Poursuivis pour fraude fiscale, les héritiers de cette richissime famille de marchands d’art avaient été successivement relaxés en 2017 et 2018. La Cour de cassation a décidé de les renvoyer une nouvelle fois devant la cour d’appel de Paris. Au centre de ce dossier complexe : la fiscalité des trusts en France.
Ils auraient été les bénéficiaires de « la fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République ». En 2017, la procureure Monica d’Onofrio n’avait pas mâché ses mots. Hasard des nominations, c’est elle qui, à nouveau, va porter l’accusation avec le procureur général Yves Micollet dans cet incroyable dossier de fraude supposée, d’art et de saga familiale : les Wildenstein sont à nouveau devant la justice ce lundi.
Depuis 2013, le fisc français réclame aux héritiers de cette famille de marchands d’art mondialement reconnue depuis quatre générations, près de 600 millions d’euros pour avoir dissimulé leur fabuleuse fortune dans des trusts lors des différentes successions. Le tribunal les avait relaxés en 2017 , confirmé devant la cour d’appel en 2018. Mais la Cour de cassation a finalement ordonné qu’un nouveau procès ait lieu.
A partir de ce lundi 18 septembre, la cour d’appel de Paris devra donc, à nouveau, se pencher sur cet entrelacs de holdings et de trusts confortablement installés dans des paradis fiscaux renfermant la propriété de ce que l’art a fait de plus beau depuis des siècles, des Fragonard, Watteau, Bonnard, Le Caravage ; mais aussi des propriétés tout autour de la planète, des jets privés, des écuries de course… Pour le fisc, les Wildenstein auraient dû intégrer l’ensemble de ces actifs dans les déclarations de succession.
Fiscalité des trusts
Pourtant à la mort de leur père, Daniel Wildenstein, en 2001, Guy et Alec n’avaient mentionné « que » 40,9 millions d’euros d’héritage et payé – en bas-reliefs sculptés pour la laiterie de la reine Marie-Antoinette – des droits de succession à hauteur de 17,7 millions d’euros. Puis à nouveau, lors du décès d’Alec senior en 2008, des biens auraient été dissimulés.
Alors, cette fois encore, devant les juges, Guy Wildenstein, son neveu Alec junior et son ex-belle-soeur Liouba Stoupakova, ainsi que deux avocats, un notaire et deux gestionnaires de fonds sont amenés à comparaître.
Au centre de ce dossier complexe : la fiscalité des trusts en France. Ce n’est qu’en 2011, donc après les deux déclarations de succession de Daniel et Alec Wildenstein, qu’une loi est venue organiser en France la fiscalité de ces véhicules de droit anglo-saxon qui abritent des actifs confiés par leur propriétaire à une personne de confiance, le « trustee », à charge pour ce dernier de les administrer. La propriété étant transférée vers la structure, les bénéficiaires du trust n’en auraient pas la maîtrise et n’auraient donc pas à les déclarer.
Déclaration incomplète
Mais pour la Cour de cassation qui a renvoyé les Wildenstein devant la cour d’appel, contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions du fond, il n’y avait pas « absence de toute fiscalité » sur les « trusts » avant 2011, puisque l’article 1741 du Code général des impôts punit la dissimulation volontaire, quelle que soit la fiscalité applicable à l’actif. À tout le moins, la déclaration de succession Wildenstein serait incomplète.
Par ailleurs, toute la question est de savoir si les Wildenstein s’étaient réellement dessaisis de leurs biens grâce à ces structures : « il importe (pour qu’il y ait absence d’imposition NDLR) que le trust soit qualifié de discrétionnaire et d’irrévocable », notent les hauts magistrats. Bref, il faut analyser précisément le fonctionnement des structures et des « prérogatives révélatrices du droit de propriété », pour savoir si les héritiers Wildenstein auraient dû déclarer et payer des droits de succession sur les actifs contenus dans ces trusts. Les héritiers avaient-ils oui ou non la maîtrise des actifs contenus dans ces trusts ? Pouvaient-ils par exemple vendre sans l’aval du trustee des tableaux ?
Les audiences devraient ainsi être consacrées à décortiquer le fonctionnement précis des « Sons trust », « David trust », « Delta trust » et autre « Sylvia trust » du nom de la seconde épouse de Daniel Wildenstein, Sylvia Roth, qui n’aurait même pas été au courant de l’existence de celui-ci.
« Dallas-sur-Seine »
C’est d’ailleurs par les femmes que ce scandale avait été révélé. Un véritable « Dallas-sur-Seine » comme l’avait qualifié la veuve flouée. A la mort du patriarche, ses beaux-fils, Guy et Alec, lui avaient fait renoncer à la succession en échange d’une rente annuelle en lui faisant croire que leur père était mort ruiné. Le 14 avril 2005, le renoncement de la veuve avait été annulé par la justice civile, estimant que celui-ci avait été injustement obtenu par les deux hommes. En 2009, Sylvia Roth avait porté plainte au pénal, accusant Guy et Alec de lui avoir dissimulé (ainsi qu’au fisc) une partie de la colossale succession.
Une information judiciaire est ouverte peu avant le décès de la veuve en novembre 2010. Le 16 février 2011, Liouba Stoupakova, veuve d’Alec Wildenstein, qui s’estime, elle aussi, lésée au profit des héritiers en ligne directe, dépose également plainte. Elle est jugée aujourd’hui pour complicité de blanchiment.
Le procès doit s’achever le 4 octobre et la décision de la cour sera mise en délibéré. En première instance, le parquet national financier (PNF) avait demandé des peines très lourdes, en particulier contre Guy Wildenstein : quatre ans de prison, dont deux avec sursis et 250 millions d’euros d’amendes.
Par Valérie de Senneville