S’il est difficile de se prémunir contre les punaises de lit, explique le spécialiste Claudio Lazzari, il est indispensable de faire appel à des professionnels certifiés et d’éviter les insecticides pour les éradiquer.
Claudio Lazzari est chercheur à l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte et spécialiste de la biologie des arthropodes hématophages (qui se nourrissent de sang d’autres animaux vivants) comme les moustiques, les tiques ou les punaises de lit. Si ces dernières ne sont, a priori, pas vectrices de maladies, il rappelle qu’il ne faut pas baisser les bras malgré leur résistance et que la lutte contre leur prolifération reste primordiale à la santé mentale des personnes infestées. Face à la psychose grandissante sur les réseaux sociaux et dans les médias, le scientifique fait le point sur la propagation, la détection et l’éradication de ces insectes.
Connaît-on une recrudescence des punaises de lits ces dernières années ?
A cause de nos modes de vie et de nos déplacements, les punaises de lit sont devenues un problème mondial. Surtout dans les grandes villes, où on constate une augmentation de la quantité de punaises. C’est la conséquence de la mondialisation, avec les transports, les voyages, le tourisme. Les grandes villes, ce sont aussi les lieux des grands événements attirant des gens du monde entier qui vont occuper les transports, les salles de spectacle, les hôtels… La situation idéale pour les punaises !
Et on en entend parler surtout quand les gens veulent bien en parler. Parce que c’est un problème qui reste un peu caché. Beaucoup de gens se sentent un peu honteux de dire qu’ils ont des punaises de lits alors qu’ils habitent dans une maison propre. Mais il n’y a aucun rapport avec l’hygiène, la punaise de lit s’intéresse uniquement à votre sang. Donc peu importe si c’est une maison modeste ou une villa, si les punaises de lit arrivent à s’installer chez quelqu’un, elles vont, en général, s’y développer.
De nombreuses photos de potentielles contaminations des transports en commun inondent les réseaux sociaux ces dernières semaines. Est-ce un lieu où la contagion est importante ?
Déjà, le plus souvent, les punaises de lit restent inaperçues : les bébés sont transparents, car ils n’ont pas encore ingurgité de sang, et les plus vieilles mesurent grand maximum un centimètre. Elles n’ont pas d’ailes, donc elles ne peuvent pas voler. C’est pourquoi leur seul moyen de dispersion, c’est la dispersion passive. C’est-à-dire que c’est nous qui les transportons. Si l’on se trouve dans un lieu infesté, on peut les emporter avec nous, sur nos vêtements, dans un sac, dans une valise… C’est pour ça que les grandes villes sont particulièrement touchées. Normalement, elles sont cachées car elles n’aiment pas la lumière. Donc si elles sont dans les transports, c’est qu’elles sont descendues d’un vêtement ou d’un sac à dos de personnes infestées. Normalement, elles vont se cacher dans les petits recoins, dans les sièges des avions, des trains ou des transports en commun. Mais ce n’est pas le biais de transmission le plus fréquent, non. Le plus souvent, la contagion a lieu dans les hôtels, dans les chambres chez l’habitant…
Si elles se cachent de la lumière, comment peut-on les repérer ?
Il faut les chercher. Et pour ça, il faut savoir où chercher. Comme je disais, elles aiment l’obscurité et sortent la nuit pour manger. Donc en toute logique, on les trouve surtout dans les recoins des matelas, où elles sont dans le noir et à proximité de leurs aliments. Mais elles peuvent aussi être dans tous les petits coins des habitations, dans les rainures des meubles, du parquet ou aux jointures de la moquette. Quand on les voit et qu’elles sont grosses, c’est qu’il y en a déjà en certaines quantités. Les repérer quand elles sont peu nombreuses est parfois difficile. On peut donc essayer de voir sur les tissus ou les matelas si elles ont laissé des déjections, qui sont de toutes petites taches plutôt noires, qui vient de la digestion du sang ingéré. S’il y a vraiment énormément de punaises, il peut même y avoir une odeur particulière dans la pièce, mais il faut des chiens dressés spécifiquement pour les renifler.
Un des plus gros indices, surtout, c’est qu’on se fait piquer. En général, les boutons sont visibles tout de suite, mais ils peuvent apparaître vingt-quatre voire quarante-huit heures plus tard. Et contrairement à d’autres piqûres, elles ne sont pas isolées. S’il y a beaucoup de punaises de lit, on va être piqué par plusieurs individus dans la même nuit donc on va trouver plusieurs boutons à différents endroits. Mais c’est comme pour les moustiques, chacun a une sensibilité différente. Et ça, honnêtement, on ne comprend pas. Pourquoi certains patients sont-ils plus piqués que d’autres ? C’est une question majeure en entomologie médicale, mais c’est encore assez mal compris, même pour les moustiques, qui est pourtant l’insecte piqueur le plus étudié.
Comment se débarrasser efficacement des punaises de lit ?
Il faut faire appel à un professionnel certifié. Ça ne sert à rien d’acheter des insecticides dans les rayons de supermarché. Vous allez dépenser de l’argent pour un produit inefficace : il faut pouvoir atteindre des insectes très petits et bien cachés et un insecticide de grande surface ne suffit pas. Il y a deux risques : un, que les traitements n’aient pas fonctionné, que vous pensiez avoir contrôlé l’invasion, mais que les punaises continuent à se reproduire. Et deux, de tuer les punaises les plus fragiles alors que d’autres, qui supportent l’insecticide, vont rester vivantes et continuer à se reproduire. Un phénomène de résistance aux insecticides peut s’installer, c’est-à-dire que vous sélectionniez les punaises les plus résistantes et vous les rendiez plus résistantes encore.
Il est donc préférable de faire appel à un professionnel qui va intervenir une première fois, puis une deuxième si besoin, selon l’évolution de la situation. Ça coûte cher, évidemment, parce qu’il y a beaucoup de temps de travail. Mais c’est le seul moyen efficace. En plus des interventions, il faut traiter tous les lieux d’habitat potentiels. C’est-à-dire les draps, les vêtements, les chaussures. Pour ça, il faut soit les laver à des températures élevées, soit les mettre au congélateur pendant quelques jours. Les températures très très basses ou très très hautes vont tuer les punaises. Le plus important, c’est de rester attentif et de ne pas avoir honte de déclarer leur présence.
Pourquoi est-ce un insecte si difficile à éradiquer ?
Parce que c’est un animal qui est très associé à l’homme, de petite taille, qui se cache très bien et qui supporte le manque de nourriture pendant longtemps. Les punaises de lit peuvent sans problème passer six mois voire un an sans manger. Parce que leur métabolisme va ralentir, elles vont se mettre en léthargie et quand il y aura une nouvelle opportunité de nourriture, se remettront en mouvement. Donc pas possible d’espérer partir en vacances et qu’elles aient disparu à notre retour. Dans des conditions idéales, si elles se nourrissent fréquemment et pondent, elles vivent un an en moyenne. Mais si elles manquent de nourriture et donc ne font plus rien, elles peuvent vivre plus longtemps car les processus physiologiques sont ralentis.
On cherche absolument à s’en débarrasser, mais les punaises de lit présentent-elles des risques pour la santé ?
Non, il n’y a aucun pathogène, aucune maladie, qui soit reconnue comme transmise à l’homme par la punaise de lit. Il y a eu beaucoup d’études, mais pour l’instant, il n’y a aucune association qui a pu être établie de manière définitive. Le problème, c’est surtout que si vous avez des milliers de punaises dans votre appartement qui vous piquent tous les soirs, cela va entraîner une perturbation de la santé. Une perturbation psychologique, une perte de qualité de vie, un impact sur la capacité à travailler…
Et est-ce qu’il est possible d’éviter leur apparition ?
On peut avoir le réflexe, à l’hôtel ou en dehors de chez soi, de regarder un peu partout. Ça ne coûte rien de soulever le matelas ou de regarder s’il y a des petites taches sur les draps. Mais prévenir, c’est compliqué, parce qu’il n’existe pas de moustiquaires ou de barrière qu’on puisse utiliser pour se protéger, et les répulsifs ont une efficacité qui n’est pas totalement validée. Et par sa biologie, c’est un insecte qui passe particulièrement inaperçu et qui s’implante très facilement.
par Margaux Gable