : « Vous allez payer, je le jure », « Monsieur Hanouna [Cyril Hanouna, présentateur de télé, NDLR], fais très attention à ce que tu fais » et salué « l’attaque à Arras ».
Sur les messages traités par la justice, on recense, selon une source judiciaire, un « soutien explicite au Hamas » et aux « terroristes palestiniens », ainsi que la phrase suivante : « Faites tuer et violer chaque Israélien ils le méritent c’est des races inférieures de l’humanité. » Pour limiter la haine en ligne, la plateforme TikTok a annoncé avoir supprimé plus de 500 000 vidéos et fermé 8 000 diffusions en direct liées au conflit depuis le 7 octobre. À Brunoy, dans l’Essonne, un élève âgé de 13 ans a posté deux messages sur l’espace numérique de travail de son collège. Pour avoir réclamé la libération d’un polémiste antisémite et glorifié Hitler, il a été condamné par le parquet d’Évry-Courcouronnes à effectuer un stage de citoyenneté.
En raison de leur exposition médiatique, les personnalités publiques reçoivent des menaces ciblées au téléphone ou par message privé sur les réseaux sociaux. C’est le cas de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Après avoir déposé une première plainte, il y a quelques semaines, pour des courriers antisémites, elle est retournée au commissariat pour signaler une menace de « décapitation ».
Apologie du terrorisme
Un élu a aussi été épinglé pour ses propos révoltants. Mohamed Makni, adjoint au maire socialiste d’Échirolles (Isère), fait l’objet d’une enquête ouverte ce samedi par le parquet local pour « apologie du terrorisme », confirme Éric Vaillant, le procureur de Grenoble. Sur sa page Facebook, Mohamed Makni a notamment qualifié l’offensive du Hamas « d’acte de résistance évident ». Le même jour, le joueur du club de football de l’OGC Nice Youcef Atal a partagé sur son compte Instagram la vidéo d’un prédicateur palestinien appelant à « un jour noir pour les juifs ». Il est désormais visé par une enquête ouverte pour « apologie du terrorisme » par le parquet de Nice.
Publiquement, les autorités semblent vouloir se montrer inflexibles. En coulisses, sur le terrain, les policiers ont pour consigne de vérifier le moindre comportement suspect. « On a reçu un appel paniqué à la suite d’un rassemblement d’une quinzaine d’adolescents devant une synagogue, raconte un policier marseillais. En fait, à notre arrivée, on a compris qu’ils étaient juste en train de tourner un clip de rap… il y a une vraie psychose. »
189 actes antisémites en une semaine
Selon le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), qui travaille avec le ministère de l’Intérieur, un pic d’actes antisémites avait été observé en mai 2021. Il correspondait à l’opération « Gardien des murailles », lancée à l’époque par Israël contre le Hamas. Au cours de cette période, cinq actes antisémites par jour avaient été recensés en moyenne. Dans près d’un tiers de ces actes, le thème de la Palestine était évoqué. « Ces incidents mettent en lumière la persistance de l’antisémitisme et de la haine envers Israël et contre les juifs, en particulier dans un contexte de conflit international au Moyen-Orient », réagit le Crif auprès du Point.
En une semaine, la France a connu 189 actes antisémites. À titre de comparaison, en 2022, le ministère de l’Intérieur en recensait 436. Un chiffre qui ne reflète qu’une « partie » de la réalité, selon le SPCJ, puisqu’il ne repose que sur les actes ayant fait l’objet d’une plainte ou d’un signalement aux forces de l’ordre. L’an dernier, la majorité des actes antisémites (53 %) ont été des atteintes à des personnes, avec une part importante d’agressions physiques violentes (10 %). En une semaine, quasiment la moitié du chiffre de 2022 a été atteinte.