Quinze localités palestiniennes ont récemment été la cible d’expéditions punitives, sans que cela ne soit clairement condamné par le gouvernement. Seule la sécurité intérieure s’en insurge. Par Danièle Kriegel.
Que ce soit à Turmus Ayya, Umm Safa, Hawara, Urif, Jalud, etc., c’est toujours le même scénario : des dizaines de colons, parfois beaucoup plus, cagoulés et armés, arrivent dans une localité palestinienne qu’ils saccagent en incendiant maisons, voitures et en terrorisant la population à coups de pierre ou de tirs au pistolet. Des expéditions punitives menées par ceux que l’on appelle « les jeunes des collines », mais pas seulement.
Y participent également des adultes venant des colonies voisines et des soldats en permission qui viennent munis de leurs armes. Lors de l’attaque samedi dernier d’Umm Safa, un de ces militaires a été arrêté et remis au Shin Bet, la sécurité intérieure. Depuis l’attentat dans la colonie d’Eli dans le centre de la Cisjordanie, qui a coûté la vie à quatre Israéliens, ce sont quinze localités palestiniennes qui ont été la cible d’émeutiers juifs. Un résident de Turmus Ayya, Omar Jabara Qattin, a été tué. Il avait un passeport américain, comme 90 % des habitants de cette localité. Cent soixante véhicules et plusieurs dizaines de maisons ont été incendiés. Une vague de violence antipalestinienne qui a duré plusieurs jours sans pour autant plonger le gouvernement de Benyamin Netanyahou dans une quelconque inquiétude et sans que les ministres se sentent obligés d’émettre quelques condamnations. Ils ont juste demandé « de ne pas faire justice soi-même ».
Ceux qui ont réagi avec fermeté, ce sont les chefs de l’appareil sécuritaire. Le général Herzi Halevi, le chef d’état-major, le patron du Shin Bet, Ronen Bar, et Kobi Shabtai, le commandant national de la police, ont pris l’initiative – sans précédent – de publier un communiqué conjoint « condamnant ces attaques commises par des citoyens israéliens contre des Palestiniens innocents. Elles sont contraires à toutes les valeurs juives. Ce sont des actes de terrorisme nationaliste à tous points de vue et nous avons l’obligation de les arrêter ».
« Qui êtes-vous ? Le groupe Wagner ? »
Cela n’a pas plu à Mme Orit Strook, ministre des Missions nationales et de l’Implantation – elle-même habitante de la colonie juive de Hébron. S’adressant aux chefs de la sécurité, elle leur a lancé : « Qui êtes-vous ? Le groupe Wagner ? Pour publier un tel communiqué sous le nez du gouvernement ? Qui êtes-vous pour nous prêcher la morale ? Je suis contre ces événements, mais il est honteux de les qualifier de terrorisme nationaliste ! » Face au scandale suscité par ses propos, elle a présenté des excuses, en ajoutant, toutefois, qu’elle ne retirait pas ses critiques. Benyamin Netanyahou a déclaré, en substance, qu’il était inadmissible d’attaquer ainsi ceux qui mènent le combat contre le terrorisme palestinien.
Reste que les ministres d’extrême droite en ont profité pour avancer leurs pions. Ils ont envoyé leurs troupes créer, en toute illégalité, des avant-postes et des fermes agricoles dans le centre de la Cisjordanie, ou réinvestir l’avant-poste d’Evyatar, évacué il y a deux ans par le gouvernement précédent. Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, n’a pas attendu pour se rendre sur place. Enthousiaste, il a lancé un appel aux jeunes colons réinstallés pour qu’« ils courent investir toutes les collines avoisinantes ».
Benyamin Netanyahou s’est contenté de réagir en conseil des ministres, ce dimanche, en déclarant devant les caméras : « Ces appels à saisir des terres illégalement sont inacceptables pour moi. Cela sape la loi et l’ordre en Judée-Samarie et cela doit cesser immédiatement. » En fait, la loi en Cisjordanie est désormais de la responsabilité directe de Bezalel Smotrich, le chef de « Sionisme religieux », le parti des colons, aujourd’hui ministre délégué à la Défense, en charge de l’administration civile de la Cisjordanie et lui-même colon. Il s’est réjoui de l’annonce faite par Benyamin Netanyahou quelques heures après l’attentat d’Eli : « Plusieurs milliers d’unités de logement seront construites dans plusieurs colonies, dont mille à Eli. »
La colonisation s’accélère comme jamais
Alors que, par le passé, il s’écoulait plusieurs mois, voire des années, entre les annonces de ce type faites par les responsables gouvernementaux et leur concrétisation sur le terrain, cela n’a pris, cette fois, que quelques jours. Ce lundi, le Haut Conseil de la planification a commencé les débats à ce sujet. Ce qui, pour les experts, témoigne de l’accélération des procédures de construction dans le secteur juif en Cisjordanie. Le résultat, sans aucun doute, du dernier décret publié par le gouvernement qui transforme le processus de planification et d’autorisation du développement de la colonisation.
En attendant, face au « terrorisme nationaliste juif », se pose la question suivante : qui assure la sécurité des populations palestiniennes en zone C, c’est-à-dire sous contrôle total des autorités israéliennes ? En visite à Turmus Ayya, le représentant de l’UE dans les territoires palestiniens, Sven Kuehn von Burgsdorff, a reproché à Israël de ne pas respecter ses obligations en matière de protection des Palestiniens, conformément aux Conventions de Genève. « Il n’y a eu aucune tentative ou effort pour stopper les colons », a-t-il dit. Ancien vice-président de l’Institut israélien Pour La Démocratie, le professeur de droit Mordechaï Kremnitzer a déclaré au Point : « Si la communauté internationale s’intéresse au sort des populations palestiniennes, elle doit décider d’envoyer une force internationale destinée à les protéger. »