Le journaliste et essayiste Jean Birnbaum, directeur du Monde des livres, sort un ouvrage au Seuil dont le titre est une affirmation : Seuls les enfants changent le monde. C’est l’intime conviction de son auteur qui dit de ce livre, entre essai documenté et réflexion personnelle, qu’il est une « sorte de réponse tendre et en même temps ferme » au mouvement ‘no kids’.
Un phénomène inédit
Le mouvement « no kids » regroupe ceux qui refusent de procréer pour des raisons écologiques. En cause : l’éco-anxiété empêchant de se projeter dans l’avenir, frein majeur à la procréation. Mais aussi le « coût écologique » d’un bébé (le changement de comportement le plus efficace pour réduire son empreinte carbone et lutter contre le réchauffement climatique serait – selon des chercheurs de l’université de Lund et de l’université de la Colombie-Britannique – de faire moins d’enfants, ndlr). Il s’agit aussi de ne pas ajouter à l’accroissement de la démographie dans un monde où celle-ci explose. Les chiffres sont éloquents : la population mondiale a plus que triplé entre 1950 et 2020. D’ici 2050, d’après les scientifiques, nous serons environ 9,7 milliards à cohabiter sur cette planète. Or, les ressources indispensables pour la survie de l’Homme, en premier lieu l’air et l’eau, sont menacées par nos modes de vies occidentaux.
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Dans le discours des « no kids », Jean Birnbaum souligne un changement de paradigme concernant le rapport à la naissance. Autrefois, un des arguments de ceux qui ne voulaient pas procréer était que le monde est trop brutal pour y mettre au monde des enfants. Aujourd’hui, d’aucuns disent que c’est la naissance d’enfants supplémentaires qui vient brutaliser le monde. C’est une des raisons qui fait que Jean Birnbaum qualifie ce mouvement de « phénomène inédit ». « Il y a toujours eu mille raisons pour ne pas avoir d’enfants et ne pas vouloir d’enfants. Ce sont des raisons qui sont légitimes et propres à chacun. En revanche, ce qui est nouveau, c’est qu’auparavant le refus de procréer a rarement été une revendication. Or aujourd’hui, pour la première fois, d’aucuns font du refus de procréer une sorte de revendication collective, comme un idéal politique profane« .
Un idéal que Jean Birnbaum ne partage pas, même s’il refuse de le condamner. Il interroge : « À quoi bon sauver un monde sans enfant ?« Monde qui, par essence, serait « mort« . Pour Jean Birnbaum, les enfants sont vecteurs de vie, une vie qu’il faut insuffler dans notre monde à l’agonie. « Plus le monde est en danger, plus la fin du monde menace, plus c’est beau et fort d’en garantir la continuité et de mettre au monde les seuls êtres qui peuvent justement le réparer ou le sauver. »
La natalité, une question politique
Dans Seuls les enfants changent le monde, Jean Birnbaum convoque volontiers ses penseurs fétiches, dont la philosophe Hannah Arendt.
Arendt fait figure d’exception puisqu’elle est une des rares philosophes occidentales à avoir pris au sérieux la question de la natalité. « Elle en fait la catégorie centrale de la pensée politique« , explique Jean Birnbaum, qui adhère à cette idée. Dans son ouvrage majeur, les Origines du totalitarisme, Arendt soutient que les enfants, en plus d’assurer la continuité du monde, viennent aussi le bousculer. « Finalement, chaque enfant est unique et cette unicité vient assurer une pluralité qui est le fondement de la démocratie« , décortique Birnbaum. Cela expliquerait pourquoi les dictatures tentent immédiatement de mettre la main sur l’enfance. Malheureusement, nul besoin de convoquer les Jeunesses hitlériennes pour illustrer cette tentative d’endoctrinement des enfants. L’actualité récente montre que ce phénomène perdure toujours. Ainsi, Jean Birnbaum rappelle les enfants ukrainiens kidnappés et déportés en Russie. Un an après le début de la guerre, en février 2023, les autorités ukrainiennes estimaient qu’ils seraient au nombre de 16.000. Seuls un peu plus de 300 auraient été rendus à l’Ukraine depuis le début de l’invasion.
Origine d’une obsession
Jean Birnbaum est obsédé depuis toujours par la question des enfants et de notre rapport à eux. Dans le cadre de son métier de journaliste, il a eu l’occasion d’interroger de nombreuses personnalités à ce propos, dont les écrivains Alice Zeniter, Edouard Louis et le rappeur Booba.
Il en est venu à se demander pourquoi cette question l’obsède autant, à la manière de l’ego-histoire, concept inventé par l’historien Pierre Nora (qu’il a d’ailleurs interrogé et qu’il cite dans son livre) et qui consiste à demander aux historiens pourquoi ils font de l’Histoire et pourquoi ils la font comme ils la font. À la lumière de son histoire personnelle et familiale, Jean Birnbaum comprend : le fait que son père, l’historien Pierre Birnbaum, ait été un enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale est la raison de son obsession pour l’enfance. Dans de telles circonstances, avoir un enfant était une manière de « défier la mort« . Dans Seuls les enfants changent le monde, Jean Birnbaum écrit : « j’ose enfin admettre, que la question des enfants, telle qu’elle me travaille depuis que je suis né, ne fait qu’un avec celle de la survie« .
Post-scriptum
Seuls les enfants changent le monde est, selon son auteur, « la suite absolue de son précédent ouvrage« , Le Courage de la nuance, paru au Seuil.
Un livre dans lequel Jean Birnbaum tâchait de montrer « qu’il n’y a rien de plus radical que la nuance dans un moment de violence, de brouhaha, de mauvaise foi, de brutalisation du débat public« . Jean Birnbaum y soutenait que trouver le courage de la nuance n’est pas quelque chose de conceptuel, mais bien d’inscrit dans une expérience quotidienne, ordinaire, à l’instar de « la maladie qui nous apprend la finitude« . Or, il s’est aperçu que, dans ce livre, il n’avait pas fait place à l’expérience qui, d’après lui, est celle qui nous remet le plus en question, à savoir « la rencontre décisive, hallucinante, énigmatique avec un bébé« . En ce sens, Seuls les enfants changent le monde est « une espèce de post-scriptum ému » au Courage de la nuance.
L’émission Dans quel Monde on vit de Pascal Claude avec Jean Birnbaum est disponible sur Auvio.