Dans une tribune à « l’Obs », le chercheur Jacques Bendelac revient sur les mesures prises par le Premier ministre israélien depuis son retour au pouvoir avec le soutien de l’extrême droite. Des mesures qui affaiblissent progressivement les institutions et le rôle des contre-pouvoirs dans le pays.
La réforme de la justice lancée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’est qu’un des volets de la révision des règles du jeu de la démocratie libérale que prépare l’extrême droite qui s’est emparée du pouvoir en Israël au début de cette année. Au cours des huit premiers mois de 2023, les députés de la majorité ont déposé plus de 200 propositions de loi sur le bureau de la Knesset ; elles visent toutes un seul et même objectif : affaiblir les institutions démocratiques et les contre-pouvoirs, tout en renforçant le rôle de l’exécutif et la place de la religion dans l’espace public. Si ces propositions sont adoptées, même partiellement, elles feront entrer Israël dans le club des démocraties illibérales, à côté de la Turquie d’Erdogan et de la Hongrie d’Orban, voire de la Russie de Poutine.
L’objectif idéologique de Benyamin Netanyahou est lié à son souci de survivre politiquement à son procès en cours sous les accusations de corruption, prise illégale d’intérêts et abus de pouvoir. Redevenu Premier ministre en décembre 2022, Netanyahou a mis en place une stratégie qui lui garantisse de se perpétuer au pouvoir tout en bénéficiant d’un verdict en sa faveur. Son alliance avec l’extrême droite et les partis juifs ultrareligieux devrait lui permettre de réaliser son dessein ; la réforme judiciaire n’apparaît alors que comme la première étape d’un processus législatif qui aura pour effet de saper les fondements de la démocratie libérale israélienne.
Des lois personnelles
Parmi les nombreuses lois en cours de discussion à la Knesset, ou déjà votées, la majorité s’attaque à l’indépendance de la justice mais pas seulement ; d’autres remettent en cause l’égalité des citoyens devant la loi, dénigrent les minorités, accentuent la coercition religieuse, limitent la liberté d’expression et visent à soumettre les médias à l’arbitraire du gouvernement.
Pour s’engager résolument dans la voie illibérale, le gouvernement de Netanyahou a d’abord préparé une série de lois personnelles, c’est-à-dire qui ne profiteront qu’à une seule personne. C’est ainsi que pour s’assurer le soutien du parti orthodoxe séfarade Shass à sa coalition, Netanyahou n’a pas hésité à proposer une loi dite « loi Déry » qui devrait permettre à Aryé Déry (président du Shass) déjà condamné à trois ans de prison pour corruption, à redevenir ministre sans pouvoir être banni par les juges ; cette loi ne permettra plus à la Cour suprême d’invalider la nomination d’un ministre en raison de son lourd casier judiciaire.
De même, la « loi sur la destitution du Premier ministre » rendra quasi-impossible la destitution de Benyamin Netanyahou, d’où sa désignation populaire de « loi Netanyahou ». Désormais, le chef de l’exécutif ne pourra être déclaré inapte qu’en cas d’incapacité physique ou mentale, et ne pourra pas être démis par la Cour suprême en cas de conflit d’intérêts ou d’accusation de corruption. Enfin, la « loi sur les cadeaux » permettra à un élu de recevoir des dons illimités pour financer un traitement médical ou une procédure judiciaire ; une loi destinée d’abord à Netanyahou pour lui permettre de recevoir de riches donateurs des fonds pour financer sa défense juridique sans être soupçonné de corruption.
Une ségrégation sexiste
Les lois personnelles établissent de facto un pouvoir corrompu au sommet de l’Etat ; la stratégie illibérale de Netanyahou s’accompagne aussi de mesures renforçant la place de la religion. La « loi sur la conscription » permettra aux étudiants des écoles talmudiques d’échapper au service militaire en toute impunité. De même, la discrimination contre les femmes va en s’accentuant puisque les formations ultraorthodoxes observent des pratiques religieuses qui interdisent le mélange des sexes dans la sphère publique.
Pour consolider la coalition gouvernementale, les ministres de Netanyahou multiplient les mesures visant à séparer les hommes et les femmes dans les transports publics, les parcs nationaux, les plages et piscines, les événements culturels, etc. De même, les tribunaux rabbiniques verront leurs prérogatives renforcées et élargies à tous les litiges civils. Quant à l’écriture inclusive – qui assurait jusqu’à présent une égalité de genres dans le langage –, elle est désormais bannie des documents officiels israéliens : en juillet dernier, Le commissaire à la fonction publique a annoncé que, dorénavant, les formulaires publics, annonces et documents officiels, utiliseront uniquement la forme masculine.
Avec un gouvernement qui ne compte que 6 femmes (18 % des ministres) et un Parlement qui ne comprend que 30 femmes (25 % des députés), les lois antiféministes ne rencontreront aucune difficulté à être adoptées.
Contrôle des médias
La mise au pas des médias consolidera la démocratie illibérale voulue par Netanyahou. Une des premières mesures prises par le Premier ministre a été la création d’un « ministère de l’Information » destiné à porter la bonne parole gouvernementale dans le pays et à travers le monde entier.
Rapidement, le ministre des Communications a déposé un projet de loi visant à restreindre la liberté de la presse et à rendre les médias audiovisuels dépendants du bon vouloir du gouvernement. Il menace de fermer les médias trop critiques du pouvoir (notamment le réseau public Kan et la radio de l’armée Galeï Tsahal) et d’ouvrir le secteur des télécommunications à des investisseurs privés proches de l’idéologie gouvernementale. Il a aussi annoncé qu’il mettra fin à l’obligation d’obtenir une licence publique avant de pouvoir diffuser des informations.
Concrètement, tous les conseils de régulation existants (radio et télévision, par câble et satellite) seront dissous et remplacés par une seule autorité dont les deux tiers des membres seront nommés par le gouvernement ; autrement dit, le contrôle des chaînes d’info passera des mains professionnelles aux mains politiques. De même, seule une autorité publique aura le droit de mesurer et de publier les chiffres de l’audience des journaux télévisés.
Des retombées géopolitiques
L’illibéralisme de Benyamin Netanyahou n’a pas que des retombées intérieures, il a aussi des conséquences géopolitiques. Le Premier ministre israélien tente régulièrement de se rapprocher des pays qui font déjà partie du club des démocraties illibérales, en essayant de les imiter et en tissant avec eux des relations économiques qui renforcent leur interdépendance.
C’est bien par pure stratégie que Benyamin Netanyahou évite de prendre position dans le conflit russo-ukrainien ; un neutralisme qui lui permet de ne pas se mettre à dos le chef du Kremlin. En parallèle, les commandes engrangées en 2023 par les industries militaires israéliennes battent tous les records antérieurs ; en vendant des armes et des technologies avancées de défense aux puissances d’Europe de l’Ouest (comme l’Allemagne) et de l’Est (comme la Pologne), ainsi qu’aux pays limitrophes avec la Russie (Finlande et Estonie), l’Etat juif renforce son rôle de « start-up nation » et confirme la légitimité du commerce des armes, tout en permettant à son chef actuel de se poser en « sauveur de la nation ».
Le gaz exploité par Israël au large des côtes de la Méditerranée est devenu un autre outil de la stratégie illibérale de Netanyahou. L’Europe s’est déjà montrée intéressée par des fournitures de ce gaz qui lui permettrait de diversifier ses sources d’approvisionnement. En revanche, une polémique a éclaté au sein du gouvernement israélien sur le meilleur moyen d’acheminer le gaz vers l’Europe. Dorénavant, le Premier ministre préfère un transfert par gazoduc via la Turquie plutôt que Chypre : une manière de renouer des liens durables avec le dirigeant d’Ankara avec qui Netanyahou partage le goût du pouvoir absolu.
Malgré les réformes en cours, Israël continuera de se définir comme un Etat juif et démocratique qui recherche sa légitimité dans les urnes. En revanche, il sera un peu moins libéral et un peu plus messianique qu’il ne le fut durant ses soixante-quinze années d’existence. Le pays de Netanyahou, en devenant un régime autoritaire, nationaliste et ultraconservateur, aura gagné son entrée dans le club des démocraties illibérales.
Bio Express : Jacques Bendelac, franco-israélien, docteur en sciences économiques de l’université de Paris-II, est chercheur en sciences sociales à Jérusalem. Il est l’auteur de nombreux essais, dont « les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (Editions l’Harmattan, 2022).
Tout a fait a cote de la plaque Mr. le chercheur OBS. Tout le monde en Israel (y compris la gauche) etaient pour une reforme judiciere depuis la revolution judiciaire de Aaron Barak en 1993 s’octroyant des pouvoirs eccessifs hors normes. La reforme judiciaire est l’excuse, pas la raison des manifestations auquelles se sont joint des mouvement contestataires de tout poils. Les elites n’ont pas digeres d’avoir perdu les elections et le pouvoir qu’il veulent a tout prix reprendre!