Dans « Une année difficile » d’Olivier Nakache et Eric Toledano, en salle le 18 octobre, il forme un formidable duo avec Pio Marmaï. L’acteur-auteur-producteur enchaîne les films, les séries et les gags, avec la même exigence.
La popularité de Jonathan Cohen est proportionnelle à la variété des commentaires dont il fait l’objet. L’acteur-auteur-producteur, à l’affiche cet automne de deux longs métrages, dont « Une année difficile » d’ Olivier Nakache et Eric Toledano *, serait selon un sondage sauvage « le nouveau ‘King of Comedy’ à la française » ; « un pur produit des réseaux sociaux » ; « un grand acteur » ; « un comique qui fait toujours la même chose »… Quel que soit l’âge, la sensibilité, chacun semble avoir aujourd’hui sa petite idée sur Jonathan Cohen. La rançon du succès, sans doute.
Il se présente au rendez-vous très exactement tel qu’on le connaît : cheveux ébouriffés, lunettes fumées, sourire d’enfant. Avec élégance, il désamorce les attentes de ses interlocuteurs qui espéraient sans doute se marrer dès la première poignée de main. Pas d’effet, donc, de tentative de charme ni d’arrogance, Jonathan Cohen est un garçon posé au tutoiement facile. Un artiste en promotion qui arrive à l’heure, s’informe du programme et se met au travail.
Du Conservatoire à « La Flamme »
Le choix des vêtements pour les photos est aussi juste que rapide. Il connaît son corps, sa tête, ses goûts. Quels souliers pour tel pantalon, quelle maille, quel foulard, quelle veste croisée et avec quelle cravate ? « Attention, je ne vais pas porter les mêmes tenues qu’au Festival de Venise », où il défendait récemment le film « Making of » de Cédric Kahn. Une précision de geek du style qui confine au dandysme. « J’aime les beaux classiques, le sur-mesure Ralph Lauren, Tom Ford… Les marques japonaises aussi. »
Désormais précédé d’une image d’homme pressé, Jonathan Cohen, au fond, aime prendre son temps. Formé au théâtre classique, il est sorti du Conservatoire national supérieur d’art dramatique en 2007, après trois ans d’études et une année auprès du grand metteur en scène franco-allemand Matthias Langhoff. L’éclosion a eu lieu il y a trois ans seulement – il en avait 40 -, avec « La Flamme », adaptée de la série américaine « Burning Love » produite par Ben Stiller et dont la musique comique n’avait jusqu’alors pas d’égale en France. Coauteur, producteur et acteur de cette série parodique qui pousse l’absurde à son paroxysme, Jonathan Cohen et sa bande organisée – Vincent Dedienne, Leïla Bekhti, Géraldine Nakache, Adèle Exarchopoulos, Pierre Niney, Florence Foresti, Ana Girardot, Céline Sallette, Camille Chamoux, etc. – ont rencontré l’adhésion du public. En une saison et avec un humour inspiré des idoles américaines – Ben Stiller, Will Ferrell, Steve Carrell, Jude Apatow – qu’il suit, scrute, admire depuis plus de vingt ans, il est ainsi devenu, selon TikTok, « GQ » ou YouTube, « l’homme le plus drôle de France ».
Dans la rue, les gens m’appellent par le nom de mes ‘persos’ : Serge, Marc, Fuckin’Fred.
Pour la promotion d’« Une année difficile », une comédie entre réalisme et fable poétique qui croise les thématiques du surendettement et du militantisme écolo, « nous faisons le tour des salles de cinéma et, chaque soir, on constate l’impact de Jonathan sur les gens, témoignent les réalisateurs Olivier Nakache et Eric Toledano. Il représente quelque chose parce qu’il a mis la connerie en numéro 1 avec ses personnages de crétins qui pleurent (NDLR : celui de Marc dans « La Flamme », puis « Le Flambeau »). A notre époque, la connerie fait du bien, on en a besoin. » Et de poursuivre : « Jonathan est un génie de l’humour, dès qu’il ouvre la bouche, les gens rient et ils vont bien. Comme tous les grands comiques, il a un style et si tu le mets face à des acteurs aussi puissants que Pio Marmaï, le mélange touche le public droit au coeur. Les blagues fusent, comme des flèches qui partent en direction de la salle qui les renvoie immédiatement. »
Le lien entre Jonathan Cohen et son public est propre à celles et ceux qui font rire, il induit une proximité immédiate. « Dans la rue, les gens m’appellent par le nom de mes ‘persos’ : Serge, Marc, Fuckin’Fred. Il y a ceux qui m’ont vu dans ‘Family Business’ (NDLR : série en trois saisons diffusée sur Canal+). Certains m’ont aimé dans l’émission LOL ou dans ‘La Flamme’. D’autres pas du tout. Le rire, c’est un truc très clivant. Des gens sont passés à côté de ‘Sentinelle’ (sorti en septembre sur Amazon Prime) ou du ‘Flambeau’. »
De YouTube aux comédies d’auteur
« Jonathan Cohen, c’est comme un pote très drôle qui nous ressemble. Il pratique un humour d’instinct, pas un humour technique, analyse un journaliste spécialiste de la culture pop. Ma génération de trentenaires s’est tout de suite reconnue dans ses blagues, là où elle ne s’était pas vraiment retrouvée dans l’univers de la bande Dujardin-Lellouche. Et puis, même s’il est plutôt beau gosse, son physique n’est pas le sujet et on a envie de rire avec lui plus qu’avec un acteur comme Pierre Niney, presque trop beau pour l’humour. La dernière fois qu’une telle rencontre a eu lieu avec le public, c’était il y a vingt-cinq ans, avec Jamel. »
Avec une fluidité très contemporaine, Jonathan Cohen, 43 ans – pas vraiment un ‘digital native’ – navigue entre les différents médias et canaux de diffusion : cinéma, plateformes de streaming, télévision et réseaux sociaux. Les plus jeunes, 10 ans et moins, le regardent sur YouTube chez McFly et Carlito, Squeezie ou Orelsan ; les ados et jeunes adultes ont « bingé » les trois saisons de « Family Business » sur Canal Play, aimé « La Flamme » (parodie du « Bachelor ») et adoré« Le Flambeau » (parodie de Koh-Lanta) , dont ils connaissent certains passages du bêtisier par coeur. Quand leurs parents le découvraient dans « En même temps » de Kerven et Delépine ou « Enorme » de Sophie Letourneur . Deux comédies sociales d’auteur dans lesquelles Jonathan Cohen ne fait pas du « Jonathan Cohen ». Son parcours se déploie parallèlement sur plusieurs dimensions et auprès de plusieurs publics. Lancer une recherche Google sur lui, c’est se perdre dans une arborescence où dialoguent une culture du divertissement populaire et une forme plus classique de création. Une chose est sûre, aussi prolixe soit-elle, sa carrière a décollé sur les réseaux sociaux.
« Je ne serais pas là devant toi si ‘Serge le Mytho’ n’avait pas été diffusé sur YouTube. Tout simplement parce que les gens consomment cette plateforme en masse. Squeezie, McFly et Carlito ou Mister V (NDLR : qui joue dans ‘Le Flambeau’) sont des personnes que j’aime, que je respecte car ils travaillent énormément. Il y a sur YouTube une forme de générosité, de décomplexion et de vérité avec le public qu’on ne trouve plus vraiment ailleurs et qui me plaît. »
Une science précise du malaise
Si le succès a surgi avec « La Flamme », le point de bascule, y compris dans la psyché de l’acteur, a été « Serge le Mytho » , cette série diffusée sur Canal+ puis sur YouTube en 2016-17. « C’est la première fois que l’on me donnait autant de liberté. J’avais déjà fait des spectacles d’impro, mais jamais je n’avais été filmé. »
Les auteurs Bruno Muschio et Kyan Khojandi lui ont dit : « Fais ce que tu veux, la caméra tourne », et Jonathan Cohen de laisser libre cours aux délires mythomanes de son personnage dont les prestations vous laissent au milieu du gué, entre le rire et la gênance. Une science précise du malaise que l’on retrouve entre autres, dans la série « The Office » et la folie comique d’un Ricky Gervais, qu’il admire. « C’était comme une mini-transe. J’avais, pour la première fois, conscience d’avoir donné quelque chose sans rien attendre en retour. Parce que, quand tu es comédien, au début, tu fais les choses pour toi. Pendant longtemps, je me suis demandé ‘Est-ce qu’on va me trouver bien ? Est-ce qu’on va me remarquer ?’ Ma démarche était narcissique – ce qui est aussi un bon moteur -, elle n’avait pas d’autre ambition. Le lâcher-prise avec ce personnage et la façon dont il a été reçu ont totalement changé mon rapport au jeu. L’équilibre est aujourd’hui inversé. Je ne me demande plus ce que cela va me rapporter, mais ce que j’ai à donner. »
Je défends la connerie, l’humour, le rire avec toute mon âme, tout mon coeur.
Ce noeud gordien de l’acteur, a fortiori comique, sur lequel Jonathan Cohen a longtemps buté et travaillé avec une coach : « Lorsqu’elle me disait : ‘Qu’est-ce que tu as à me donner, Jonathan ?’ Je n’arrivais pas à répondre, je ne comprenais pas. Et puis l’idée a fait son petit bonhomme de chemin et un jour… c’est passé. Avec Serge. »
Dans le contrat qui lie un humoriste à son public, il y a au centre, cette idée du don, du cadeau d’une expérience collective par le biais de l’humour et de l’émotion. Depuis que le monde est monde, que les hommes rient d’eux-mêmes et des autres, la fonction sociale de celui qui fait rire, du « bouffon », est d’abord de rassembler. Jonathan Cohen défend cette forme de légèreté engagée et rejoint, ici, les réalisateurs d’« Une année difficile ».
« Une soupape vitale »
« Il y a dans l’humour d’Eric et Olivier quelque chose de très humain qui touche profondément les gens et que j’adore. Ce que l’on entend dans cette tournée des cinémas de France, c’est ‘Continuez à nous faire rire’. Cette soupape est vitale. Pour moi, en tant que spectateur et en tant qu’acteur fou de comédie, mais aussi pour les gens. Je défends la connerie, l’humour, le rire avec toute mon âme, tout mon coeur. J’ai la volonté de faire cela sérieusement, d’y mettre toute mon exigence, y compris en tant qu’auteur et producteur. Quand je dirige un projet comme ‘La Flamme’ ou ‘Le Flambeau’, je suis une sorte de capitaine, et c’est dans cette direction que j’engage celles et ceux qui me suivent. »
« Dans les moments difficiles, on ne lâche pas l’humour, poursuivent Olivier Nakache et Eric Toledano. On s’accroche à l’ado potache que nous avons été et que nous sommes encore. S’il existe un point commun entre le comique de Jonathan et le nôtre, c’est celui-là. C’est aussi ce qui nous liait à Jean-Pierre Bacri. Aucun d’entre nous n’a jamais voulu devenir adulte. »
En tournée avec Ibsen
S’il a choisi le rire plutôt que le drame, Jonathan Cohen – qui s’amuse lorsque les journalistes lui posent inlassablement la même question : « A quand votre ‘Tchao pantin’ ? »- continue à tenter des choses. A jouer avec le jeu. A l’automne 2018, alors qu’il était déjà Serge le Mytho et préparait « La Flamme », il part en tournée avec La Brèche, la troupe de l’auteure et metteuse en scène Lorraine de Sagazan, et son adaptation d’« Une maison de poupée », d’Ibsen. « Je l’avais vu joué au Conservatoire , se souvient-elle. Et cela avait été un choc. Il avait une amplitude de jeu très importante, une souplesse… Pas uniquement dans la facétie et le comique. Plus tard, avec son collectif Masques et Nez, j’ai constaté quel grand acteur de théâtre il était, de l’ordre du génie du jeu, et je m’étais toujours dit qu’un jour, je travaillerai avec lui. »
En pleine préparation physique et préproduction de sa série, Jonathan Cohen reprend donc sur le pouce le premier rôle d’« Une maison de poupée » et part pour huit dates en province. « Quand Lorraine m’a appelée en me disant : ‘Je vais te proposer quelque chose, mais je sais que tu vas dire non’, j’ai dit oui tout de suite. J’avais alors une profonde envie de théâtre et je ne voulais pas passer à côté. J’ai accepté un mercredi, je jouais le mercredi suivant. Il y a une espèce d’inconscience chez moi à relever des défis, à me dire ‘je veux le faire, je peux le faire’. »
« Le désir de scène revient »
« Le matin, il écrivait ‘La Flamme’ et se préparait physiquement au rôle de Marc. L’après-midi il nous rejoignait sur la tournée, il venait s’échauffer, il jouait et dînait avec nous, avant de repartir et de reprendre l’écriture, l’entraînement… Il travaille énormément, il joue, il réalise, il produit. C’est son rêve américain », raconte Lorraine de Sagazan. Ce que Jonathan Cohen aime dans le théâtre, sa formation initiale, il le retrouve dans son métier d’auteur, de producteur avec « l’étude des thématiques que l’on traverse, des ‘persos’, le questionnement sur ce que l’on veut véritablement donner aux gens. En ce moment, je sens que le désir de scène revient. J’ai besoin de retrouver les mots, les textes, besoin de me poser des questions. »
Amuseur ou artiste ? Il hésite. « Le divertissement est un art noble… Faut-il avoir peur du mot artiste ? En fait, je pense que c’est une question de journaliste que les actrices et les acteurs ne se posent pas. Ils savent combien le rire engage. Celles et ceux qui, ne serait-ce qu’une fois dans leur vie, ont joué la comédie et ont été confrontés au rire, ou pas, du public, savent combien c’est un exercice difficile. Qui peut être d’une incroyable violence. »
Dans « Making of » de Cédric Kahn et « Daaaaaali » de Quentin Dupieux (attendus en salle l’un en janvier, l’autre en avril 2024), Jonathan Cohen sort de ses « persos » et se laisse guider vers d’autres univers. Dans quelques semaines, il débutera le tournage de « Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan » avec le réalisateur canadien Ken Scott, et reprend l’écriture pour la saison 3 de « La Flamme ». Un jour peut-être, montera-t-il « Hamlet », sa référence absolue, lui qui possède une connaissance intime et profonde de Shakespeare ?
Le top de sa trajectoire
Une saison, 30 épisodes de trois et huit minutes dont les fans connaissent certaines tirades par coeur. « Serge le Mytho », créée par Kyan Khojandi, Bruno Muschio et Harry Tordjman pour Canal+ (2016-2017), met en scène un personnage – issu de la série « Bloqués » – dont la particularité est de raconter n’importe quoi. Pourquoi Serge a-t-il arrêté l’école ? Qu’a-t-il vu dans le futur ? Le jour où Serge a inventé une drogue, où il a dévoilé la vérité sur Jay-Z… Dans cette série basée sur ses talents d’improvisation hors pair, Jonathan Cohen retrouve quelques-uns de ses camarades : Orelsan, Gringe, Leïla Bekhti, Olivier Rosemberg…
Imaginé en 2019 à l’invitation d’Orelsan, Fuckin’Fred est le personnage le plus trash de Jonathan Cohen. Un chanteur electro kitsch et germanophone tout droit sorti du film « Zoolander » de Ben Stiller. Enfant des réseaux sociaux, Fuckin’Fred est né en direct, lors d’un concert du rappeur en 2019. En quelques minutes, Jonathan Cohen composera le single « Suce ma bite » dont il oubliera les paroles une fois sur scène. Un grand ratage filmé et viral qui confère au personnage sa folie. Depuis, le jusqu’au boutiste Fuckin’Fred reprend régulièrement du service lorsqu’Orelsan est en concert. Pour le meilleur et pour le pire.
Personnage principal de « La Flamme » (2020, Canal+), parodie du « Bachelor », Marc est un pilote d’avion stupide et misogyne qui cherche l’amour avec l’intime conviction qu’il a tout pour plaire. Entouré d’une pléiade d’excellents acteurs et actrices, Jonathan Cohen – auteur-acteur-producteur – explore avec cette série les confins de l’absurde et du premier degré. Il réitère l’expérience deux ans plus tard avec une parodie de Koh-Lanta, « Le Flambeau : les aventuriers de Chupacabra » (2022, Canal+). Chef des « Nullos », Marc y perd de sa superbe, terrassé d’apprendre qu’on ne l’aime pas. Précise et toujours référencée, l’écriture de Jonathan Cohen et de ses coauteurs propose une variété de personnages denses et burlesques et parle à plusieurs générations en même temps.
Le petit dernier. Personnage central du long métrage « Sentinelle » d’Hugo Benamozig et David Caviglioli sorti en septembre sur la plateforme Amazon Prime, François Sentinelle est un flic-chanteur peroxydé qui porte le mulet et des costumes trop serrés. Affublé d’un binôme atterré par son incompétence (Raphaël Quenard), il rate à peu près tout, à commencer par sa double carrière de flic et de chanteur. Navet pour les uns, folie pour les autres qui se réjouissent du dénouement gore de l’intrigue et comptent les clins d’oeil et références, c’est sans doute le film le plus clivant de Jonathan Cohen. Ses prestations en tant que François Sentinelle, chanteur de charme, dans les émissions Quotidien et Quelle époque ont, quant à elles, emballé le public, de 7 à 77 ans.
Par Béline Dolat