La chaîne RMC story diffuse, ce dimanche 2 juillet à 22 heures, un documentaire consacré à l’affaire Sarah Halimi, une retraitée de 65 ans de confession juive, sauvagement tuée en 2017. Un crime, selon son réalisateur, symbolique du tabou de l’antisémitisme dans notre société.
Le Figaro – Dimanche sera diffusé sur RMC à 22 heures votre documentaire sur l’affaire Sarah Halimi. Comme avez-vous mené l’enquête ? Ce film contient-il de nouvelles révélations ?
François MARGOLIN. – Le meurtre de Sarah Halimi a eu lieu une quinzaine de jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et, tout de suite, beaucoup de «bonnes âmes» se sont empressées de dire qu’il ne fallait pas trop en faire de publicité pour «ne pas faire le jeu du Front national», un refrain que j’entends depuis une trentaine d’années et qui n’a, comme on le sait, eu aucune conséquence, si ce n’est, peut-être, celle inverse.
Le résultat de cette attitude a été que très peu de gens ont eu le courage d’en parler, à l’exception de la journaliste Noémie Halioua -qui en a fait très vite un livre – et du Figaro, qui s’est mobilisé très vite. Et l’enquête elle-même n’a jamais vraiment eu lieu.
J’en ai eu la confirmation en travaillant sur le sujet – j’avais commencé il y a environ cinq ans – et j’ai donc décidé de reprendre l’enquête de zéro. Avec évidemment un point de vue, le mien, et avec, bien sûr, la certitude qu’il s’agissait d’un crime antisémite, et d’un vrai scandale puisque ce crime était impuni.
Mais je voulais entendre toutes les parties, y compris celles qui n’avaient pas du tout le même point de vue que moi, je pense par exemple aux deux principaux experts psychiatres, les docteurs Zagury et Bensussan, qui n’avaient quasiment jamais parlé, ou à Thomas Bidnic, l’avocat de Kobili Traoré, l’assassin. J’ai réussi, avec pas mal de difficultés, à les convaincre, mais j’avoue qu’ils ont joué le jeu et qu’entendre toutes ces personnes, sans parler, évidemment, des avocats de la famille Halimi ou des membres de la Commission d’Enquête Parlementaire créée à l’initiative du député Meyer Habib a donné une grande crédibilité au documentaire. Je crois qu’il est inattaquable. Il démontre en effet par A plus B comment cette affaire, ce crime, s’est transformée en gigantesque fiasco judiciaire, comme l’explique dans le film Maître Francis Szpiner.
Ce qui est tout à fait nouveau c’est que tous ces gens parlent, que certains, comme le docteur Bensussan, se demandent s’ils ne se sont pas trompés dans leur analyse et l’on comprend très bien, en les écoutant, que la psychiatrie n’est pas une science exacte. On ne fait pas des mathématiques !
Par ailleurs, je souhaitais que Sarah Halimi ne soit pas réduite à une simple photo – toujours la même, en noir et blanc -. Je voulais lui rendre la vie, si je peux me permettre de parler ainsi. Je voulais retrouver des gens qui l’avaient connue, qui l’avaient aidée à monter une crèche dans le Marais, des gens qui lui rendent «son âme», comme le grand rabbin Kaufmann, de la Place des Vosges. Cela me semblait essentiel de la faire sortir de l’anonymat. J’ai eu du mal à obtenir ces témoignages car beaucoup de ses voisins se sont défilés, me raccrochant souvent au nez. Ce qui est effrayant, c’est que six ans plus tard, ce sont les proches de la victime qui ont peur et pas les proches de l’assassin. Tout cela, en plein Paris, dans le XIe arrondissement, à deux pas de la rue Saint Maur et des ses bistrots branchés. Les voisins ont peur d’être agressés dans la cage d’escalier s’ils témoignent devant une caméra !
Enfin, j’ai obtenu les témoignages très rares de la juge d’instruction, qui manifeste une absence totale d’empathie pour la victime et explique «qu’elle avait trop de travail pour effectuer une reconstitution du crime» ou même, simplement pour recevoir les avocats de la famille. Cela donne la nausée. Et j’ai eu aussi les policiers dont on se demande ce qu’ils ont fait durant les trente minutes qu’ont duré les tortures infligées à Sarah Halimi. Ils étaient derrière la porte «attendant des ordres», alors que l’assassin criait «Allah Akhbar» à de multiples reprises et que de nombreux voisins assistaient, depuis leur balcon, dans la cour, à ce crime en direct. En appelant le 17 et la police qui répondait: «on s’en occupe». On comprend, en les écoutant, que la fille des voisins, les Diarra, des cousins de Traoré, leur avait envoyé les clefs de l’appartement et le Vigik, mais ils déclarent ne pas s’en être rendu compte. On croit rêver. Et on se demande si l’on a affaire à la stupidité des ordres ou à un clône de la Septième compagnie. Si le crime n’était pas si atroce, ce serait presque risible.
Vous êtes-vous forgés une intime conviction ? Pensez-vous que Kobili Traoré aurait dû être jugé ? Était-il fou ?
Mon intime conviction c’est à la fois que ce crime est un crime antisémite et qu’il aurait pu être évité. Je m’en doutais depuis plus de cinq ans mais j’en ai aujourd’hui les preuves. Et, sans révéler des choses que l’on m’a confiées «off», je dois dire que la plupart des parties prenantes de cette affaire – de tous bords – partagent cette opinion.
On a affaire, dans ce drame, à une juge d’instruction qui est persuadée, depuis le premier jour, que l’assassin est irresponsable et qui n’a cherché à mener l’enquête que pour se conforter dans cette opinion. C’est parfaitement scandaleux et, à mes yeux, le contraire de ce que j’espère de la Justice française.
Il y avait tout pour que Kobili Traoré soit jugé et il n’était pas même besoin de refaire une loi pour cela. On voit bien dans des affaires récentes, que l’utilisation de drogues amplifie la responsabilité des assassins or, ici, c’est le contraire. Kobili Traoré avait pourtant été condamné à plus de vingt-cinq reprises pour trafic de drogue, usage de stupéfiants ou violences volontaires et, jamais, on ne lui avait trouvé de circonstances atténuantes. Or, soudainement, on explique qu’il a eu «une bouffée délirante», chose parfaitement improuvable puisqu’elle peut très bien ne plus jamais revenir. Et le plus stupéfiant – si j’ose dire – c’est que les premiers examens psychiatriques ont eu lieu plus de quatre mois après le crime. Sans être paranoïaque, on se dit que cela laisse à l’assassin du temps pour se préparer…
S’il était fou, pourquoi serait-il venu chez ses cousins (et voisins) les Diarra, le matin du crime, déposer des habits propres afin de se changer. Moi qui ai fait il y a quelques années un film sur les Salafistes, et qui les connais bien, je sais que c’est ce que font ceux qui se préparent à devenir shahid et à partir au ciel, après avoir commis un crime rituel, afin d’y retrouver les soixante-douze vierges promises dans le Coran. Sans doute, Kobili Traoré pensait-il finir tué par la police et c’est quand il a constaté que sa stratégie avait échoué qu’il a opté pour une autre.
Et puis, de toute façon, se pose une autre question: faut-il être parfaitement sain d’esprit pour tuer quelqu’un? Je ne le crois pas.
Peut-on parler au sujet de cette affaire d’un simple fait divers ? Que dit-elle de la société française ?
Il ne s’agit évidemment pas d’un simple fait divers mais, sans doute, de l’affaire la plus grave depuis l’Affaire Dreyfus. La plus symbolique pour la communauté juive – si l’on excepte la période de la Guerre, bien sûr – car elle prouve que l’on peut tuer une femme juive, en plein Paris, et ne pas être sanctionné. C’est terrible. Il y a eu d’autres meurtres de Juifs depuis une vingtaine d’années, je pense aux meurtres de Mohammed Merah à Toulouse, à l’Hypercacher ou à Ilan Halimi. C’était affreux mais il y a eu, chaque fois, un procès. Là, il n’y a rien, il ne se passe plus rien et il risque de ne plus jamais rien se passer.
J’ai été extrêmement choqué lorsque j’ai entendu un député écologiste, en l’occurence Julien Bayou, expliquer que cette affaire concernait la communauté juive et seulement la communauté juive. C’est un mensonge. C’est une affaire française qui concerne tous les Français et, tant qu’on ne l’admettra pas, l’antisémitisme ne fera que croître en France.
Mes grands-parents ont fui il y a un siècle les pogroms d’Europe de l’Est car ils pensaient que la France était le pays de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité. On disait à l’époque: «Heureux comme un Juif en France». Je crois malheureusement que ce n’est plus le cas. Je ne voudrais pas, pour autant, que les Juifs n’aient plus d’autre solution que de fuir en Israël ou aux États-Unis.
Comment expliquez-vous ce fiasco judiciaire ?
Ce fiasco judiciaire est la succession d’incidents, d’erreurs et de dysfonctionnements qui ont mené, comme dans une catastrophe aérienne, à ce que les choses finissent « dans le mur ». C’est l’addition de ces problèmes, de la mauvaise volonté de juges et d’incompétences policières qui a abouti à ce désarroi. Je dois dire qu’heureusement qu’il y a eu – même si c’était après que toutes les étapes juridiques aient été menées – la Commission d’Enquête Parlementaire menée à l’initiative de Meyer Habib et de François Pupponi, l’ancien maire de Sarcelles. Cette Commission a obligé beaucoup de gens à venir témoigner et ainsi leurs témoignages resteront pour l’avenir. C’est au moins ça, mais c’est essentiel.
Y a-t-il un tabou concernant ce que l’on appelle le nouvel antisémitisme ? Le fait qu’il soit lié à l’islam contribue-t-il à une forme d’omerta ?
Bien sûr ! Je l’ai bien vu lorsque j’ai cherché des financements pour faire ce film, même six ans après. L’essentiel des chaînes de télévision ne voulait surtout pas que l’on raconte l’histoire d’un Musulman qui tue, de sang-froid, une femme juive. Il faut toujours montrer que Juifs et Musulmans s’entendent à merveille. Ce qui est faux, même si je ne pense pas, bien sûr, que tous les Musulmans sont des assassins. Et c’est pour cela que je suis extrêmement reconnaissant à RMC Story d’avoir bien voulu s’investir dans mon film. C’est un acte de courage que je salue.
Certains, dans cette affaire, voudraient nous faire croire que «dans sa folie», Kobili Traoré a choisi de tuer Sarah Halimi «par hasard». Ce n’est pas le cas. Il la menaçait depuis très longtemps, elle avait peur de lui et c’est parce qu’elle était juive qu’il en était ainsi. L’antisémitisme règne aujourd’hui non seulement dans les banlieues mais aussi en plein Paris, en particulier dans ce quartier de Belleville qui a longtemps représenté un melting-pot culturel religieux et culturel. Or ce n’est plus le cas.
On essaie de nous expliquer que l’antisémitisme vient de l’extrême droite – c’est ce que raconte une grande partie de la gauche – or cet antisémitisme est dérisoire par rapport à l’autre: cet antisémitisme content de lui et omniprésent chez beaucoup de jeunes d’origines musulmanes. Kobili Traoré fréquentait la mosquée Omar, à deux cents mètres de chez lui, qui est une des mosquées les plus radicales de France. Il y était allé quelques heures avant son crime.
Craignez-vous d’autres Sarah Halimi ?
Malheureusement, oui, car je ne vois guère les choses changer depuis six ans. On dirait même qu’elles s’aggravent. On laisse les choses se faire par de petites lâchetés: hidjab, abaya,… De petites lâchetés qui ne sont pas le fruit du hasard mais le résultat d’une stratégie mûrement réfléchie par des groupes islamistes, comme on l’a vu avec le meurtre de Samuel Paty. S’il n’y a pas un sursaut, les choses continueront et se reproduiront. Il faut des gestes forts, emblématiques, afin de dire «Stop». Mais n’est-il pas déjà trop tard?
Selon la justice Kobili Traoré a agi sous l’effet d’une bouffée délirante liée à la consommation de cannabis. Cela signifie-t-il qu’il pourrait sortir de l’hôpital psychiatrique ?
Comme le dit dans le film Maître Goldnadel, Kobili Traoré peut sortir demain matin de l’hôpital psychiatrique. Il n’a pas vraiment de raison d’y rester puisque ce qu’il a, «cette bouffée délirante», ne se soigne pas. Il a d’ailleurs des permissions de sortie régulières et fait des vidéos avec ses copains sur Tik Tok, vidéos effacées aussitôt.
Je crois juste que l’on ne veut pas qu’il sorte – le préfet doit donner son accord – pour ne pas choquer la famille et la communauté juive. On attend de faire les choses un de ces jours, discrètement. Afin d’éviter un scandale politique. Mais cela aura lieu à moins que, miracle, des faits nouveaux, ou un nouveau Zola fassent que l’on décide de rouvrir l’enquête et de faire le travail tel qu’il aurait dû être fait. On peut toujours croire au miracle.
Propos recueillis