Parmi nos recherches sur l’importance culturelle et théologique de l’apport de la communauté juive au Moyen-Âge, après Narbonne, Gérone, Perpignan, voici la cité de Besalù. Situé dans la Garrotxa, zone volcanique et parc régional de cette partie de la Catalogne Sud, sur la route d’Olot à 25 km de Figueres en catalogne, Besalù n’a pas à rougir de son histoire juive bien spécifique.
C’est presque l’avare que l’on va rejouer. Lourdes Sibecas, guide historienne originaire de Besalù, qui nous accompagne, a pu voir la lente évolution entreprise sur la rénovation de l’ancienne synagogue. Cela ne s’est pas fait en un claquement de doigts. On peut même dire que l’anecdote qui a tout déclenché vaut son pesant d’or. À Besalù coule deux rivières. Qui dit rivière, dit souvent ressources aurifères pour ceux qui s’adonnent à l’orpaillage. Ce fut le cas du teinturier de Besalù, installé sur l’emplacement de l’ancienne synagogue à quelques mètres de la rivière. En 1964, pris d’une envie soudaine d’or, il voulut creuser un puits juste sous ses pieds et tomba malgré lui sur une découverte historique fabuleuse.
Une partie de la Jérusalem céleste
Nul métal précieux, mais des marches recouvertes d’un amas de terre cumulé par les siècles passés. A défaut d’or, cet artisan resta comme deux ronds de flan face à cette énigme. Il venait sans le savoir, de mettre à jour une petite partie de la Jérusalem Céleste. Un Mikvé. Le plus grand bain rituel médiéval juif d’Espagne. Malheureusement pour l’histoire, en 1964, l’immonde Franco était encore aux commandes de la terre ibérique. Une des rares dictatures ayant survécu à la seconde guerre mondiale, avec tous les relents antisémites qu’elle drainait derrière elle. La découverte d’un Mikvé sous l’ancienne synagogue, fut vite passée sous silence par le pouvoir bien en place tenue par le Caudillo. Mettre en exergue ce riche passé juif, cela faisait désordre dans les propos ultranationalistes de Franco. Malgré l’opposition, deux rabbins se déplacèrent à Besalù pour accréditer la fabuleuse découverte. Le rabbin Mordoc de Perpignan la voisine du nord, et le rabbin Chilli de Paris. Après l’excavation complète de la terre, ils avaient bien devant leurs yeux un des plus beaux mikvé d’Europe. Sous Franco, il servit donc d’entrepôt au teinturier, avant sa résurgence, quand le régime tomba, à sa mort en 1975.
Le roi Jaumes 1er offre sa protection
La communauté juive de Besalù au XIe siècle, comptait 20% de la population globale, nombreuse de 1000 âmes (aujourd’hui 2500) et c’est en 1229, que les premiers documents attestent de la présence juive dans la ville. Loin de l’antériorité du call juif de Narbonne (début Ve siècle). Ce n’est qu’en 1244, que le roi Jaumes 1er leur offre sa protection et par extension en 1264, l’autorisation de construire une synagogue avec son mikvé pour célébrer leur culte. L’esplanade de la synagogue aujourd’hui, offre un large panorama sur la rivière Fluvia qui longe la ville. On peut imaginer comme l’atteste notre guide, la salle de prière et sa galerie en surplomb pour les femmes, puis la cour où se rassemblait la communauté pour discuter et résoudre les différends problèmes de l’aljama (communauté). Jouxtait à cet ensemble, la yeshiva (école talmudique) des enfants et des jeunes, où les leçons sur la vie juive y étaient conférées.
Forte proportion de médecins
Mais la particularité du call de Besalù, est sa forte proportion de médecins. Au moins une vingtaine. Abraham Des Castlar, au XIIIe siècle fut le médecin privé du roi Pierre III dit le Grand. Un autre, Bendit Des Logar, écrivit un livre sur les ravages de la peste noire. Des exégèses que l’on retrouve durant ce siècle et dans le même domaine, à l’Université de Montpellier. Lourdes Sibecas, voit trois grandes périodes dans l’histoire juive de Besalù. De 1300 à 1342 et sa dépendance à la communauté de Gérone. De 1342 à 1391 avec son indépendance et ses liens étroits avec Narbonne. Enfin, de 1391 à 1432, époque de décadence, avec les pogroms, la peste noire et une frange catholique qui en profite en visant les juifs, comme boucs émissaires faciles à leurs malheurs.
Un Mikvé à la conservation magnifique
Le dernier mikvé découvert en date en catalogne, est celui du Musée juif de Gérone. Plus petit que celui de Besalù, il accrédite la place forte du call Géronais. Ici, les 36 marches qui descendent dans un long tunnel obscur, jusqu’aux 6 dernières qui mènent directement au bain purificateur, sont dans un parfait état de conservation. La terre a fait son œuvre protectrice. Un mikvé, toujours attenant à une synagogue, se devait d’être construit près d’une source, pour son remplissage avec une eau naturelle. Essentielle pour la purification des femmes, avant un mariage, après leurs menstruations, où des hommes, avant le shabbat et en préambule des différentes fêtes hébraïques. Comme tout Mikvé, ce bain d’immersion a des mesures bien caractéristiques : 2,5 m sur 1,5 m avec une capacité maximale de 550 litres. L’anecdote que nous raconte Lourdes Sibecas, d’un touriste juif américain en visite et désirant s’immerger seul dans le mikvé de Besalù, revêt toute la puissance symbolique que peut apporter un bain juif médiéval en état de conservation parfaite. Une exception qu’elle se devait de ne pas refuser à ce pratiquant qui avait traversé l’Atlantique pour réaliser ce vieux rêve. Rafraîchissant l’été, les murs à l’épaisseur énorme, devenaient vrai frigo l’hiver, où l’immersion purificatrice mettait à rude épreuve la foi des croyants. Mais quand on aime…