Après l’attaque éclair azerbaïdjanaise qui a permis la reconquête du Haut-Karabakh et entraîné la fuite éperdue de plus de 100 000 Arméniens craignant pour leur vie, l’alliance stratégique entre Bakou et Jérusalem est apparue plus déterminante que jamais.
C’est un soutien qui a tout pour surprendre. Tandis que les chancelleries européennes condamnent depuis le 19 septembre l’offensive-éclair qui a permis à l’Azerbaïdjan de prendre le contrôle de la région séparatiste du Haut-Karabakh à majorité arménienne, Hikmet Hajiyev, le conseiller principal du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, s’est félicité publiquement le 20 septembre du « soutien stratégique » apporté à son pays par Israël. Tout pousserait, instinctivement, à croire l’Etat hébreu dans le camp arménien, un peuple lui aussi victime d’un génocide (1915-1923) et aujourd’hui visé par une attaque émanant d’une nation chiite. Pourtant, depuis de longues années, Jérusalem a choisi Bakou contre Erevan. Plus que de véritables liens d’amitié, les deux Etats construisent davantage une alliance stratégique, pragmatique. Mais celle-ci vient de permettre à Bakou de remporter une victoire foudroyante qui a jeté sur les routes plus de 100 000 Arméniens de l’enclave qui redoutent de voir se reproduire le nettoyage ethnique du siècle dernier.
Des liens anciens
« L’Azerbaïdjan est un pays musulman à majorité chiite, pourtant il y a de l’amour et de l’affection entre nos nations », n’a pas hésité à affirmer le président israélien Itzhak Herzog à l’issue d’une rencontre avec son homologue azerbaïdjanais à Bakou le 30 mai dernier. Israël et l’Azerbaïdjan ont multiplié ces dernières années les visites officielles et les mots d’amitié. En février c’est le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant qui avait fait le voyage à Bakou.
Des liens qui remontent aux années 1990 : Israël a été l’un des tout premiers pays à reconnaître l’indépendance azerbaïdjanaise en 1991, lors de la dislocation de l’Union soviétique. Dès 1993, il ouvrait une ambassade dans la capitale Bakou. De son côté, si l’Azerbaïdjan a tardé à inaugurer sa représentation officielle, soucieux notamment de ne pas froisser les pays musulmans voisins hostiles à l’Etat hébreu, il a finalement franchi le pas et inauguré en mars dernier son ambassade à Tel-Aviv, après que de nombreux pays ont normalisé leurs relations diplomatiques avec Israël en 2020 avec les accords d’Abraham. (Le Bahreïn, les Emirats arabes unis, puis le Maroc, le Soudan, et bientôt peut-être – les pourparlers sont en cours) – l’Arabie saoudite.)
Israël et l’Azerbaidjan se retrouvent également liés par un ennemi commun : l’Iran. Nul besoin de décrire l’hostilité entre Jérusalem et Téhéran. De leur côté, quoique moins évidents, les griefs entre Bakou et Téhéran sont anciens, principalement liés à l’importante minorité azerbaïdjanaise d’Iran, deuxième en nombre, et dont les velléités indépendantistes sont régulièrement ravivées par l’irrédentisme azerbaïdjanais.
Bakou a renforcé son arsenal militaire grâce à Israël
Dans ce contexte de tensions permanentes, le clan Aliyev au pouvoir en Azerbaïdjan entreprend depuis plus de quinze ans de renforcer son arsenal militaire. Pour ce faire, il s’est tout naturellement tourné vers son allié stratégique, Israël, dixième exportateur mondial d’armement et particulièrement réputé pour ses pièces de haute technologie. Selon le Stockholm’s International Peace Institute (Sipri), qui documente le commerce mondial des armes, les exportations vers Bakou ont commencé dès 2005 avec la vente de plusieurs systèmes de roquettes développés par Israel Military Industries (IMI Systems racheté en 2018 par Elbit Systems). Depuis, les contrats se sont succédé. Dans un récent article, le grand quotidien israélien « Haaretz » dressait une très longue liste : drones de reconnaissance, drones kamikazes Harop, missiles antichars Spike, canons automoteurs ATMOS, mortiers de 120 millimètres, missiles antiaériens Barak, navires de patrouille de la marine, supports de canon Typhoon, missiles guidés antichars Lahat, systèmes radar avancés, équipements de communication de dernière génération… Des contrats de plusieurs milliards de dollars. Surtout, le quotidien a identifié, grâce à l’observation de données aéronautiques, des pics de livraisons d’armes en 2016, 2020 et 2021 − trois périodes d’offensive azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh, qui avaient d’ailleurs amené les Etats-Unis et plusieurs pays européens à imposer des restrictions aux exportations de matériels de guerre vers l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
En retour, l’Etat hébreu n’obtient pas uniquement le paiement de milliards de dollars de factures. Bakou possède bien d’autres ressources à fournir à son allié. En particulier du pétrole. Israël ne publie pas le détail des informations concernant ses approvisionnements énergétiques, mais les experts estiment généralement à 40 % le taux de pétrole désormais importé d’Azerbaïdjan via l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan.
Les deux Etats échangent des renseignements
En outre, l’Azerbaïdjan détient une frontière de plus 600 km avec l’Iran, frontière que, par un accord tacite, les services de renseignements israéliens utilise pour leurs incursions en territoire iranien. C’est ainsi qu’en janvier 2018, des agents du Mossad sont parvenus à voler, dans un entrepôt du sud de Téhéran où elles étaient stockées, une demi-tonne d’archives concernant les recherches nucléaires iraniennes, puis à les exfiltrer via l’Azerbaïdjan.
L’échange de renseignements entre les deux pays est important et une étude du Washington Institut de 2005 affirme même que les Israéliens auraient également installé des stations d’écoute électronique le long de la mer Caspienne et à la frontière iranienne (ce que les deux Etats nient).
En Israël, pourtant, si le rapprochement avec Bakou a reçu un accueil favorable ces dernières années, l’opinion publique a commencé à exprimer son mécontentement après les dernières offensives contre le Haut-Karabakh. Le 27 septembre, le quotidien « Haaretz » dénonçait ainsi les ventes d’armes à Bakou dans un éditorial titré « Un nettoyage ethnique avec nos armes ». Mi-août, dans « Times of Israël », Avidan Freedman, l’un des fondateurs de l’organisation Yanshoof qui milite pour l’arrêt des ventes d’armes israéliennes à des nations violant les droits de l’homme, soulignait pour sa part : « La nécessité de forger des liens avec l’Azerbaïdjan n’autorise pas Israël à ignorer les souffrances des Arméniens du Haut-Karabakh. »
A la tête de l’Etat, en revanche, aucune déclaration n’est venue dénoncer l’offensive azérie. Et rien ne semble s’opposer à l’inscription dans la durée de cette alliance scellée sous le sceau de la realpolitik.