« Roman Abramovitch, le plus secret des oligarques » (1/6). « Le Monde » retrace le parcours de cet homme d’affaires mystérieux et insaisissable. Du business du pétrole aux coulisses du Kremlin, de Londres à l’Ukraine, il incarne les mutations de la Russie postsoviétique et les années Poutine.
Rendez-vous nous a été donné dans la suite 1288 de l’hôtel Ritz-Carlton, à Herzliya, une banlieue chic au nord de Tel-Aviv (Israël). Problème : cette chambre n’existe pas. « Excusez mon indiscrétion, s’enquiert une employée de l’établissement de luxe, près de la piscine. Vous cherchez le monsieur russe, avec des gardes du corps ? » Oui, Roman Abramovitch, 56 ans, le puissant oligarque réputé proche du président Vladimir Poutine. Une porte s’ouvre alors, au bout du couloir, comme par enchantement. A l’intérieur, nulle trace du milliardaire, venu sur la côte israélienne passer la saison estivale, avec son entourage. Il ne parle plus à la presse depuis belle lurette, et cet après-midi orageux de juin ne fera pas exception.
A sa place, Henry, l’un de ses associés historiques, et Olga, une porte-parole de l’homme d’affaires depuis huit ans (les prénoms ont été modifiés à leur demande), reçoivent dans un décor blanc et froid, avec une terrasse privée donnant sur la mer. Une canette de Coca Light et un paquet de cigarettes posés sur la table, la quadragénaire déroule le récit de ses origines russo-libano-suédoises, de son père violent, de sa fille qu’elle a élevée seule, soutenue par son patron. « Sa naissance a coïncidé avec la pandémie, on logeait dans un appartement collé à Stamford Bridge, le stade déserté de Chelsea, affirme la communicante, en référence au club de football londonien dont Abramovitch a été le propriétaire, de 2003 à 2022. Roman a insisté pour que je continue à travailler pour lui, quitte à emmener mon bébé en réunion… Il aime s’entourer de collaborateurs qui ont traversé, comme lui, un tas d’épreuves. »
Ce clan d’une douzaine de personnes a suivi l’homme d’affaires à chaque étape, ou presque, de la constitution de son empire, à partir du milieu des années 1990. Dans ses entreprises pétrolières, en Russie ; dans sa carrière politique en Tchoukotka, une région de l’Extrême-Orient russe ; à Londres, donc ; ou dans les nombreuses start-up israéliennes et le vaste parc immobilier où il a investi. Aucun de ces fidèles n’a jamais trahi l’oligarque dont la fortune est estimée à un peu plus de 9 milliards de dollars (environ 8 milliards d’euros), contre 14,5 milliards de dollars en 2021. « Je ne travaillerai pour personne d’autre », souligne Henry, son collaborateur de toujours. Cet ancien d’une banque d’affaires américaine vante le « sixième sens » de Roman Abramovitch, son obsession du résultat. D’après lui, l’oligarque chercherait constamment à « réparer des choses », sans jamais chercher « la moindre publicité ».
Conciliateur insaisissable et influent
Attentionné, mais fuyant l’attention, tel serait le paradoxe du milliardaire. Personnage incontournable de la Russie moderne, préférant la discrétion des coulisses au devant de la scène, il s’est imposé comme le plus célèbre et le plus secret des « oligarques » – ces entrepreneurs qui ont profité des privatisations en frayant avec le Kremlin au moment de l’effondrement du bloc de l’Est. Célèbre, Abramovitch l’est devenu par son parcours hors du commun, qui épouse les soubresauts russes, de la perestroïka à la dérive autoritaire de Vladimir Poutine. Orphelin à 3 ans d’une famille juive soviétique, mécène des avant-gardes culturelles ou de la communauté juive et même, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, diplomate de l’ombre, il sait se rendre indispensable.
Secret, l’homme le serait de nature, assurent ceux qui l’ont fréquenté. Décrit à la fois comme réservé, calculateur, efficace ou dénué d’émotions et de valeurs, son caractère tranche avec celui de la plupart des oligarques, autrement arrogants et présomptueux. Souvent habillé d’un simple jean, avec une barbe de trois jours, le timide quinquagénaire regarde rarement ses interlocuteurs dans les yeux. « Son génie a été de se comporter comme un gentil chien : pendant que les autres hommes d’affaires aboyaient, il est resté la tête basse, loyal », décrit Bill Browder, l’ancien gérant du plus grand fonds d’investissement étranger en Russie, Hermitage Capital Management, qui l’a rencontré pour la première fois autour d’un café, au milieu des années 1990.
Une attitude qui ferait de Roman Abramovitch l’archétype du « honest broker ». Dans les relations internationales, ce terme désigne la personne acceptée par tous les partis en présence comme impartiale, mais n’oubliant jamais son intérêt personnel. Dès les années 1990, il se forge la réputation d’être « celui qui permet de régler les conflits », à en croire Bill Browder. Serait-ce à ces talents de conciliateur insaisissable et influent que tiendrait le mystère dont il est enveloppé ?
Car Abramovitch fascine, comme le font certains personnages de fiction. En 2004, son destin romanesque inspire un projet de comédie musicale, finalement abandonné, pour lequel Elton John devait composer certains morceaux intitulés « The Show Moscow On » ou « Putin on the Ritz ». Un film retraçant sa vie, soutenu par l’oligarque lui-même, est envisagé par la Warner, à Hollywood, au milieu des années 2010. Plus récemment, Peter Morgan, le créateur de la série Netflix The Crown, sur la reine Elizabeth II et la famille royale, a monté Patriots, une pièce de théâtre revenant sur le conflit entre Vladimir Poutine et Boris Berezovski, mentor et ancien associé d’Abramovitch. Alexandre Rodnianski, le producteur ukrainien et ami de ce même Abramovitch, aimerait voir le texte adapté au cinéma.
Usage minimal de la parole
S’il fuit les projecteurs, l’oligarque aime s’entourer des grands noms du divertissement. En 2015, à l’inauguration des nouveaux locaux du Garage, le centre culturel qu’il a ouvert à Moscou, se pressent le créateur de La Guerre des étoiles, George Lucas, l’artiste Jeff Koons ou le cinéaste Woody Allen. Les mêmes se sont croisés au cours des réceptions qu’Abramovitch a longtemps offertes en marge du Festival de Cannes, au château de la Croë, sa propriété du cap d’Antibes. L’homme d’affaires se serait-il reconnu en Zelig, le personnage qui a donné son titre à l’un des films les plus fameux de Woody Allen, en 1983 ? Comme « l’homme caméléon » imaginé par le cinéaste américain, il semble traverser les vicissitudes de l’histoire en se fondant, sans cesse, dans les décors que le destin place sur sa route.
Cette image élastique et énigmatique, Abramovitch la cultive en faisant un usage minimal de sa parole. Il n’a accordé qu’une poignée d’interviews aux médias russes et occidentaux, principalement au début des années 2000, quand il a été élu gouverneur de Tchoukotka. A l’époque, l’homme politique résume la maîtrise de sa communication face à la correspondante du Monde, Natalie Nougayrède, d’une blague russe : « Quelle est la différence entre un rat et un hamster ? Aucune, c’est juste une affaire de relations publiques. » Lui sait les manier à merveille. Ses employés ont tous signé des accords de confidentialité d’une durée de vingt-cinq ans au minimum, les empêchant de parler aux médias sans risquer une coûteuse procédure judiciaire.
La menace légale plane aussi sur les journaux qui s’intéressent à lui. Cet hiver, quelques jours seulement après le début de notre enquête, Le Monde a reçu un mail non sollicité exigeant des détails sur le projet, signé par Olga, la porte-parole, prévenue par plusieurs sources contactées. Quand les informations publiées à son sujet lui déplaisent, le businessman multiplie les menaces de procès en diffamation. En Angleterre, où la loi facilite les procédures-bâillons, ses avocats envoient régulièrement des lettres pour freiner, ou empêcher, la sortie de certains articles ou films. Après la publication des Hommes de Poutine. Comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest (Talent Editions, 2022), le best-seller de Catherine Belton, l’oligarque a porté plainte pour vingt-six passages de l’ouvrage.
Aujourd’hui, en Israël, où il possède la villa la plus chère du pays (achetée 65 millions de dollars en 2020) et un passeport lui permettant d’aller et venir à sa guise, le capitaine d’industrie fuit la lumière. Le reste de son temps, il le passe généralement à Dubaï, aux Emirats arabes unis, qui accueille le monde des affaires russes depuis début 2022. C’est ainsi : l’horizon de l’un des hommes les plus riches de la planète s’est tassé sous le poids de la guerre en Ukraine.
« Messager de Poutine »
Dès que le conflit éclate, le 24 février 2022, le capital de Roman Abramovitch est dans le viseur des puissances occidentales. En quelques mois, il est contraint de vendre
le Chelsea FC et doit renoncer à une partie de ses biens et de ses comptes bancaires, gelés par la justice britannique. Des fonds sont sauvés in extremis. Selon des documents confidentiels consultés par Le Monde, environ 4 milliards de dollars sont transférés via son trust Zeus à ses sept enfants (Anna, Arkadiy, Sofia, Arina, Ilya, Aaron et Leah Lou), nés de deux de ses trois mariages. Interrogés, les avocats de l’homme d’affaires n’ont pas souhaité répondre.
Comme la majorité de l’élite dont la richesse dépend du Kremlin, l’oligarque est sanctionné par le Royaume-Uni, l’Union européenne et le Canada. Par l’Ukraine aussi, selon un document publié sur le site officiel du président Volodymyr Zelensky, où figurent des dizaines de noms, dont le sien. Dans son cas, contrairement aux autres, un astérisque renvoie à son statut d’intermédiaire entre la Russie et l’Ukraine pour la paix : « Sanctions suspendues, jusqu’à ce que sa tâche soit terminée ». Une mention qui résume toute l’ambiguïté du personnage et qui lui aurait inspiré ce commentaire, selon un diplomate : « Ma tâche est éternelle… »
Car, sans le dire publiquement, Roman Abramovitch s’est imposé comme un médiateur fiable entre les deux pays. Hors des canaux diplomatiques, rompus par l’invasion du territoire ukrainien, Volodymyr Zelensky a cherché la meilleure façon de s’adresser au pouvoir russe pour stopper le conflit. Au début de la guerre, il charge l’un de ses conseillers économiques, Alexandre Rodnianski Jr, de trouver une personnalité crédible, capable d’échanger des informations avec le Kremlin, sans les déformer. Abramovitch, dont la famille maternelle vient d’Ukraine, est contacté dans la foulée par le biais du père du fonctionnaire, Alexandre Rodnianski, célèbre producteur (ukrainien) des premières émissions de télévision (russes) du comédien Zelensky, dans les années 1990. Rodnianski père et Abramovitch se sont liés, de leur côté, en coproduisant des dizaines de films – russes pour la plupart.
« Roman est allé demander l’autorisation au Kremlin », indique Pavel (le prénom a été modifié), l’un des participants russes à certains échanges entre les deux pays. D’après lui, le businessman est le seul homme d’affaires de premier plan à avoir accepté de s’impliquer dans les efforts de paix. L’oligarque, « un homme de compromis », à en croire ce même Pavel, travaille hors de la délégation officielle nommée par le Kremlin. « C’est un messager personnel de Vladimir Poutine. »
« Agent chimique ou biologique »
Sa contribution aux premières négociations, organisées en Biélorussie, est révélée le 28 février dans un article, non signé, du quotidien israélien Jerusalem Post, l’un des relais privilégiés du milliardaire. « Il essaie d’aider », confirme son équipe, à l’époque, sans s’étendre sur les détails de ses activités. Plusieurs émissaires rappellent ses efforts à certains moments-clés de cette tentative de médiation : dans un palace moscovite, à la mi-mars 2022, où il rencontre l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, lui aussi désireux « d’aider », avant de se raviser ; ou, un peu plus tard, à Istanbul, quand le médiateur Abramovitch est photographié, téléphone à l’oreille, à la fin d’une session de négociations en compagnie d’Ibrahim Kalin, le porte-parole du président turc Recep Tayyip Erdogan. « Il a travaillé très dur, pour donner des gages de confiance, décrit Pavel. Ça lui a permis d’être considéré comme une personne fiable par le pouvoir ukrainien. »
Ces échanges ne sont pas sans risque. Début mars 2022, après une énième journée de discussions aux Emirats arabes unis, deux négociateurs ukrainiens, dont le député tatar Rustem Umerov, et Roman Abramovitch ont soudainement les yeux qui brûlent et la peau abîmée. Les officiels ukrainiens suspectent un empoisonnement « potentiellement mortel », a raconté M. Umerov au Monde, en juillet 2022. Effrayé, Abramovitch refuse d’être ausculté sur place et s’envole pour la Turquie. « Il n’a plus donné de nouvelles pendant plusieurs jours », précise le diplomate. Selon l’enquête menée par Christo Grozev, l’ancien directeur exécutif de Bellingcat, une ONG spécialisée dans les enquêtes en sources ouvertes en ligne, les médiateurs ont bien été visés par un « agent chimique ou biologique ». Mais les toxines n’ont jamais pu être identifiées formellement, en raison de la complexité des analyses à entreprendre.
La tentative d’empoisonnement avec une dose non létale aurait surtout servi d’avertissement de certains membres de l’élite russe. Les cadres du Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB), les puissants services de renseignement, ne lui « pardonneraient pas » d’avoir joué un rôle dans l’effort de paix. « Ils s’en donneraient à cœur joie s’il était possible de s’en prendre à lui, résume le producteur ukrainien Alexandre Rodnianski. Mais Poutine le protège. » L’émissaire ne s’est jamais exprimé sur cet épisode. Il aurait seulement assuré que « tout allait bien », par texto, à un collègue russe. Au quotidien, il compte avant tout sur les gardes du corps qui l’accompagnent dans tous ses déplacements.
Le jeu géopolitique en vaut la chandelle : grâce à sa casquette de diplomate, Roman Abramovitch protège sa fortune. Contrairement à l’Europe et au Canada, les Etats-Unis ne le sanctionnent pas. Mieux : il bénéficie de solides soutiens. Celui, par exemple, de Dani Dayan, le président de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, auquel l’homme d’affaires a fait don d’une somme à huit chiffres. Début 2022, l’Israélien adresse, avec plusieurs ONG de son pays, une lettre à l’ambassadeur américain, le priant de ne pas s’en prendre aux finances du milliardaire. Plusieurs participants aux échanges entre la Russie et l’Ukraine affirment que Volodymyr Zelensky en personne aurait suggéré au président Joe Biden de ne pas sanctionner Abramovitch, contrairement au choix de l’administration ukrainienne.
« Se battre pour les étrangers en difficulté »
Autre étrangeté : dans un courrier officiel, l’Ukrainien David Arakhamia, chef du parti présidentiel Serviteur du peuple, a vanté « l’impact positif » de l’oligarque dans les échanges entre son pays et la Russie. « Nous n’influons pas sur les sanctions », répond Mykhaïlo Podolyak, le conseiller de M. Zelensky. Officiellement, il semble délicat pour le camp ukrainien de reconnaître le rôle central de Roman Abramovitch dans la diplomatie parallèle de la guerre. Même si se passer de sa participation serait contre-productif.
Quand les espoirs de paix disparaissent net, avec la révélation des crimes de guerre commis par l’armée russe à Boutcha, dans la banlieue de Kiev, « l’homme caméléon » redessine les contours de sa mission. Pour les échanges réguliers de prisonniers qui ont lieu entre la Russie et l’Ukraine, il joue les facilitateurs, avec la petite équipe organisée autour d’Andriy Yermak, directeur de cabinet de Volodymyr Zelensky et numéro deux du pouvoir ukrainien. En septembre 2022, aux côtés d’une délégation d’Arabie saoudite, l’oligarque arrange la libération du célèbre bataillon ukrainien Azov, capturé quelques mois plus tôt, pendant la bataille de Marioupol. Au même moment, plusieurs combattants étrangers, dont cinq Britanniques, emprisonnés par la Russie, sont rendus à leurs pays grâce au soutien du milliardaire. Dans l’avion saoudien qui ramène tout le monde en lieu sûr, les Britanniques reconnaissent l’ancien propriétaire du Chelsea FC. Son implication, sans poste officiel dans une structure étatique, est « extrêmement rare », commente Dominik Byrne, à la tête du Presidium Network, une ONG proche des autorités britanniques qui a participé à toute l’intervention. Selon Alexandre Rodnianski, le producteur ukrainien, « Abramovitch s’est fixé pour règle de se battre pour les étrangers en difficulté avec le pouvoir russe ».
C’est pour cette raison qu’en décembre 2022, selon nos informations, il a permis la libération de l’Américaine Brittney Griner, arrêtée en Russie et condamnée, quelques mois plus tôt, à neuf ans de prison pour trafic de drogue après la découverte de traces d’huile de cannabis dans ses affaires. La basketteuse professionnelle du Texas a été échangée contre Viktor Bout, un marchand d’armes russe emprisonné aux Etats-Unis. Contactés, les avocats britanniques de M. Abramovitch affirment dans une lettre qu’il n’a eu « aucun rôle » dans cette opération. De la même manière, plusieurs de ses connaissances suggèrent que le discret émissaire participe aux efforts pour libérer un journaliste américain du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, accusé d’espionnage par Moscou. Par le biais de Telegram, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, indique au Monde que « certains contacts du côté américain » seraient « toujours en cours », sans confirmer le rôle de l’homme d’affaires. « Ce genre d’affaire devrait être conclu dans le silence le plus total. »
La mission d’Abramovitch serait loin d’être terminée : les pourparlers
se poursuivent sur l’exportation du blé depuis les ports ukrainiens, comme sur l’établissement de nouveaux couloirs humanitaires servant à évacuer des civils. Un domaine obnubile le Russe : la libération des enfants ukrainiens emmenés contre leur gré en Russie. Soutenu par l’Organisation des Nations unies, le Vatican, Roman Abramovitch doit expliquer à Vladimir Poutine pourquoi les enfants ukrainiens, que le Kremlin assure avoir sauvé des bombes et de la violence, doivent être réunis avec leur famille. « Sans lui, aucun d’entre eux n’aurait pu revenir », affirme Pavel.
Rencontré à Rome, un membre de la délégation du Saint-Siège confirme l’engagement de l’oligarque sur ce dossier sensible. « Abramovitch fait partie des personnes de bonne volonté, avec qui l’on peut discuter sans arrière-pensée, au même titre que les Brésiliens ou les Chinois », précise le médiateur du Vatican, de retour d’un voyage à Moscou, début juillet. Chaque cas « isolé » nécessite plusieurs semaines de discussions et « environ 2 000 » jeunes seraient déjà rentrés chez eux grâce à ces discussions, depuis le mois de janvier. Le nombre réel d’enfants ramenés sur le territoire ukrainien tournerait plutôt autour de 500, à en croire Mykhaïlo Podolyak, conseiller du président Volodymyr Zelensky. Contacté par Skype, le négociateur en chef de l’Ukraine tient à préciser que le rôle « humanitaire » de Roman Abramovitch est « beaucoup moins intense » qu’au début de la guerre. « Il permet non seulement de transmettre les positions de chacun, mais aussi de les adoucir », reconnaît tout de même l’officiel ukrainien.
Pour y parvenir, l’oligarque multiplie les allers-retours à Kiev, souvent dans le plus grand secret. Son dernier voyage dans la capitale ukrainienne remonte, semble-t-il, au printemps. Sa présence à Moscou est encore plus récente. En juin 2023, pendant la mutinerie d’Evgueni Prigojine, le chef des mercenaires de Wagner, Roman Abramovitch se trouve dans la capitale russe et plusieurs observateurs imaginent déjà qu’il joue un rôle dans les intrigues qui mènent au départ annoncé du chef de guerre pour la Biélorussie. Son équipe infirme et prétend que ces sujets « n’existent pas », sans donner plus de détails.
Combien de poupées renferme la matriochka Abramovitch ? Sous le self-made-man se cache un homme lige, loyal au Kremlin. Sous l’homme lige s’active un homme-orchestre, omniprésent dans la culture, les affaires, le sport ou la diplomatie. Sous l’homme-orchestre s’agitent tant d’autres identités, réelles ou fantasmées : un « mensch », ainsi que les juifs désignent leurs plus vertueux bienfaiteurs, un mauvais garçon repenti, désireux d’être perçu comme un gentleman par les élites mondialisées… Et ensuite ? Dans le palace du nord de Tel-Aviv, téléphone à la main, Olga interrompt la discussion avec une phrase qui ressemble à un avertissement : « Ceux qui savent vraiment des choses sur M. Abramovitch resteront toujours silencieux. »