La branche armée du Hamas, groupe islamiste palestinien, a déclenché une attaque massive sur le territoire de l’État hébreu. Pour Stéphane Amar, journaliste, qui vit à Jérusalem, cette offensive a pour objectif de torpiller la normalisation des rapports entre Israël et les pays arabes.
LE FIGARO. – Comment qualifier l’attaque du Hamas sur Israël ? Pourquoi cette attaque a eu lieu maintenant ?
Stéphane AMAR. – On peut d’évidence la qualifier d’attaque terroriste puisqu’elle vise essentiellement des civils assassinés souvent à bout portant. Rien ne laissait présager une telle agression. La semaine dernière le Hamas avait même négocié indirectement avec Israël pour obtenir des permis de travail pour les travailleurs palestiniens de Gaza en échange d’un arrêt des manifestations à la frontière. Il s’agissait d’une ruse car cette attaque a forcément été préparée de longue date. Pourtant le conflit avec Israël allait en apparence vers l’apaisement. Aucun affrontement d’envergure n’avait eu lieu depuis 2014 et seuls les ultra radicaux du Djihad islamique lançaient de temps à autre des salves de roquettes relativement inoffensives car interceptées par le fameux dôme de fer. Le Hamas vient de déclarer une guerre totale à Israël. Il réalise là une opération d’une violence sans précédent dans l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Dans quelle mesure peut-on dire que cette attaque est sans précédent ?
En premier lieu le bilan humain s’annonce effroyable. On compte déjà plus de morts israéliens que dans l’ensemble des attentats terroristes commis par le Hamas ou d’autres groupes armés palestiniens durant ces vingt dernières années. Le mode opératoire est également inédit. Il révèle une impressionnante maîtrise tactique et une coordination parfaite. Il faut mesurer l’audace de ces militants islamistes qui affrontent avec des moyens somme toute limités une armée considérée comme l’une des meilleures au monde, sachant qu’ils vont vers une mort presque certaine. Pour les Israéliens, le traumatisme est immense. Jamais dans leurs pires cauchemars ils n’auraient imaginé un tel scénario. C’est un échec inouï pour l’état-major de Tsahal et un cinglant revers pour le Premier ministre Nétanyahou qui se prévaut d’être le garant de la sécurité des Israéliens. La riposte israélienne sera probablement elle aussi sans précédent.
Quel est le rôle de l’Iran ?
C’est difficile à dire pour le moment. Mais l’Iran – qui soutient le Hamas dans une singulière alliance entre islamistes chiites et sunnites – a tout intérêt à provoquer un embrasement dans la région. Car Israël et l’Arabie saoudite sont sur le point de signer un accord de normalisation. Antony Blinken était attendu dans la région vers la fin du mois pour finaliser la négociation. Or ce rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l’Islam, décrédibilise la lutte contre l’Etat juif au nom de la défense de la nation islamique. Si l’Arabie s’accommode d’un État juif au Proche-Orient avec Jérusalem comme capitale et le contrôle de l’Esplanade des mosquées, quelle légitimité possède le Hamas et a fortiori l’Iran pour prôner la destruction de l’ « entité sioniste »? À mon avis cette attaque vise avant tout à torpiller le processus de normalisation.
Au-delà d’Israël et de la Palestine, l’attaque surprise menée par les islamistes palestiniens du Hamas contre Israël aura-t-elle des conséquences régionales ? Peut-on craindre une extension du conflit ?
Les Israéliens s’inquiètent en premier lieu d’un soulèvement des Palestiniens de Cisjordanie voire des Palestiniens d’Israël comme ce fut le cas au printemps 2021. Sur le plan régional, la principale menace vient du sud Liban avec le Hezbollah financé par l’Iran. les Israéliens s’attendaient d’ailleurs davantage à une attaque de ce côté-là plutôt qu’à Gaza. Ces derniers mois le Hezbollah a multiplié les provocations et les déclarations belliqueuses à l’endroit d’Israël. Contrairement au Hamas, il dispose d’une totale liberté de mouvement et d’une force de frappe digne d’une véritable armée. Si ce mouvement entrait vraiment dans la danse, le conflit prendrait une tout autre dimension.
En lançant leur attaque les miliciens du Hamas on dit agir pour libérer al-Aqsa. La lutte pour Jérusalem reste donc centrale pour les Palestiniens ?
Absolument. Le conflit débute en 1929 autour de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem. Depuis, le thème de la défense d’Al Aqsa reste puissamment mobilisateur pour les Palestiniens. Or les nationalistes juifs dissimulent de moins en moins leur volonté de reconstruire le Temple de Jérusalem sur l’Esplanade des mosquées ou Mont du Temple. Lors des fêtes juives qui viennent de s’achever, un nouveau record a été battu : plus de 5000 Israéliens ont visité le Mont du Temple. La plupart sont des jeunes religieux nationalistes qui expriment ouvertement leurs intentions. Les dirigeants du Hamas ont bien conscience de cet activisme et veulent à tout prix briser la détermination des nationalistes juifs qui ont le vent en poupe électoralement et démographiquement. De mon point de vue, la question de la reconstruction du Temple de Jérusalem va devenir centrale dans le conflit israélo-palestinien.
Stéphane Amar est journaliste, il vit à Jérusalem depuis plus de 15 ans. Il a publié Le grand secret d’Israël, pourquoi il n’y aura pas d’État palestinien (éd. de l’Observatoire, 2018).