Le film indien disponible sur Amazon Prime provoque un tollé pour sa banalisation des camps et de Hitler sur fond de voyage amoureux en Europe.
Bawaal ressemble à une comédie romantique comme Bollywood en produit des dizaines chaque année. Ajay, un piètre professeur d’histoire, ignare et narcissique, est marié à une femme charmante mais épileptique. La maladie ruine leur mariage, jusqu’à ce qu’ils partent en voyage en Europe. Mais pas n’importe où : sous prétexte de recherches historiques, les époux en quête d’un second souffle vont explorer les traces de l’Allemagne nazie, depuis Berlin jusqu’aux camps de concentration. Arrivée dans l’ancienne capitale du IIIe Reich, la plantureuse Nisha, incarnée par Janhvi Kapoor, compare nonchalamment ses caprices du quotidien à la dictature sanguinaire de Hitler, en lançant «nous avons tous un Hitler en nous». Le festival du mauvais goût continue, car le réalisateur Nitesh Tiwari, célèbre pour son film Dangal (2016), commence alors à surfer sur le drame de l’Holocauste pour capturer son audience dans un mélodrame nauséabond. Un rescapé d’Auschwitz, qui a perdu sa femme dans les camps, confie ainsi étrangement au couple que «chaque relation passe par son Auschwitz», pour que la jeune Nisha puisse répéter ces mots et se les approprie, à côté d’un mari qui semble avoir soudainement vu la lumière. L’apothéose arrive quand le couple visite le camp d’Auschwitz : dans un faux réalisme indécent, le réalisateur passe alors l’image en noir et blanc, place les deux personnages dans les douches du camp, entourés d’une foule de prisonniers squelettiques en habits rayés. Mais quand le gaz sort, Nisha est prise d’une crise d’épilepsie, la réalité en couleur réapparaît, et l’empathie du public envers les victimes d’Auschwitz est aussitôt transmuée pour illustrer les petits problèmes matrimoniaux d’un couple indien.
Bawaal devait sortir en salles, mais il a finalement été lancé directement en ligne, sur la plateforme Amazon Prime, le 21 juillet, et une grande partie de la critique indienne a dénoncé ses outrances. The Hindustan Times, l’un des plus importants quotidiens en anglais, le qualifie du «film le plus insensible que l’industrie en hindi a produit de mémoire récente».
The Israeli embassy is disturbed by the trivialization of the significance of the Holocaust in the recent movie ‘Bawaal’.
There was a poor choice in the utilization of some terminology in the movie, and though we assume no malice was intended, we urge everyone who may not be…
— Israel in India (@IsraelinIndia) July 28, 2023
Demande de retrait
Mais c’est surtout au sein de la communauté juive que les dénonciations ont été les plus virulentes : «Auschwitz n’est pas une métaphore, c’est l’exemple par excellence de la capacité de l’Homme au mal, a déclaré Rabbi Abraham Cooper, le doyen associé du centre Simon-Wiesenthal, une association américaine dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. En faisant déclarer au protagoniste de ce film que “toute relation passe par son Auschwitz”, Nitesh Tiwari banalise et rabaisse la mémoire de six millions de juifs assassinés et de millions d’autres qui ont souffert aux mains du régime génocidaire d’Hitler», conclut-il dans une lettre du 25 juillet, qui demande à Amazon Prime de retirer ce film de sa plateforme.
La multinationale n’a pas répondu à cette injonction, et une partie du public indien semble apprécier cette romance : les deux acteurs sont célèbres – et de familles renommées dans l’industrie, telle que la dynastie des Kapoor – et Bawaal est aujourd’hui le deuxième long métrage le plus regardé en Inde sur Amazon Prime. Tous les Indiens ne semblent donc pas être aussi sensibles à la question de l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et il faut dire que les crimes nazis sont à peine enseignés dans les écoles. Le personnage de Hitler n’a ainsi jamais été repoussant. Au contraire, il est parfois considéré comme un dirigeant puissant et son ouvrage Mein Kampf connaît un certain succès.
«Contenu raciste»
Selon l’historien moderne Aditya Mukherjee, président élu du Congrès indien d’histoire, cette acceptation du dictateur allemand a même tendance à augmenter sous le gouvernement nationaliste hindou actuel. «L’organisation nationaliste hindoue du RSS [d’où est issu le parti du Premier ministre Narendra Modi, ndlr] a été fondée en s’inspirant de Hitler, rappelle-t-il. Et dans la région du Gujarat, les écoles de ce mouvement avaient récemment des livres qui parlaient de Hitler comme d’un grand homme ayant permis le développement de l’Allemagne et rendu les Allemands fiers de leur race», explique cet historien, qui a coécrit un ouvrage sur le sujet. Sous ce gouvernement, qui est lié au RSS, «ces écoles se développent, et ce genre de contenu raciste, particulièrement envers les musulmans, rentre progressivement dans le programme scolaire».