Le mythe du Golem est bien connu, mais de manière souvent lointaine, floue. Sa reprise la plus célèbre date de 1915. Signé de l’occultiste autrichien d’origine juive Gustav Meyrink, l’inquiétant chef-d’œuvre est réédité dans la collection du Rayon imaginaire de Hachette, dans une nouvelle traduction du Grand Prix de l’Académie française, Éric Faye.
Né dans l’Europe centrale et médiévale, le récit le plus réputé associe le monstre fait d’argile et animé par l’entremise du mot hébreu Emet (Vérité : trois lettres hébraïques), inscrit sur le front de la créature, au rabbin Loew, maître kabbaliste du XVIe siècle.
Il lui donne la vie pour protéger la communauté juive de Prague d’accusations de meurtres rituels. Elle se retourne finalement contre la créature, assaillie par la peur de cette étrange menace potentielle. Elle est alors désactivée, dit-on dans certaines versions, en lui enlevant la première lettre de son front, l’Aleph (la Lumière), ne restant que le mot Met (la Mort).
Un an après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, un singulier juif autrichien, négligé par sa mère et en quête de l’Emet, Gustav Meyer, dit Gustav Meyrink, transpose le mythe, pour en faire un des plus importants romans fantastiques jamais écrit, aussi savamment construit qu’opaque et inquiétant.
Athanasius Pernath, ni éveillé ni endormi, rêve sans rêver, d’une pierre qui ressemble à une boule de graisse : elle grossit dans sa tête. Le matin, dans son modeste logement du ghetto de Prague, il ne sait plus qui il est. Le lapidaire – tailleur de pierre précieuse – a perdu la mémoire, et la réalité se mélange avec le songe : qui sont ces personnages énigmatiques qu’ils croisent, qu’expriment ces visions effrayantes ?
Il apprend d’une de ces apparitions que tous les 33 ans, le Golem se réveille du grenier de l’ancienne synagogue, où il n’y a ni issues ni fenêtres, mettre de l’ordre dans le labyrinthique et sombre ghetto, qui ne pourrait être qu’une fiction comme le reste… Le Golem partout et nulle part représente l’autre face de la réalité, où l’homme est immortel. À la fin, le personnage principal n’aura plus de nom.
Inspiré de sa longue étude des traditions ésotériques et occultistes, Gustav Meyrink traite de la figure du double chère à Otto Rank. Pour l’auteur du Visage vert, on a atteint une certaine compréhension quand, face à son visage, on se demande qui est le reflet du miroir… Se dédoubler, c’est se protéger de la mort, comme lorsqu’il s’agit de créer. En résumé : toute œuvre est un Golem, et se reconnaître dans son doppelgänger, son ombre, c’est se libérer.
Le Golem peut entrer dans le personnage d’Athanasius Pernath, parce qu’il n’a plus de moi (désir). Le monstre est en cela une allégorie de la grâce, qui apparaît au moment où n’y a plus aucun obstacle (Satan) à sa manifestation. Parmi les silhouettes que croise le héros du roman, il y a la fille de son sage voisin Hillel, Myriam. Sur les murs de la chambre de la jeune femme, un hermaphrodite, symbole de l’Anthropos primordiale, de l’Homme, que l’on retrouve à la toute fin. Elle est son âme, sa partie féminine, son discret guide, avec qui il doit réaliser les noces célestes.
En s’appuyant sur le philosophe Hegel, qui s’est proposé de démontrer l’existence d’une Raison dans l’Histoire, un Esprit, et que celui-ci n’a qu’une destination nécessaire, revenir à lui-même. Partir de l’hermaphrodite premier, c’est au bout retrouver cette nature indifférenciée : ni homme, ni femme. Pour s’en retourner au robot du rabbin Loew, un autre grand ésotériste, spécialiste de la Kabbale, Gershom Scholem, a baptisé le premier ordinateur développé en Israël, Golem.
L’illustre ancêtre du Pragois Franz Kafka, Gustav Meyrink, qui exprimera de manière prémonitoire le danger des « führers », et fut un membre actif de cercles occultistes et maçonniques, raconte dans toutes ses œuvres des légendes qui se vérifient. Il s’inscrit dans cette fin du XIXe-début XXe siècles des symboles, de l’orientalisme, de la psychanalyse. Ses ouvrages sont à l’intersection entre la littérature fantastique, l’ésotérisme et cet expressionnisme teinté de romantisme du monde germanique de son temps.
Cet important texte, qui peut autant être apprécié pour son atmosphère, son mystère, sa construction et sa voix, ressort dans une belle version éditée par la collection de Hachette, Le Rayon imaginaire, lancée fin 2021, clin d’œil au mythique Rayon fantastique.
Pour faire briller sa bibliothèque, et plus, puisque l’ouvrage profite d’une nouvelle traduction du Grand prix du roman de l’Académie française 2010 pour Nagasaki, et surtout du Prix des Deux Magots 1997 pour son recueil de nouvelles, Je suis le gardien du phare. Eric Faye est traducteur depuis 2021, avec bonheur.
Hocine Bouhadjera