Pour la première fois, une délégation israélienne s’est rendue officiellement à Riyad le 11 septembre. En coulisses, l’Arabie saoudite et Israël procèdent à une normalisation de leurs relations que peu auraient imaginée il y a peu. Avec des conséquences immenses.
Lundi 28 août, un avion d’Air Seychelles à destination de Tel-Aviv doit se poser en urgence à l’aéroport de Djeddah, en Arabie saoudite. L’appareil connaît des problèmes électriques et le pilote refuse de poursuivre vers l’aéroport israélien, à 1 500 kilomètres de là. A bord, 128 citoyens d’Israël, pays avec lequel Riyad n’entretient pas de relations diplomatiques. « Nous avons eu très peur au début, mais ils ont été charmants, très souriants », a confié une des passagères à la radio israélienne lors de son arrivée à Tel-Aviv. Le lendemain, le Premier ministre Netanyahou se fend d’une vidéo sur son compte X (ex-Twitter) pour remercier les autorités saoudiennes de leur « attitude chaleureuse » et se féliciter de la relation de « bon voisinage » entre les deux pays.
La normalisation avec Israël, un sujet toujours explosif dans le monde arabe
L’écho médiatique suscité par cette banale panne mécanique illustre l’importance du dossier saoudien pour Israël. Depuis de longs mois, l’Etat juif négocie la normalisation de ses relations avec le géant arabe, par l’entremise des Etats-Unis. « Israël a clairement intérêt à renforcer et à médiatiser ses liens avec l’Arabie saoudite, indique Yoel Guzansky, spécialiste du sujet à l’Institut d’études sur la sécurité nationale (INSS), un centre de recherche basé à Tel-Aviv. On considère qu’un accord avec l’Arabie saoudite donnerait à d’autres pays du monde musulman et arabe une légitimité plus grande, sinon absolue, pour nouer des liens avec Israël. »
Le sujet reste pourtant explosif dans le monde arabe. Fin août, la brève rencontre, à Rome, entre la ministre des Affaires étrangères libyenne et son homologue israélien a enflammé Tripoli et provoqué le limogeage et la fuite de la cheffe de la diplomatie vers l’étranger.
Imminent pour les uns, improbable pour les autres, le rapprochement israélo-saoudien suscite toutes sortes de prédictions contradictoires, mais l’activité diplomatique de ces dernières semaines semble confirmer la thèse d’une normalisation en cours. Le 5 septembre, des délégations américaine et palestinienne se sont croisées à Riyad pour évoquer cette éventualité. Et, le 11 septembre, l’Arabie saoudite a accueilli officiellement une délégation israélienne pour un sommet de l’Unesco… Durant tout l’été, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a multiplié les contacts pour faire avancer le dossier. « L’administration Biden est engagée dans le processus des accords d’Abraham et vise le gros lot : l’accord de normalisation avec l’Arabie saoudite. Cependant, le chemin vers cet objectif est pavé de défis », note Joe Macaron, analyste au Wilson Center, un think tank basé à Washington.
Quelles conséquences pour les Palestiniens ?
La principale préoccupation des Saoudiens est de donner des gages aux Palestiniens. Ces derniers comprennent mal ce rapprochement, alors même qu’Israël intensifie la colonisation en Cisjordanie et tourne résolument le dos à une solution négociée. Sous la pression des conservateurs saoudiens, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) s’efforce de sauver les apparences. Le 12 août, l’ambassadeur saoudien à Amman, en Jordanie, a présenté ses lettres de créance en tant qu’ambassadeur auprès de l’Autorité palestinienne et en tant que consul général de Jérusalem. De plus, MBS propose de financer un plan d’investissements conséquent en Cisjordanie. « Ben Salmane a fait le premier pas vers les Palestiniens », note Ibrahim Dalalsha, analyste politique basé à Ramallah, qui précise que les Saoudiens informent les Palestiniens des discussions en cours à Washington. « Pour le moment, ni l’Autorité palestinienne, ni le Hamas n’ont condamné les consultations saoudiennes autour de la normalisation avec Israël », remarque-t-il.
Avec un accord de ce type, Riyad renoncerait à sa propre initiative de paix. Présentée en 2002, elle faisait de la formation d’un Etat palestinien, avec Jérusalem-Est pour capitale, un préalable à des relations diplomatiques entre Israël et les pays arabes. « Nous ne souhaitons pas de financements, mais des étapes concrètes pour stopper la colonisation », prévient Bassam Khoury, ancien ministre de l’Autorité palestinienne.
Sur ce point, l’actuel gouvernement israélien se montre peu enclin au compromis. « Nous céderons beaucoup moins que vous le pensez », a affirmé Benyamin Netanyahou, le 7 août, sur Bloomberg TV. Les nationalistes religieux, indispensables à la coalition au pouvoir, ont prévenu qu’ils s’opposeraient à toute concession territoriale en faveur des Palestiniens. En revanche, les responsables sécuritaires israéliens sont disposés à accepter le programme nucléaire civil exigé par Riyad en échange de la normalisation. Les deux pays ne nourrissent aucun contentieux et font même de leur hostilité commune à l’Iran la principale motivation de ce rapprochement.
« Nous ne parlons pas de normalisation, mais d’un Moyen-Orient intégré, unifié comme l’Europe. Nous sommes tous des Etats souverains, mais nous partageons des intérêts communs », a résumé récemment l’ambassadrice saoudienne aux Etats-Unis, Reema bint Bandar al-Saoud. Des propos inconcevables il y a seulement trois ans.