Déportée à 15 ans à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, Isabelle Choko âgée aujourd’hui de 94 ans, reine des échecs, a continué de témoigner dans les lycées. Elle est décédée le 21 juilet.
Isabelle Choko est née à Lodz en Pologne le 18 septembre 1928. Ses parents, Heinrich et Jenta, sont pharmaciens. Elle s’appelle alors Izabela Sztrauch. A l’âge de 11 ans, sa famille est enfermée dans le ghetto de Lodz crée par les autorités allemandes en avril 1940. Le père d’Isabelle meurt de privation et d’épuisement en février 1942. Isabelle et sa mère sont déportées au cours de l’été 1944 au camp d’Auschwitz-Birkenau, avant d’être transférées au bout d’une semaine au camp de Waldeslust, près d’Hanovre, où elle est affectée à des chantiers de construction et à la pose de rails de chemin de fer.
Cinq mois plus tard, elle est évacuée avec sa mère le 4 février 1945 au camp de Bergen-Belsen. Toutes les deux contractent le typhus dont Jenta ne se relève pas. Elle est libérée le 15 avril 1945. Elle a 16 ans et ne pèse que 25 kilos. D’abord soignée par les Britanniques puis par sœur Suzanne de la mission Vaticane, elle est transférée en Suède où elle entame une longue convalescence.
Izabela s’installe en France à Paris en février 1946 chez un oncle que sœur Suzanne a retrouvé. Elle se marie en décembre avec Arthur Choko. Elle devient championne de France d’échecs en 1956. Elle va entamer avec son mari une carrière dans l’industrie puis la restauration et enfin l’art.
A partir des années 1990, elle commence à témoigner et s’engage au sein des association de mémoire. Elle aura à cœur de défendre l’aide aux survivants, notamment déportés depuis l’Est et arrivés ensuite en France. Elle rejoint l’Amicale des Anciens Déportés de Bergen-Belsen, l’Association Fonds Mémoire d’Auschwitz dont elle devient présidente puis présidente d’honneur, et l’Union des déportés d’Auschwitz qu’elle préside depuis mars 2022.
Invitée à s’exprimer lors de la cérémonie pour la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes tenue à l’UNESCO le 26 janvier 2023, Isabelle Choko adressait cet appel vibrant : « Il faut donner à la jeunesse, dans sa diversité et sa magnificence, la possibilité de s’instruire et d’évoluer grâce à la culture, à l’éducation et à l’instruction, si elles sont fondées sur les plus hautes valeurs morales et non sur le culte de la violence, la haine et l’obscurantisme. »
Isabelle Choko a notamment publié La mort en échec chez Grasset en janvier dernier et La Jeune Fille aux yeux bleus, éditions Le Manuscrit / Fondation pour la Mémoire de la Shoah, coll. « Témoignages de la Shoah » en 2014. Isabelle Choko est officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’Ordre national du Mérite et des Palmes académiques.
Le Mémorial de la Shoah adresse à ses fils et à sa famille ses sincères condoléances et salue la mémoire d’une personnalité, amoureuse des arts et profondément engagée dans la transmission de la mémoire de la Shoah.
A 93 ans, Isabelle Choko trotte sec. Le mi-bas au-dessus de la bottine, elle balance une ample jupe noire au rythme de ses petits pas vifs. Pour ne pas avoir froid. Parce qu’elle n’a pas une seconde à perdre. Une force vitale peu commune anime encore la jeune Polonaise qu’elle fut, déportée à 15 ans à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen. Ce jeudi de mars, elle rencontre une cinquantaine d’élèves de terminale du lycée Louis-de-Broglie de Marly-le-Roi (Yvelines), sidérés par la femme menue au regard pervenche.
Son énergie, celle qui se prénomme alors Izabela l’a d’abord puisée dans l’enfance, où elle a reçu l’essentiel. « J’avais l’amour et le rire », dit-elle, et dans ses « r » roule un reste d’accent polonais. La vieille dame commence par les jours heureux, parce qu’il est toujours difficile, même après trente années de témoignage, de raconter le malheur absolu. Et que, par contraste, le bonheur perdu et retrouvé n’en paraît que plus ardent. Sa mère et ses deux tantes, toutes trois pharmaciennes, dirigeaient les trois plus belles officines de Lodz, grande ville prospère du textile, la « Manchester polonaise ». Ah les sœurs Galewska ! La fierté et l’affection vibrent dans sa voix, à l’évocation de Jenta, Bela et Pola.
La fillette fréquente une école de type Montessori, fondée par trois femmes progressistes, pour enfants des classes moyennes éclairées, où se nouent des amitiés pour la vie et au-delà. Ils sont juifs mais peu religieux. Après La Jeune Fille aux yeux bleus (Le Manuscrit/Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2014), Isabelle Choko a d’ailleurs publié, en novembre 2021, Lodz 1939 « Notre école », (KomEDIT), témoignages de cinq anciens élèves et amis, rescapés de la Shoah, collectés pour certains depuis des décennies. Ils ont pour la plupart disparu mais elle a, « enfin ! », tenu sa promesse envers eux. « Je travaille, vous n’imaginez pas ! Je travaille tout le temps », explique la nonagénaire aux lycéens bouche bée.
« Ne me parlez pas de Poutine »
Ils ne sont que silence lorsqu’elle raconte le ghetto, où meurent son père et sa grand-mère, de malnutrition et de faiblesse. Où chaque être humain a droit à cinq mètres carrés. Où elle s’écorche les mains à tresser de la paille, qui pique et qui brûle. Chaque jour de cette nouvelle existence de parias, sa mère s’ingéniera, comme plus tard dans les camps, à veiller sur sa fille unique. Elle trouve le moyen de la faire affecter au tissage des rubans. Au moins, Izabela n’a plus les mains en sang. Ces belles mains, fines, soignées, virevoltant à la moindre occasion devant son visage mobile. Jenta mourra du typhus, pendant une nuit de cauchemar, couchée à côté de sa fille qui semble elle-même un cadavre, à Bergen-Belsen.
Il lui faudra presque une année, en Suède, après la Libération, pour récupérer une morphologie normale. A 17 ans, elle pesait 25 kilos. Puis Isabelle rencontre Arthur Choko, son amour, avec lequel elle a eu « trois garçons en quatre ans et demi ». Elle aurait voulu faire de la recherche, « comme Marie Curie ». Mais elle a trouvé le moyen de devenir championne de France d’échecs en 1957, après avoir appris ce jeu par hasard, en vacances. Elle qui ne parlait pas un mot de français en arrivant à Paris, chez un oncle et une tante, en 1946…
« Madame, qu’est-ce qui vous a donné la force de continuer à vivre ? » Isabelle Choko répond à l’adolescent que les deux prisonnières de Bergen-Belsen, couchées à côté d’elle après la mort de sa mère, l’ont suppliée d’aller chercher de la nourriture. « Tu es la seule qui puisse te lever. Si tu ne le fais pas, nous allons mourir. » Rampant sur les genoux, elle s’est traînée jusqu’à la porte. A rapporté de la soupe. Et sauvé trois vies. Ils ont beaucoup d’autres questions, mais aucune sur la guerre qui fait rage aux portes de l’Europe. Le professeur d’histoire, lui, ne peut manquer de l’interroger. « C’est l’horreur pour moi. Comment les hommes n’ont-ils pas compris qu’il n’y a rien de pire qu’une guerre ? Ne me parlez pas de Poutine, s’il vous plaît », s’exclame la vieille dame. Avant de partir, elle lance aux jeunes, une prière, un conseil, un viatique : « Continuez d’aimer et de rire. » Comme Izabela et Isabelle.