De récentes recherches ont permis de matérialiser les chambres à gaz du camp d’extermination nazi de Treblinka, à l’est de Varsovie, où près de 900 000 personnes, presque toutes juives, ont été gazées entre 1942 et 1943.
L’ambiance est solennelle au pied du monument aux victimes du camp d’extermination de Treblinka II, à une centaine de kilomètres à l’est de Varsovie, ce 2 août. Une dizaine de personnalités, d’Israël et d’Allemagne en passant par la Pologne, rendent hommage ce jour-là aux prisonniers qui, quatre-vingts ans plus tôt, se révoltaient pour prendre le contrôle du camp. Plusieurs centaines d’entre eux avaient notamment mis le feu aux baraques avant de s’enfuir dans les bois, déjouant la surveillance des SS et des gardiens. La plupart seront rattrapés, mais quelques dizaines d’entre eux survivront à la seconde guerre mondiale. « Les historiens ne savent pas si 800 000 ou 900 000 personnes ont péri ici. Comment est-ce possible de se tromper à 100 000 existences humaines près ? (…) Ce n’est pas un reproche aux historiens mais c’est un fait : on ne connaît ni les prénoms ni les noms de ces personnes », souligne au micro Monika Krawczyk, directrice de l’Institut historique juif, une institution varsovienne qui se consacre à l’histoire des juifs polonais.
Aujourd’hui, une forêt de pins entoure le site mémoriel, érigé en 1964. Deux blocs de béton symbolisent l’entrée du camp et 17 000 pierres rendent hommage aux victimes dont les cendres reposent sous une chappe de béton. Construit au printemps 1942, à deux kilomètres d’un camp de travail forcé installé par les nazis, le camp d’extermination de Treblinka II est l’un des lieux où est mis en œuvre l’Aktion Reinhard, désignant l’organisation de la solution finale sur le sol polonais, occupé par le IIIe Reich.
En treize mois, la dizaine de chambres à gaz de Treblinka II fait disparaître l’essentiel de la communauté juive de Varsovie et des villes environnantes, à laquelle s’ajoutent des Roms et des juifs de toute l’Europe. Une machine à tuer « particulièrement efficace », rappelle l’historien Zachary Mazur, affilié au Polin, le Musée de l’histoire des juifs polonais. « Il n’y avait que trente à soixante officiers présents sur place et un peu plus d’une centaine de prisonniers de guerre soviétiques, principalement ukrainiens. Et c’est aux prisonniers juifs qu’on confiait les tâches les plus abjectes autour des cadavres. »
Masquer les traces
C’est à une cadence quasi journalière que les trains arrivent jusqu’à une voie de contournement acheminant 6 000 à 8 000 personnes. « A mesure que les déportations s’intensifiaient, un ensemble de techniques a été mis au point pour que les nouveaux arrivants gardent leur calme », poursuit l’historien. Ainsi, la cahute à proximité de la rampe de déchargement a été peinte pour imiter une gare, figurant une horloge irrémédiablement figée. Les passagers, bernés par la perspective « d’un transport à l’Est » étaient priés de laisser toutes leurs affaires à l’entrée. Puis rejoignaient les chambres à gaz à 80 mètres de là, sous prétexte d’une douche, où ils suffoquaient et mouraient en quelques minutes dans les émanations des moteurs diesel d’anciens chars soviétiques.
A l’été 1943, alors que les transports de déportés se raréfient, les prisonniers redoutent d’être les prochains sur la liste. Ils mettent au point une révolte, inspirée par le soulèvement du ghetto de Varsovie en avril 1943, parviennent à soudoyer les gardes ukrainiens pour se procurer quelques armes et mettent la main sur des grenades dans un dépôt des SS. La révolte n’aura certes pas permis de mettre fin aux chambres à gaz, mais elle aura hâté la décision de fermer Treblinka II, définitivement abandonné en novembre 1943.
Les nazis prirent alors le soin de masquer méticuleusement toute trace de leur œuvre, démantelant les chambres à gaz, retournant la terre et installant une ferme sur les lieux. Pendant longtemps, la conviction qu’on « ne retrouverait rien a dominé », précise Zachary Mazur. Par respect pour les victimes, les fouilles archéologiques ont été limitées. Ce n’est que dans les années 2010 qu’une équipe menée par Caroline Sturdy Colls, une chercheuse britannique, a permis de mettre au jour des éléments de carrelage constitutifs des chambres à gaz.
Un pommeau de douche
Des carreaux rouge et jaune similaires, un pommeau de douche ainsi qu’une fondation en béton : c’est aussi ce qui a été retrouvé lors de fouilles plus récentes, menées à l’été 2023, par une équipe polonaise sous l’égide de Sebastian Rozycki. « On doit encore procéder à des analyses pour déterminer la présence d’oxyde nitrique, qui attesterait d’une combustion, mais on peut être sûr à 95 % qu’il s’agit bien de chambres à gaz », affirme le chercheur enseignant à la faculté de géodésie et de cartographie de l’école polytechnique de Varsovie.
Ces trouvailles, complétées par des techniques respectueuses du sous-sol, concordent avec les récits des témoins. « Les nazis ont certes voulu tout détruire, mais ils ont tout de même laissé un fragment de 30 centimètres de fondation à 70 centimètres du sol », remarque le chercheur, qui a également réussi à identifier où se trouvait le « lazaret », une fausse infirmerie où les juifs malades étaient exécutés sur-le-champ. « Toute trace matérielle des camps de la mort est importante et sert d’avertissement, d’autant plus que toute la documentation du camp ainsi que son infrastructure ont disparu », insiste Agnieszka Zolkiewska, historienne auprès de l’Institut historique juif.
Ces objets, que les bourreaux ont tenté à tout prix de dissimuler, pourraient se retrouver au centre de la future collection du musée de Treblinka, alors qu’un nouveau bâtiment devrait héberger d’ici 2025 une exposition plus complète que celle que renferment les deux petites salles actuelles.