Alors qu’Israël vient de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara et que le Premier ministre Benyamin Netanyahou est invité en visite officielle au Maroc, Jeune Afrique revient sur un évènement qui, en 1999, aurait pu changer la physionomie des relations israélo-arabes.
Le 17 juillet dernier, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a écrit au roi du Maroc pour lui annoncer officiellement que, comme cela était attendu depuis la normalisation des relations entre les deux pays, en décembre 2020, Tel-Aviv reconnaît désormais la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Une décision appréciée par le palais, qui a rapidement répondu en invitant le leader israélien à une visite officielle. Tandis que le Front Polisario dénonçait une annonce « nulle et non avenue » et que, dans la même logique, la diplomatie algérienne évoquait dans un communiqué « une violation flagrante du droit international. »
Rencontre entre Hassan II et Bouteflika
Chacun semble dans son rôle et pourtant, l’histoire aurait peut-être pu se dérouler de façon tout à fait différente. En 1999, en effet, il s’en est fallu de peu pour que l’Algérie opère un véritable rapprochement avec le Maroc, voire avec Israël. Tout avait débuté en avril de cette année-là, avec l’arrivée au pouvoir à Alger d’un nouveau président venu succéder à Liamine Zéroual : Abdelaziz Bouteflika.
Au Maroc, ce changement est considéré par Hassan II comme une réelle opportunité pour régler définitivement la question du Sahara, qui empoisonne les relations entre Rabat et Alger. À l’époque où il était à la tête de la diplomatie algérienne, Bouteflika n’était pas vraiment défavorable au plan d’autonomie pour le règlement de ce conflit qui dure depuis 1975. Devenu président, il ne cache pas sa volonté de jouer un rôle prépondérant dans ce dossier. En mai 1999, moins de deux mois après son élection, il fanfaronne d’ailleurs devant des diplomates algériens au cours d’un aparté à la résidence d’État Djenane El Mihaq, à Alger : « Vous verrez que dans six mois, j’aurai réglé la question du Sahara-Occidental », assure-t-il devant son assistance.
L’affaire est bien engagée : quelques jours après cet aparté, le 21 juin précisément, Bouteflika reçoit longuement Driss Basri, ministre marocain de l’Intérieur et homme de confiance de Hassan II. Au menu des discussions : le règlement du conflit du Sahara-Occidental, la réouverture des frontières terrestres fermées depuis août 1994 et la normalisation des relations entre les deux pays voisins. Les deux hommes sont confiants. Surtout Bouteflika. Le principe d’une rencontre entre le président algérien et Hassan II le long de la frontière commune est retenu pour le mois de juillet 1999. L’heure de la réconciliation entre les deux pays et les deux peuples a enfin sonné. Mais le destin décidera autrement.
Retrouvailles manquées
Vendredi 23 juillet, Hassan II meurt à Rabat après trente-huit ans de règne. Son fils aîné et premier héritier, Mohammed VI, monte sur le trône. La disparition de Hassan II plonge Bouteflika dans un état d’affliction. Natif d’Oujda où il a vu le jour en 1937, il y a vécu jusqu’à son départ en Algérie au lendemain de l’indépendance de juillet 1962. Baigné dans la culture marocaine et les traditions monarchiques, le nouveau président algérien se considère comme une sorte de sujet marocain. L’admiration et le respect qu’il vouait à Hassan II ont d’ailleurs constitué des motifs de méfiance chez Houari Boumédiène.
C’était d’autant plus vrai que ce dernier a confié la gestion du dossier du Sahara occidental à Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l’Éducation nationale (1965-1970), puis de l’Information et de la Culture (1970-1977), plutôt que de le mettre entre les mains de son chef de la diplomatie. Cette méfiance était si grande que, de retour à Alger après une mission à Rabat en juillet 1975, Boumédiène interpella Bouteflika en ces termes : « Mais enfin, tu es le ministre des Affaires étrangères de Hassan II ou celui de Boumédiène ? ! »
Peu de temps après l’annonce du décès de Hassan II, le président Bouteflika décrète un deuil national de trois jours avant de s’envoler pour Rabat pour assister aux obsèques, prévues dimanche 25 juillet. En marge de ces funérailles, un évènement aussi inédit que retentissant va se dérouler presque en direct devant les caméras et les photographes. On dira plus tard que celui-ci a été fortuit, improvisé, le fait d’un simple hasard. En vérité, il a été préparé et provoqué.
Dans l’avion qui le ramène d’Alger en direction de Rabat, Abdelaziz Bouteflika est informé par un membre de son staff que les Marocains ont décidé de lui faire rencontrer Ehud Barak, Premier ministre d’Israël depuis le 9 juillet, également présent au Maroc pour les obsèques de Hassan II. Serrer la main du dirigeant israélien ? Bouteflika n’y voit aucun inconvénient. Le président algérien répète à l’envi qu’il est là pour briser les tabous, qu’il est et sera l’homme de toutes les réconciliations et qu’il n’a peur de rien ni de personne.
Poignée de main chaleureuse
Au palais royal à Rabat, avant le début de la procession funéraire, le président algérien s’avance d’un pas ferme vers Ehud Barak pour lui donner une poignée de main chaleureuse. Le Premier ministre israélien, un peu taquin, lui lance : « Alors, Monsieur le Président, vous ne rejoignez pas le processus de paix au Moyen-Orient afin de normaliser nos relations ? » Réponse de Bouteflika : « Reconnaissez les droits du peuple palestinien et j’ouvrirai la plus grande ambassade qui soit à Tel-Aviv. » Et poursuit : « Si vous avez besoin d’aide, j’y suis totalement disposé. » L’aparté entre les deux hommes dure sept minutes. Du jamais-vu !
Non seulement l’Algérie n’entretient pas de relations avec Israël, mais l’État hébreu est considéré par les Algériens comme l’ennemi juré de la cause palestinienne. L’Algérie n’a-t-elle pas participé aux deux guerres de 1967 et 1973, durant lesquelles le même Ehud Barak a servi comme commandant d’une unité d’élite, puis comme chef d’un bataillon de blindés dans le Sinaï ? L’Algérie n’a-t-elle pas abrité des camps d’entraînement pour combattants palestiniens ? N’est-ce pas à Alger, sous la présidence de Chadli Bendjedid, que Yasser Arafat a annoncé, en novembre 1988, l’indépendance de la Palestine ?
Certes, des contacts secrets avaient été noués par le passé entre responsables algériens et israéliens, mais c’est bien la première fois qu’un président algérien échange une poignée de main avec un haut dignitaire israélien qui a commandé des troupes lors des deux guerres israélo-arabes auxquelles ont pris part des soldats algériens. Bouteflika avait prévenu qu’il ne serait pas comme ses prédécesseurs. Ce dimanche 25 juillet 1999 à Rabat, il tient parole en brisant le tabou des tabous : prendre langue avec un dirigeant israélien et promettre d’ouvrir une ambassade d’Algérie à Tel-Aviv dans le cas où Israël venait à reconnaître un État pour les Palestiniens.
Cet aparté avec un haut dirigeant d’Israël ne sera pas le seul. Au cours d’une de ses visites qu’il effectuera à Paris durant son premier mandat, Bouteflika rencontrera en secret Shimon Peres, chef de la diplomatie israélienne. L’entrevue sera rendue possible par l’entremise d’un éminent chirurgien franco-israélien établi en France.
Vingt-quatre ans après, une telle rencontre entre un dirigeant algérien et un responsable israélien relèverait aujourd’hui de l’impossible et de l’impensable. Tout comme, d’ailleurs, des négociations entre le Maroc et l’Algérie visant à un règlement de la question du Sahara occidental.