Les termes négatifs désignant les juifs et les chrétiens disparaissent peu à peu des manuels scolaires saoudiens, selon CNN. Un changement sans doute destiné à préparer la population à une éventuelle normalisation avec l’État hébreu.
« Presque tous les exemples décrivant les chrétiens et les juifs de manière négative » ont été supprimés des manuels scolaires saoudiens. C’est ce que mentionne un rapport de l’Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education (Impact-se) publié le mois dernier et révélé hier par CNN. Cette organisation israélienne surveille principalement la manière dont l’État hébreu et les juifs sont présentés dans les textes éducatifs.
Les allégations « selon lesquelles les juifs et les chrétiens sont les ennemis de l’islam » ont notamment été supprimées, selon l’étude. Sur le conflit israélo-palestinien, Impact-se a remarqué une modération de terminologie, cependant loin d’être une acceptation totale d’Israël. Certaines références à « l’ennemi israélien » ou « l’ennemi sioniste » ont été remplacées par « l’occupation israélienne » ou « l’armée d’occupation israélienne ». Mais d’autres références critiques envers Israël, ainsi que l’omission de ce pays sur les cartes, sont également relevées dans l’étude. L’Holocauste n’est quant à elle toujours pas mentionnée, comme dans la plupart des pays arabes.
Conseillé par Impact-se, le ministère de l’Éducation des Émirats arabes unis met pour sa part à jour ses programmes scolaires pour y inclure l’enseignement de la Shoah dans les écoles primaires et secondaires. Dans le sillage des accords d’Abraham, signés en 2020, l’ambassade émiratie à Washington a annoncé le 5 janvier que les écoles de la fédération avaient commencé à enseigner l’histoire de l’extermination des juifs, marquant un pas de plus dans le processus de normalisation.
Un changement à contextualiser
Ce n’est pas la première fois que les programmes scolaires saoudiens sous soumis à des modifications pour des raisons politiques. Ces derniers ont fait l’objet d’un examen minutieux en Occident après les attentats du 11 Septembre, au cours desquels 15 des 19 pirates de l’air étaient saoudiens. Depuis lors, la monarchie wahhabite a progressivement supprimé les contenus radicaux de ses manuels : en 2019, l’expression comparant les juifs à « de vrais singes » avait été retirée d’un livre de seconde, selon France Inter.
Kristin Diwan, chercheuse au Gulf States Institute à Washington, a déclaré que les récents changements sont conformes à la nouvelle orientation politique du royaume. Pendant des décennies, le gouvernement a cherché à asseoir sa légitimité dans le pays et à l’étranger en s’appuyant sur son statut de berceau de l’islam, terre de ses deux sites les plus sacrés, mais Riyad s’est orienté ces dernières années vers une forme de nationalisme s’éloignant de la religion. La chercheuse a toutefois fait remarquer que si la nouvelle formulation témoigne d’une plus grande tolérance religieuse à l’égard du judaïsme, elle laisse dans l’incertitude « l’acceptation politique d’Israël ».
Une annonce à prendre avec des pincettes
De son côté, Aziz Alghashian, chercheur sur la politique étrangère saoudienne et les liens du royaume avec Israël, a déclaré que ce dernier « subit un changement dans sa relation avec l’islam ». Selon lui, les modifications apportées aux manuels scolaires saoudiens sont subtiles et ne suggèrent pas de transition majeure vers l’acceptation de l’État hébreu. « Certains en Israël souhaitent tellement une normalisation avec l’Arabie saoudite que toute action au sujet d’Israël sera présentée comme quelque chose de positif en ce sens », a-t-il déclaré à CNN.
Aux États-Unis, le président Joe Biden a fait de la normalisation israélo-saoudienne une priorité de son mandat. Depuis l’arrivée au pouvoir de MBS, l’Arabie saoudite a montré des signes d’ouverture, ouvrant notamment son espace aérien aux compagnies israéliennes pour la première fois l’année dernière. Mais le gouvernement saoudien a insisté sur le fait qu’il n’y aurait pas de normalisation avant la création d’un État palestinien, conformément à l’initiative de paix arabe à l’instigation du roi Abdallah en 2002 à Beyrouth.
Elie Podeh, professeur au département d’études islamiques et moyen-orientales de l’Université hébraïque de Jérusalem, qui a étudié en profondeur les systèmes éducatifs de la région, a déclaré à CNN que ces changements s’inscrivent dans un « très long processus » de modération. Mais même la suppression d’un chapitre entier sur la cause palestinienne ne signifie pas que le gouvernement saoudien cesse soudainement de s’en préoccuper. « Il est évident qu’ils ne nient pas la question palestinienne, ils la soutiennent », a déclaré M. Podeh au média américain.
Les experts sont cependant unanimes : les changements dans les manuels scolaires ne suffiront pas à façonner la perception du public. « Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les nombreux instruments de socialisation minimisent dans une certaine mesure le rôle des manuels », a déclaré M. Podeh. Mme Diwan a ajouté que « les opinions des gens sont influencées par les messages des médias, par les événements mondiaux et par les expériences personnelles. Tous ces éléments ne sont pas contrôlés par l’État ».