Dans sa chronique, Éliette Abécassis estime qu’une « fièvre antisémite » a gagné la société française, et s’interroge : que s’est-il passé ? Que nous est-il arrivé ?
Il y a vingt ans, je sortais dans la rue avec une étoile de David autour du cou. Il était encore possible d’enseigner la Shoah dans tous les collèges et les lycées. Le gouvernement et l’éducation nationale n’avaient pas effacé ce « détail de l’histoire » du programme officiel. Dans les soirées, j’osais aborder le thème d’Israël sans craindre d’être prise à partie plus ou moins violemment. Je pouvais aussi raconter mes vacances dans ce pays sans que l’on me parle de géopolitique, et que l’on donne des leçons de morale, de justice, de politique.
Et je lisais les journaux sans que mon regard soit attiré par les faits divers et variés. Un enfant juif a été agressé. Une dame a été torturée et jetée par la fenêtre. Une personnalité juive a été dénoncée comme telle par un rappeur qui a l’habitude de proférer des propos antisémites, certains partis politiques l’ont soutenu. (Pas la femme juive. Le rappeur antisémite.)
Il y a vingt ans, je ne voyais pas apparaître des caricatures dignes des années trente sur Internet, ni des menaces à partir de listes des Juifs de France. Je ne pensais pas entendre un jour scander des slogans antisémites lors de manifestations contre le passe sanitaire ni lire sur les murs, « mort aux juifs ».
Je ne voyais pas des caricatures du président de la République avec le nez et les doigts crochus. Je n’imaginais pas qu’un commerce serait brûlé, qu’une synagogue serait attaquée. Que des manifestations contre les juifs seraient organisées, dans la violence et la haine. Je croyais dans l’éducation et dans l’école. Je pensais aussi que l’État tiendrait le pays loin des dérives fascistes. Que le droit et la loi condamneraient l’assassin qui a sauvagement assassiné la directrice d’une école juive.
Pour moi, la Shoah était incompréhensible. Je me disais : plus jamais ça ! Et surtout, je me demandais : pourquoi les juifs ne sont-ils pas partis à temps, alors que tant de signes inquiétants auraient dû les alerter ?
Il y a quelques années, je ne me savais pas en exil sur ma terre natale. La France était mon pays, ma culture, ma façon d’être et de penser. Il n’était pas envisageable de la quitter. D’y penser sérieusement, de rêver d’une autre vie, de ne plus me projeter ici. De penser et de dire de plus en plus souvent qu’il n’y a pas d’avenir pour un juif en France. De renoncer. De baisser les bras et de lâcher l’affaire.
Il y a vingt ans, juive et française : je ne voyais pas le problème. Je ne pensais pas être déchirée par le doute et le questionnement, la colère et le ressentiment. L’agacement, souvent, devant la série des blagues pas drôles sur la Shoah. Faut-il vraiment en rire ? Faut-il en pleurer ? Faut-il se taire ? Faut-il quitter la salle de spectacle, la soirée, la ville, le pays ? Le problème devient une obsession quotidienne. Juive : un sentiment de malaise et d’angoisse, lorsqu’il s’agit d’expliquer aux enfants qu’il ne faut pas raconter qu’on a passé ses vacances en Israël, qu’il ne faut pas dire qu’on est juifs, en fait, qu’il faut désormais se taire et accepter ce qui est redevenu une condition.
On en est arrivé là : il faut se cacher. Il faut enlever la mezouzah de sa porte et les étoiles de ses yeux. Autant être expulsé de terre de France, comme douze fois auparavant, en 533, en 633, en 1009, en 1182, en 1254, en 1306, en 1322, en 1394, en 1491, en 1501, en 1615, en 1683 et en 1724, jusqu’en 1791, où les Juifs devinrent citoyens français. Avant 1941, où eurent lieu les premières rafles et les premières déportations.
Il y a quelques années, ils étaient encore en vie. Sébastien Selam, Ilan Halimi, Myriam Monsonégo, Arié, Gabriel et Jonathan Sandler, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada. Sarah Halimi. Mireille Knoll. Tous sont morts parce que juifs.
Que s’est-il passé ? Que nous est-il arrivé ? De l’islamisme, de l’acharnement médiatique, de l’antisionisme, nouvelle forme de l’antisémitisme, sommes-nous les cibles ? Au Moyen Âge, les juifs avaient tué le Christ. Dans les années trente, ils étaient la race inférieure. Aujourd’hui, ils sont Israël. Et ces« Territoires perdus de la République », selon l’expression d’Emmanuel Brenner, sont devenus toute la République, puisque c’est la République qui s’est perdue sur ses territoires.
La fièvre antisémite a gagné la société. Vingt ans de compromission, de démission et comme le dit Michel Houellebecq, de soumission, nous ont mené à ce désastre. Le discours fort et sincère du premier ministre Manuel Valls du 9 janvier 2016, sa conviction à dire « sans les Juifs de France, la France ne serait pas la France » est un pansement sur cette plaie, une vérité.
Voir des Français juifs quitter de plus en plus nombreux leur pays, parce qu’ils ne se sentent plus en sécurité, mais aussi parce qu’ils ne se sentent plus compris, parce qu’ils ne se sentent plus à leur place, aurait dû être depuis longtemps, pour nous tous français, une idée insupportable. Je trouve l’idée insupportable. Et la France aussi.
Eliette Abécassis
Superbe texte, mais quel dommage de l’écrire maintenant, nous savions tout çà depuis vingt déjà, mais la politique gauchiste des médias, nous ont vendu le vivre ensemble, relire les juifs en pays arabe de Georges bensoussan qui avait tout compris, dans les territoires perdus de la république, merci à vous
Dans les années 2000, Mélenchon prend son envol et l’immigration maghrébine devient une déferlante : les deux mouvements vont s’unir autour d’une valeur commune : la détestation des juifs, tous banquiers pour Mélenchon, tous israéliens pour les musulmans.
Donc ne pas s’étonner et surtout ne pas pleurer, mais faire avec les circonstances comme depuis 2000 ans !