Pour le professeur de science politique à l’université libre d’Israël, la loi fondamentale sur la justice qui vient d’être amendée à la Knesset n’est pas l’acte de naissance d’une dictature mais le baptême du feu d’une démocratie illibérale. Une crise qui révèle les fractures profondes de la société israélienne.
Israël est-il devenu à l’issue du vote de cette loi une dictature ? La question est légitime. De nos jours, la chute d’une démocratie libérale n’est plus le fait d’un coup de force, d’un pronunciamiento à la Franco ou d’un coup d’Etat fomenté par un quarteron de généraux ; elle n’est plus précipitée par des forces qui ont en haine le parlementarisme, le suffrage universel et la démocratie. Il convient de faire aux partisans de la «réforme» une concession : un renforcement des pouvoirs de l’exécutif au détriment de l’autorité judiciaire ne signe pas l’arrêt de mort d’une démocratie. Toute autorité qui dispose de pouvoirs est susceptible d’en abuser.
Cette tentation peut aussi bien être le fait des juges que des députés. Le premier risque s’appelle le «gouvernement des juges», et Tocqueville a qualifié le second de «tyrannie de la majorité». Les militants du mouvement civique sont convaincus que la tyrannie de la majorité est une menace sur les libertés bien plus tangible que ne l’a été l’interventionnisme juridique. Leurs adversaires pensent exactement le contraire, si ce n’est qu’ils aggravent l’inquiétude des premiers à nier l’éventualité de cette tyrannie potentielle. Aussi mieux vaut surestimer le potentiel antidémocratique de la «réforme», quitte à se tromper au final, qu’à le sous-estimer, comme le font ses partisans.
Il est trop tard pour appeler à la fraternité
L’inquiétude n’est ni feinte ni vaine : la culture politique démocratique d’une grande partie des députés et des ministres est superficielle et se réduit au seul critère de la règle de la majorité. Soyons plus explicites : la présence d’une bonne moitié d’élus qui entendent mener une politique théocratique, suprémaciste et coloniale a de quoi faire frémir. Il suffit de lire les accords de coalition et les projets de loi déposés depuis le début de l’année pour saisir l’ampleur de la contre-révolution en marche. La loi votée cette semaine n’est qu’un «hors-d’œuvre», l’entrée qui précède le plat de résistance, déclarent-ils avec l’assurance des entreprises qui ne dissimulent pas leur stratégie. Appliquée par une classe politique qui ferait preuve de retenue, la même réforme n’aurait pas suscité un tel émoi.
Maintenant qu’on a supprimé cette épée de Damoclès, la majorité va persévérer et supprimer celles qui sont encore suspendues au-dessus de leurs têtes. La loi fondamentale sur la justice qui vient d’être amendée à la Knesset afin de retirer aux juges le pouvoir d’annuler une décision gouvernementale et ministérielle lorsqu’ils l’estiment «déraisonnable» n’est pas, en tant que tel, l’acte de naissance d’une dictature. Elle constitue toutefois, pour une démocratie illibérale, le baptême du feu. Aussi on a raison de s’inquiéter, on a raison de se révolter. La tolérance envers des idées extrêmes est concevable tant qu’elles sont défendues par des forces qui siègent sur les bancs de l’opposition. Dès lors qu’elles ont les moyens politiques d’accomplir leur projet, la vigilance doit être totale.
Au-delà des spéculations sur les manœuvres qui suivront (nomination des juges, clause de contournement, etc.), le film des derniers événements fait craindre le pire. S’il y avait un aspect de la «réforme» sur lequel un consensus avait été atteint, c’était bien ce critère de «raisonnabilité». Benyamin Nétanyahou a accusé l’opposition d’avoir torpillé la négociation en cours. Admettons qu’il ait raison. Qu’est-ce qui l’empêchait d’assouplir unilatéralement le texte initial, ne serait-ce que pour calmer les appréhensions de la rue ? Au lieu d’écouter la voix de la raison et d’emprunter le chemin du compromis, Benyamin Nétanyahou a tranché en s’abstenant d’imposer à ses partenaires obstinés un compromis honorable.
En adoptant la réforme sans le moindre amendement, il a persisté à ne voir dans les manifestants que des «anarchistes» et des «réfractaires», alors qu’il sait parfaitement que ce sont les forces vives de la société israélienne qui y prennent part et méritent un minimum de considération. Il s’est révélé un chef de clan, non le leader d’une nation. Désormais, il est trop tard pour appeler à la fraternité alors qu’il avait l’occasion unique de l’inscrire en acte. En préférant manœuvrer une coalition dont il n’était nullement l’otage, il s’est montré dépourvu d’envergure.
C’est le traumatisme de l’assassinat de Rabin
La crise n’est pas seulement institutionnelle : elle a révélé les fractures profondes de la société israélienne qui oppose Juifs ashkénazes et orientaux, Juifs laïques et religieux, Palestiniens et Juifs d’Israël, peuple de gauche et peuple de droite, classes moyennes et couches populaires. Il faut cependant se méfier des apparences. C’est un trio d’Ashkénazes qui est à l’origine de la contre-révolution judiciaire : Yariv Levin, Simcha Rothman et Bezalel Smotrich soutenus, in fine, par Benyamin Nétanyahou. Les classes populaires séfarades de la périphérie urbaine boudent les manifestations des deux bords. Cependant, il est urgent de vider l’abcès par rapport aux fautes du passé tant avec les Juifs orientaux qu’avec les Palestiniens d’Israël. C’est de cet examen de conscience que dépendra la victoire des forces libérales.
Le degré de pratique religieuse couplé au soutien à la colonisation est incontestablement la variable prédictive du camp que personnes croyantes et pratiquantes finissent par rejoindre. Le problème n’est pas intrinsèque au judaïsme dont on nous livre ici la version politique la plus fermée. C’est l’absence de parti démocrate-juif, à l’instar des partis démocrates-chrétiens en Europe, qui fait cruellement défaut, ou encore le trop petit nombre de «juifs de gauche», au sens de «chrétiens de gauche». Là aussi, une révision doit être engagée pour démontrer la compatibilité des deux éléments.
Il est indéniable que le mouvement civique a résulté du décalage réel entre le poids des élites professionnelles dans la société civile et leur sous-représentation au sein du pouvoir : elles ne se sentent nullement représentées au sein de la coalition actuelle en dépit de leur contribution éminente à la société, à l’économie, à la science et, last but not least, à l’effort de guerre et à l’institution militaire. Or, Israël est un pays où persiste encore une forte culture républicaine en vertu de laquelle un citoyen est estimé en fonction de sa participation à l’effort national. Voilà pourquoi un soldat qui a effectué son service militaire compte plus – en termes de considération sociale – qu’un étudiant en yeshiva [école talmudique] qui en a été dispensé.
La vérité profonde de ce mouvement est restée taboue, tel un insupportable secret de famille : c’est le traumatisme de l’assassinat de Rabin, le coup d’arrêt à la voie de la paix qu’il avait percée en son temps. Certains de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir en Israël sont l’antithèse morale et idéologique de ce qu’avait incarné Rabin. Inversement, la plupart des manifestants sont des contemporains qui ne se sont pas remis de son assassinat tandis que les plus jeunes, qui n’ont pas connu Rabin de son vivant, sont dans les rues depuis sept mois. Malgré la défaite, la protestation civique a pris conscience de ses capacités à faire front : elle ne laissera pas la démocratie israélienne agoniser.
Rabin, s’il avait survécu. aura-t-on constaté qu’il avait signé des accords avec quelqu’un un de mauvaise foi. La Gauche est toujours aveugle. Dénis Charbit n’y échappe pas. Ce qui unit les Juifs, ce qui fonde leur unité, c’est leur unité. Si ce critère est « negligé » quelle est notre validité sur cette terre ?
Si Rabin ZAL n’avait pas été assassiné par un juif
Nous aurions certainement signé la paix avec
les palestiniens.
Pourquoi??