Depuis une dizaine d’années, Pierre-Marie Payet, aka Amalek, multiplie les incitations à la haine. Avec une prédilection pour les thèmes complotistes et antisémites.
Le rappeur Amalek a été mis en examen vendredi dernier. Il est suspecté d’avoir diffusé sur le canal Telegram « SpotiFaF – Actus rap natio » plusieurs appels à la haine à caractère homophobe et antisémite.
Dans l’Ancien Testament, Amalek est le chef des Amalécites, une tribu nomade ennemie d’Israël. Plusieurs passages bibliques témoignent de l’animosité entre les deux peuples, avec comme point d’orgue l’attaque des Hébreux par les Amalécites dans le désert du Sinaï lors de la sortie d’Égypte. Dans l’un de ses morceaux, le rappeur revendique d’avoir choisi son pseudonyme en ces termes : « si j’ai choisi Amalek, c’est qu’ils m’appellent l’Homme à abattre. »
Amalek a eu son heure de gloire en 2015. Aux côtés du rappeur d’extrême-droite Kroc Blanc, il sort un titre, « #JMLP », en hommage à Jean-Marie Le Pen, le fondateur du FN. Affublé d’un tee-shirt où il est inscrit « Charlie m’essuie » (en référence au journal satirique qu’il a en détestation), Amalek chante « bien sûr j’vote Marine » sur un air de musique bretonne traditionnelle remixée et d’images de menhirs. Kitch à souhait, le clip cartonne dans les milieux nationalistes, et le buzz se propage sur YouTube.
La même année, Amalek sort plusieurs titres en solo dont « P.A.J » (pour « Pute à Juif ») et « La chasse aux pédés » (sic). Ouvertement racistes, antisémites et homophobes, ces titres lui valent une condamnation à six mois de prison ferme en 2020.
En 2022, une association de lutte contre l’homophobie dépose plainte contre le rappeur pour sa chanson « Casseur de pédés », aux paroles particulièrement virulentes. Car en prenant le temps d’écouter ses textes, on découvre des paroles d’une extrême violence où racisme, homophobie et antisémitisme sont omniprésents, et presque systématiquement accompagnées de références complotistes, comme chez Freeze Corleone ou Keny Arkana. Dans sa chanson « No Man’s Land », en duo avec un rappeur amiénois au pseudonyme évocateur (« Laryen »), Amalek déclare ainsi : « le Franc-mac souhaite qu’on tolère la sodomie afin qu’on devienne ses amis », « je travaille pas pour ZOG » (allusion à ce que l’ultra-droite américaine appelle le « Zionist Occupation Government »), « toute la crème d’Afrique dégouline dans les rues de Paris, la CAF a fait le lit de l’islam » ou encore « c’est l’État le premier terroriste, demande à Fabius, BHL, Rothschild ce que fabrique al-Nosra dans le Sham, ils font du bon boulot pour le Grand Israël » (une référence à des propos du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius détournés de leur sens initial et instrumentalisés par la complosphère).
Dans son rap « Dans le scandale comme Robert », en hommage au négationniste Robert Faurisson, on entend Amalek déclarer : « Le faf de base a 3 de QI, il aime les empoisonneurs de puits », une expression codée pour désigner les Juifs. Dans un des titres issu de son album « Nobless Bastard », en collaboration avec plusieurs autres rappeurs, Amalek chante : « Le triple 6 est au sommet de l’État, qui tire les ficelles ? », avant de fustiger « la sorcellerie dans les loges ». Il a choisi d’intituler son dernier album « Les Kollaborasions », un jeu de mot justifié par la présence sur l’opus de nombreux duos avec d’autres rappeurs de la même mouvance.
Avec de tels propos, on ne sera pas étonné de constater qu’Amalek multiplie les démêlés avec la justice. Sa première condamnation pour incitation à la haine raciale date de 2014. Il avait proféré des insultes antisémites et exécuté des « quenelles » devant une préfecture. En 2017, sous le pseudonyme d’Ernest Manurhin, il récidive en publiant, après l’assassinat terroriste du policier Xavier Jugelé sur l’avenue des Champs-Élysées : « bonne nouvelle, le flic assassiné hier était une grosse jaquette ». Le ministre de l’intérieur, Mathias Fekl, saisit alors le procureur.
Dans une tentative de contre-offensive, Amalek avait publié une vidéo intitulée « Le réseau pédophile de Macron ». Il prétendait déjà aborder le thème de la pédophilie dans le titre « PizzaGate », en référence à la pizzeria américaine accusée d’être la plaque tournante d’un gigantesque réseau pédocriminel entretenu par les Démocrates. Son clip avait d’ailleurs été repris par plusieurs blogs complotistes américains. On peut notamment l’y entendre rapper des textes comme : « Je te parle d’enfants sodomisés au cours de rituels cannibales », évoquer des « rites sataniques en haut lieu », affirmer que « depuis l’affaire Dutroux on sait qu’ils sont tous impliqués » ou encore se demander « que deviennent ces mille gosses enlevés ? Est-ce lié au trafic d’organe ? Depuis toujours l’œil de Soros épiait le destin de Madeleine McCan », sous-entendant un lien entre George Soros, véritable épouvantail des milieux conspirationnistes, et cette affaire emblématique de disparition d’enfant.
Ses provocations lui ont permis de tisser un réseau de soutien au sein de l’extrême-droite française. En 2018, lors d’une soirée en l’honneur de Jean-Marie Le Pen organisée par l’hebdomadaire Rivarol, l’ancien président de l’Œuvre Française, Yvan Benedetti, prend la parole au micro pour appeler à le soutenir. En 2019, Dieudonné lui décerne la « Quenelle d’Or de la subversion » pour sa chanson « Techouva », qui parodie la notion de « repentance » que ce terme désigne dans le judaïsme.
La carrière mi-politique mi-musicale d’Amalek ne s’arrête cependant pas à sa sortie de prison en 2020. Il abandonne progressivement son pseudonyme pour celui de Raphaël Bourbon, ou RaFaL (également orthogaphié R4F4L), en hommage à l’archange éponyme, et relance son site internet news.oddr.biz, où « ODDR » (pour « Ordre du dragon renversé ») fait référence à un ordre chevaleresque créé au XVe siècle et consacré à la « défense de la Croix ».
Présent sur Facebook, Gab, YouTube, Instagram et Telegram, Amalek y traque les réseaux « kabbalistes », « sodomites » ou « pédophiles » de façon décomplexée, tout en faisant l’apologie d’un catholicisme identitaire viriliste.
Paranoïaque et plutôt isolé dans la fachosphère française, il n’hésite pas à s’en prendre publiquement à d’autres figures nationalistes en les accusant d’être anti-chrétiennes, juives ou homosexuelles. En 2019, dans une manifestation contre la procréation médicalement assistée, il affirme s’être fait tabasser par les Zouaves Paris, un groupe d’ultra-droite dissous en janvier 2022.
Alors qu’il vivait au Portugal depuis plus d’un an pour échapper à la justice française, Amalek tente en août 2021 une opération commando. Il revient en France et escalade le balcon de son ex-compagne à qui a été confiée la garde de leur enfant. Il s’empare alors de la fillette de deux ans, s’échappe du domicile, avant d’être rattrapé par la gendarmerie. A-t-il été inspiré par l’affaire de la petite Mia, du nom de cette enfant enlevée avec la complicité de sa mère et le soutien de Rémy Daillet ? Amalek écope en tous cas d’une condamnation à trois mois de prison ferme.
Dans un live vidéo repéré en juillet 2022 sur Odysee, on l’entend parler des Juifs comme d’« un peuple très intelligent, un peuple redoutable », affirmant que le Talmud considère Jésus comme « le fils d’une prostituée » qui « boue dans une marmite d’excréments en enfer », reprenant à son compte des accusations mensongères issues de la littérature antisémite. Un peu plus tard, il explique : « Dire que les Juifs sont responsables de tous les malheurs du monde, bon c’est évidemment faux, mais étant donné qu’ils ont été le peuple élu de Dieu et que nous, Chrétiens, considérons que ce peuple élu a rejeté l’alliance en rejetant le Christ, eh bien en fait il est logique et cohérent en fait, si on part de ce principe là, de considérer qu’ils seraient devenus du coup l’antithèse du peuple élu, et que leurs grandes facultés, leurs grandes capacités qui leur ont valu d’être élus par Dieu, puissent ensuite être mis (sic) au service du mal, étant donné qu’ils ont rejeté le bien. Enfin c’est du moins ce que considèrent les Chrétiens. »