Dans sa chronique, Éliette Abécassis expose son regard personnel sur la ville de Jérusalem, un regard porteur d’amour et d’angoisse : à lire et relire!
Dans sa blancheur, creusée dans la pierre, une ville s’élève au sommet de la colline. Et les soirs d’été, on peut y sentir la brise fraîche du désert de Judée et se laisser enivrer par la musique de l’Orient, dont les vibrations me ramènent à mon passé, mon lointain passé.
Toujours quand on se rend à Jérusalem on s’élève, et quand on la quitte, on descend rempli des images du temps présent et du temps passé. La Vieille Ville, au Mur occidental, vestige du temple construit par Hérode. Le quartier de German Colony, avec ses cafés et ses boutiques d’habits et de bijoux. Rehavia, blanche pierre et arbres touffus, quartier résidentiel où il fait bon vivre. L’université du mont des Oliviers, où étudient ensemble Israéliens, Palestiniens et Palestiniens-Israéliens, et d’où l’on aperçoit les collines de Judée, Méa Shéarim où prient les ultra-orthodoxes, du matin au soir, du soir au matin. Yémin Moshé, tout en escaliers et en gradins, avec ses maisons et ses citronniers, et sa synagogue bleue, dont la terrasse permet de voir toute la ville.
Jérusalem reste. Une forme d’éternité, un voyage dans le temps et l’espace. Un idéal perché dans les collines, une vie consacrée à l’essentiel. Une contemplation le soir au crépuscule, une lumière dorée comme l’or. Un mur baigné de larmes. Un soleil écrasant les jours d’été, puis la fraîcheur des nuits. En ses murailles, une plénitude. Le printemps l’enchante, l’été l’écrase. Les soirs la charment, ils éveillent sa folie. À se perdre dans les rues sinueuses du quartier arménien, à s’attarder dans les bars à narguilé du quartier russe où sortent les étudiants, et qui débouche sur le souk où tous les jeudis soir, devant les étals déserts, des boutiques fermées, une gigantesque fête a lieu dans la ville enivrée de danse, de musique, de jeunesse, d’arak et de rire ; lorsque les quartiers de Baka et German Colony ferment leurs volets aux façades restaurées, lorsque dort la cité de David aux petites maisons en pierre blanche.
Le quartier ancien de Yémin Moshé s’illumine d’une lumière mystique, tandis que « The First Station », première gare de la Jérusalem dont les trains allaient de la German Colony à Baka, accueille les restaurants les plus chic et les plus avant-gardistes. Méa Shéarim revêt ses habits de gloire, avec streimel et casaques blanches, et des pas nonchalants pour regagner la maison ou se rendre à la yeshiva pour une ultime nuit d’étude. Jérusalem, belle le jour, étonnante la nuit ! Et le vent la soulève, caresse les visages, dépose sur les paupières du sel et du sable du désert et de la mer, ces nuages d’eau qui s’évapore. On l’appelle la mer Morte, car la vie n’y est pas propice, car elle abrite les vestiges figés de Sodome, lors du cataclysme qui punit la région aux odeurs de soufre, aux formes étranges et aux roches immortelles.
Toujours, dans l’errance, on pense à Jérusalem, toujours la nuit aspire à l’aube, à la lueur du jour, le désert de Judée commence où finit le Jourdain, et la mer Morte là où s’arrête la luxuriante végétation de la mer de Galilée. Chaque jour, on prédit sa fin, tant l’eau s’élève, tant le sel la gagne, et tant le désert. Et dans les nuits hiérosolymitaines, lorsque survient l’aube au sommet de la colline, je peux entendre la voix, celle qui murmure au jour… Le Jourdain quittera la luxuriante végétation de la mer de Galilée, pour se jeter dans la profondeur de la mer, dans la vallée la plus profonde de la terre, et le désert aride ne sera plus un désert, et cette ville sera source de joie.
Et ce sera le jour, le dernier et le premier où toutes les nations se rassembleront, où les cités réunies entendront l’annonce, et elles sauront qu’elle est digne de foi, et les arbres arrachés se redresseront, les maisons tombées se reconstruiront, et de la poussière, les hommes affalés se lèveront, prendront le moulin, moudront la farine, et voici ! L’Éternel surgira, revêtu de puissance et de gloire, qui, tel un époux vers son épouse, ira vers Jérusalem sa fiancée, parée des habits de splendeur ! Tout ici sera Galilée, afin que s’accomplisse l’oracle d’Isaïe le prophète, terre de Zabulon et terre de Nephtali, route de la mer, pays de Transjordanie, Galilée des Nations, le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s’est levée. Cette lumière, c’est celle de la nuit, de mes nuits hiérosolymitaines, de ces nuits d’insomnie et d’angoisse, partout sur la terre où la nuit s’éclaire en espérant l’aube.