Souvent décrit comme le conseiller de l’ombre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, son fils aîné, influenceur suprémaciste, l’embarrasse parfois, mais sert aussi son jeu politique.
Il est loin d’avoir connu une enfance ordinaire. Yaïr Netanyahu n’a que quatre ans lorsque son père, Benjamin Netanyahu, accède au poste de Premier ministre d’Israël pour la première fois, en 1996. Toute son enfance baigne alors dans la politique, fils d’un père acclamé par certains comme « roi d’Israël » et d’une mère, Sara Netanyahu, suspectée d’être la principale conseillère de l’ombre de son mari. Mais c’est aujourd’hui Yaïr qui est au cœur des débats médiatiques israéliens. Âgé de 31 ans, le fils aîné du Premier ministre, souvent décrit comme un conseiller non officiel de son père, est devenu une personne d’influence à la tête de l’État.
C’est sur les réseaux sociaux ou encore sur la radio Galey Israël – diffusant en hébreu depuis une colonie en Cisjordanie occupée – dans laquelle il tient son hebdomadaire « Yair Netanyahu Show » que le fils du Premier ministre enchaîne « infox » et provocations à la Donald Trump. Celui qui compte 168 000 abonnés sur Twitter est devenu la star des milieux suprémacistes juifs. Dans ses émissions, des thèmes très ciblés, du « manque de libertés des Israéliens de droite » aux Palestiniens en passant par l’islam, ou encore, en mars dernier, aux manifestations en Israël qu’il dit « financées par les États-Unis ».
Un « Premier ministre par intérim »
Plusieurs analystes et politiques israéliens s’accordent pour le décrire comme un « Premier ministre de facto », voire « par intérim ». Depuis le retour au pouvoir de son père en décembre dernier, on parle même d’une « coalition Yaïr Netanyahu » en référence à la coalition la plus à droite de l’histoire d’Israël faisant la part belle à l’extrême droite et aux ultraorthodoxes juifs. Mais comment l’habitué des sorties explosives sur les réseaux sociaux, entremêlant complotisme, colonialisme et nationalisme chuchoterait-il à l’oreille de son père la politique à mener pour le pays ?
« Yaïr se connecte à une jeune génération d’Israéliens de droite, alors que l’on pense généralement que les jeunes sont plutôt libéraux et progressistes. Il sert un objectif de communication politique pour son père », souligne Marwa Maziad, professeure adjointe aux études israéliennes à l’Université du Maryland, pour qui le fils aîné s’adresse avant tout à la jeunesse.
Cette année, tandis que le pays est confronté à une mobilisation massive contre la réforme judiciaire proposée par le Premier ministre, Yaïr Netanyahu attaque sur Twitter le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui s’est opposé au projet, l’accusant de faire preuve de faiblesse face aux manifestants. Quelques jours plus tard, le chef de l’exécutif licencie le ministre de la Défense. Si face à la pression de centaines de milliers d’Israéliens descendus dans la rue, Benjamin Netanyahu a finalement fait marche arrière, maintenant le ministre à sa fonction et gelant la réforme jusqu’à nouvel ordre, l’impulsion avec laquelle le Premier ministre a agi laisse penser que les conseils du fils ne sont jamais loin.
« Benjamin Netanyahu ne cautionne pas les propos outranciers attribués à son fils. Mais il ne condamne pas non plus vigoureusement leur auteur, ce qui lui permet sans doute de faire le pont avec certains partenaires de sa coalition, observe David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Ce qui n’est pas négligeable pour conforter une coalition très marquée à droite. »
Une influence croissante
L’influence de Yaïr Netanyahu se serait accentuée depuis les affaires de corruption, d’escroquerie et d’abus de confiance pour lesquels son père a été inculpé. Selon une source proche des hauts dirigeants d’Israël interrogée par New Lines Magazine, tous les conseillers et proches de Benjamin Netanyahu ont dû témoigner dans le cadre de ces procès, questionnant ainsi leur fidélité au Premier ministre et faisant de Yaïr le seul conseiller proche qui lui restait.
Mais les rumeurs d’implication du fils aîné dans la politique ne sont pas nouvelles. En 2016, l’affaire Elor Azaria confirmait déjà ce rôle, selon le quotidien israélien de centre gauche Haaretz. Tandis qu’un soldat israélien, nommé Elor Azaria, avait été filmé en train de tirer sur un Palestinien blessé, l’armée ordonne une enquête pour homicide. Benjamin Netanyahu ne soutient pas immédiatement le soldat et appuie l’armée israélienne, à l’origine de l’enquête. Mais après que son fils lui partage son désaccord en lui montrant les réactions de colère des internautes face à sa prise de position, Benjamin Netanyahu appelle au téléphone le père du soldat et lui apporte son plein soutien. Azaria sera finalement inculpé par l’armée et envoyé en prison. Mais l’action du Premier ministre, qui s’est opposé à la position officielle de l’armée, semble avoir montré l’influence croissante de son fils dans ses affaires.
Pourtant, lors d’une conférence de presse tenue le 10 avril dernier, alors que Benjamin Netanyahu se présente face aux caméras et médias israéliens quatre mois après son retour au pouvoir, le Premier ministre dément l’implication de son fils dans son action politique. Tandis que l’actualité porte plutôt sur la très controversée réforme de la justice, les journalistes le questionnent sur Yaïr. Le Premier ministre, exaspéré, répond : « Yaïr n’a pas d’influence. Il est une personne indépendante qui a ses propres opinions. »
Un fils embarrassant
Mais celui qui se révèle être un proche allié embarrasse également son père. Depuis plusieurs années, Yaïr Netanyahu est connu en Israël pour ses frasques et ses excès. En décembre 2018, on apprend que lorsqu’il accompagne ses parents à l’investiture du président du Brésil, Jair Bolsonaro, il ressort avec une facture de 2 560 dollars au Hilton de Copacabana. Le règlement sera semble-t-il pris en charge par la famille Netanyahu, mais le bureau du Premier ministre avait alors affirmé avoir reçu la facture de l’hôtel. Ou encore en décembre dernier, lorsque reconnu coupable de diffamation pour avoir tweeté qu’un ancien conseiller principal de son père était « une plante » et « une taupe », Yaïr demande à l’État de couvrir son amende de 117 000 dollars. Ce qui lui a été refusé.
Accourant au chevet de son père, Yaïr a également qualifié de « traîtres » les procureurs et les policiers chargés d’enquêter sur son père au moment où le Premier ministre était chargé de former un nouveau gouvernement, à l’hiver dernier. Poursuivant sur sa lancée, il affirme qu’en Israël, la loi « punit par la peine de mort la trahison », laissant entendre qu’ils devraient être exécutés. Le chef de l’exécutif, confus, se voit obligé d’intervenir, et d’afficher son désaccord avec son fils. « J’aime mon fils Yaïr, mais bien que chacun ait le droit d’exprimer son opinion, je ne suis pas d’accord avec ses propos », déclare-t-il dans un communiqué.
S’il est vrai que le Premier ministre semble prendre ses distances avec certaines déclarations de Yaïr, c’est aussi pour mieux servir ses ambitions politiques. « De facto, ses propos permettent à Benjamin Netanyahu de se recentrer au sein d’une coalition très marquée à droite, voire de se démarquer peu ou prou de ses partenaires tels que Bezalel Smotrich (ministre des Finances) et Itamar Ben Gvir (ministre de la Sécurité intérieure) », pointe David Rigoulet-Roze.
Mais lorsque Yaïr touche à des dossiers politiques, lui qui a pourtant un attrait pour la communication – ayant notamment rejoint le porte-parolat de l’armée israélienne durant son service militaire –, ses dires ne cessent de faire polémique et causent même parfois des incidents. Le père, gêné, est forcé de rappliquer.
Dans sa dernière sortie, fin mars, le fils accuse le département d’État américain de financer les opposants de Benjamin Netanyahu pour possiblement bénéficier à l’Iran, entraînant une condamnation de Washington. Alors que le Premier ministre n’avait rien dit à son fils lorsqu’il comparait les manifestants – comprenant pourtant d’anciens soldats – à des terroristes et des nazis, la réaction américaine déconcerte Benjamin Netanyahu. On frôle l’incident diplomatique entre les deux États.
Depuis, Yaïr Netanyahu a disparu des réseaux sociaux. Plus de tweets depuis le 28 mars. Et plusieurs sources affirment au site israélien Walla que c’est Benjamin Netanyahu en personne qui lui aurait demandé de calmer le jeu à la suite de la réaction américaine. Une demande respectée par son fils jusqu’à présent, mais qui aurait provoqué une sévère dispute entre les deux hommes, révèle Walla.
Difficile, donc, d’entrevoir aujourd’hui les ambitions politiques du fils Netanyahu. « Yaïr soutient la carrière politique de son père mais pourrait très bien avoir ses propres ambitions, suggère Marwa Maziad. Ses références, son expérience et son nom pourraient peut-être l’aider à y parvenir. » Nul doute que Yaïr est déjà bien dans la lignée d’un nom qui suscite vives polémiques, amour et haine. Israël, qui a donné les rênes du pays pendant 15 ans à un Netanyahu, semble prêt à voir se poursuivre la saga.