Israël vient de mener sa plus grande opération militaire en Cisjordanie depuis plusieurs années. Elle a reçu le soutien de l’administration Biden. Par Danièle Kriekel.
Après quarante-huit heures d’une opération militaire de très grande envergure dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, c’est l’heure des bilans. Au sein de l’état-major israélien, on est plutôt satisfait. Même s’ils déplorent la mort d’un militaire, le sergent David Yehouda Yitzhak, 23 ans, les responsables militaires estiment avoir rempli leur feuille de route.
Leur mission était de neutraliser au moins partiellement les groupes armés, de détruire les ateliers de fabrication d’explosifs, de procéder à des arrestations de combattants du Jihad islamique, du Hamas et d’autres organisations qui commettent des attaques anti-israéliennes et des attentats terroristes contre des civils. Et, ce mercredi, l’armée se crédite d’avoir porté des coups très durs aux infrastructures dont disposaient les combattants palestiniens sur place.
Plusieurs centres de commandement, tous reliés aux caméras placées à l’entrée du camp, ont été détruits. Parallèlement des caches d’armes et d’explosifs ont été saisies et détruites. Selon certains experts militaires, il s’agissait aussi de saper le statut du camp de Jénine de sanctuaire pour les Palestiniens recherchés par Israël.
Le soutien de Biden
Par ailleurs, pour les responsables militaires israéliens, l’opération est d’autant plus une réussite qu’elle n’a pas suscité de réactions de la part de l’ensemble de la population palestinienne. Le calme a régné dans la ville même de Jénine, qui n’était pas placée sous couvre-feu. Plusieurs milliers d’habitants de cette localité ont même pu se rendre à leur travail en Israël. Rien à signaler également dans le reste de la Cisjordanie. Un seul attentat a eu lieu, mardi : un jeune Palestinien de Hébron est allé commettre une attaque à la voiture-bélier dans une rue du nord de Tel-Aviv. Il a ensuite poignardé des passants avant d’être abattu par un civil armé. Bilan : neuf blessés, dont cinq grièvement atteints.
Sur le plan politique, le gouvernement Netanyahou n’est pas mécontent. Il estime avoir eu toute légitimité pour réaliser cette opération. Pour preuve, le soutien de l’administration Biden qui a réaffirmé « le droit d’Israël à se défendre ». Quant aux autres condamnations, venues d’Europe ou du monde arabe, elles ont été essentiellement verbales. Et l’Autorité palestinienne dans tout cela ? Certes, Mahmoud Abbas a fait publier un communiqué condamnant le raid israélien, tout en annonçant l’arrêt de la coordination sécuritaire avec Israël. Mais, il faut le savoir, depuis plus de deux ans, tous les services de l’autorité autonome, surtout la police et la sécurité préventive, sont exclus du camp de réfugiés et d’une partie de la ville de Jénine.
La grande question est de savoir si elle pourra revenir et reprendre le contrôle. Pour l’heure, cela n’en prend pas le chemin. Lors des funérailles des victimes de l’opération israélienne, une délégation envoyée par Mahmoud Abbas a été priée de repartir d’où elle venait. Il faudrait aussi que le gouvernement Netanyahou prenne la décision d’autoriser ce retour. Or, là encore, le blocage est total. Non seulement Israël n’a pratiquement plus aucun canal de communication politique avec l’administration palestinienne, mais les relations sont d’autant plus tendues que l’on assiste à une véritable frénésie de constructions dans les colonies en Cisjordanie.
« Glissement vers l’État binational »
Le général de réserve Tamir Hayman, ancien chef des renseignements militaires, considère que l’armée a remporté un brillant succès tactique mais qui ne procède d’aucune stratégie. Il est en faveur d’un déploiement sécuritaire de l’autorité autonome à Jénine. « Mais, dit-il, cela signifierait coopérer, voire négocier, même discrètement, avec Mahmoud Abbas et son entourage, également avec l’administration américaine. Je ne pense pas que cela aura lieu. Les autres options sont la reconquête militaire des zones autonomes et l’annexion. Tout cela accélère notre glissement vers l’État binational. »
C’est également le sentiment d’Amos Harel, l’expert militaire du quotidien Haaretz, pour qui, « avec le temps, les opérations militaires israéliennes ne suffiront pas à établir le calme. Sans une once d’horizon diplomatique pour les Palestiniens, la violence ne baissera pas. Les éléments susceptibles d’embraser la région sont toujours là : l’instabilité de l’Autorité palestinienne de même que la violence de certains colons ».Pour l’heure, l’armée et le Shin Bet (la sécurité intérieure) espèrent que les acquis remportés par Israël avec cette opération mèneront à un certain déclin du terrorisme originaire du secteur de Jénine. Ils espèrent également que la réduction des capacités offensives des groupes armés dans ce secteur aura un effet dissuasif sur les organisations palestiniennes similaires qui se sont développées dans d’autres villes de la Cisjordanie, d’abord à Naplouse, puis à Tulkarem et dans la région de Jéricho.
Danièle Kriegel