L’inquiétude gagne la communauté juive de cette ville du Val-d’Oise, quatre jours après que le Hamas a déclenché une offensive en Israël.
Des effluves de thé à la menthe s’échappent de la plus vieille boucherie casher de Sarcelles (Val-d’Oise), au cœur de la «petite Jérusalem», le quartier juif de la ville. À l’intérieur, Albert* installe les bacs alimentaires derrière les vitrines réfrigérées. Ce n’est qu’après avoir servi un peu de son breuvage parfumé que le propriétaire, la taille ceinte d’un tablier et la tête coiffée d’une kippa, s’accorde un temps de répit. «J’ai la gorge nouée, dit-il faiblement. Ce qu’il se passe en Israël est choquant.» Dans un coin de l’échoppe, un homme plus âgé termine sa prière, enveloppé dans un talit (un châle de prière bordé de franges), une torah dans les mains. Il s’avance : «L’être humain est devenu sanguinaire. Il n’y a plus que du mal.»
Il y a quatre jours, le Hamas, l’organisation terroriste palestinienne qui contrôle la bande de Gaza, a déclenché une offensive surprise en territoire israélien. Plus de 1200 morts et 2600 blessés sont dénombrés dans l’État hébreu, depuis le 7 octobre. Dans la bande de Gaza, 687 personnes ont été tuées dans les bombardements israéliens et plus de 3700 autres ont été blessées.
En France, les craintes de la communauté juive, inquiète des répercussions que cette guerre pourrait avoir, se confirment. Une cinquantaine d’actes antisémites ont été constatés dans l’Hexagone depuis le début du conflit, a affirmé ce lundi soir le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dans l’émission Quotidien.
«Aucune menace caractérisée n’est retenue», a-t-il tenu à affirmer. Dans la «petite Jérusalem», si pour l’instant «tout se passe bien», les habitants, pleins de résilience, retiennent leur souffle et craignent des actes violents contre leur communauté.
«Il y a une inquiétude légitime. Il faut être très vigilant car il y a déjà eu, ici, des répercussions du conflit israélo-palestinien par le passé. Mais à date, il n’y a pas de menace avérée dans notre ville», affirme au Figaro le maire (PS) Patrick Haddad.
«Nous avons tous peur»
Ce lundi 9 octobre dans la matinée, le boulevard Albert Camus est calme. Sur l’artère, où s’alignent des immeubles gris aux stores de bois marron, presque tous les hommes sont coiffés d’une kippa quand une casquette ne couvre pas leur crâne. Plus rares, certains portent des tsitsit, ces tresses nouées aux quatre coins des vêtements. Les femmes, elles, sont revêtues de longues jupes. La «petite Jérusalem» est née dans les années 1960 avec l’arrivée de juifs marocains, tunisiens et algériens. Selon Moïse Kahloun, président de la communauté juive de Sarcelles et représentant du Consistoire de Paris, entre 10.000 et 12.000 juifs, à 90% sépharades, y vivent aujourd’hui. La ville – 57.000 habitants – compte une vingtaine de lieux de culte et une trentaine de commerces communautaires.
Suied installe la terrasse du fast-food où il travaille. À Jérusalem et Ashdod – ville à mi-chemin entre Tel-Aviv et la bande de Gaza – des membres de sa famille vivent entre leurs appartements et les bunkers. D’autres sont au front. «Ils ont peur». Lui aussi : «Nous avons tous peur. On ne sait pas ce qui peut arriver. La cohabitation avec les autres communautés se passe bien, mais il faut se méfier». Cet homme très pratiquant s’inquiète notamment pour sa fille de quatre ans, scolarisée dans une école juive. «Une amie n’a pas mis ses enfants à l’école hier matin par peur des représailles. Les terroristes peuvent mettre une kippa, s’infiltrer dans une synagogue ou dans une école», alerte-t-il.
Les émeutes des 2014 hantent les esprits
Il faut monter le boulevard et tourner à droite pour arriver devant la grande synagogue qui côtoie les librairies hébraïques. En face, au café «Amigos», des patriarches et des femmes en conciliabules avec leur poussette passent le temps. Un couple de retraités assure que «pour l’instant tout va bien» mais s’inquiète des conséquences de la riposte israélienne qui pourraient encourager des représailles à l’égard de leur communauté.
Un point de vue partagé par la quasi-totalité des riverains. «Quand [les militaires] bombarderont Gaza…, dit l’homme, laissant sa phrase en suspend. La crainte, c’est que ça dérape. C’est déjà arrivé qu’ils s’en prennent à nous.» Qui ça «ils» ? «La racaille», dit un passant qui prend la conversation au vol. «Les Arabes antisémites», ajoute sèchement un autre. Un dernier tempère : «Les musulmans d’ici n’ont rien à voir avec les terroristes et les voyous du Hamas qui dépouillent et martyrisent son peuple. Notre devoir d’humain est d’ailleurs d’écouter les Palestiniens, d’être à leurs côtés.» Moïse Kahloun conclut : «Notre objectif est de ne pas importer le conflit, ni à Sarcelles, ni en France.»
«On veut plus de sécurité»
Beaucoup redoutent de revivre les émeutes de «2014». Le 20 juillet de cette année-ci, de graves heurts avaient éclaté pendant la dispersion d’une manifestation propalestinienne interdite organisée dans la ville. Une pharmacie et une épicerie casher avaient été incendiées. Quinze boutiques avaient été vandalisées. Tous ces commerces appartenaient à des juifs. «Depuis ces événements, nous avons connu une baisse assez significative de notre communauté qui a fait son Alyah (l’émigration en Israël, NDLR). Mais depuis cinq ans, des juifs, qui viennent notamment de Seine-Saint-Denis, s’installent chez nous», assure Moïse Kahloun.
«Ils redoutent que ça arrive à nouveau, assure Éva, coiffeuse de 19 ans. Tous nos clients nous le disent.» «On veut plus de sécurité, beaucoup plus que d’habitude», réclame Suied. Ce lundi après-midi, des renforts de la gendarmerie sont arrivés à Sarcelles.
Ce mercredi matin, Gérald Darmanin et le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal se rendent dans une école juive de la ville. Une manière d’afficher le soutien du gouvernement à la communauté juive et de réaffirmer la nécessité de la protéger.
* Le prénom a été modifié.