Dans sa dernière chronique, Eliette Abécassis revient sur la recherche de vérité de la jeune génération.
« En vrai », toutes ses phrases commencent ainsi. Tu vas à la piscine ? En vrai, je vais y aller mais pas trop tôt. Tu as fini ton travail ? En vrai, j’ai commencé mais j’ai pas fini. Tu pars où en vacances ? En vrai, j’ai pas encore décidé, je cherche un stage et je vais voir avec mes copines qui n’ont pas trop d’argent. En vrai… et pourquoi pas en faux ? En vrai, car c’est la vérité qu’elle recherche. Elle sait déjà tout. Du désastre écologique qui menace la planète et son quotidien, de la crise économique qui n’est plus cyclique, de l’inflation qui rend la vie dure. En vrai, elle est consciente. Plus que ses parents, qui lui ont servi leurs mensonges, leur soi-disant amour dévasté par la haine, et cette hypocrisie qui veut partager les enfants en deux parts bien égales au nom de leur intérêt supérieur. Du ravage de la planète par les carburants, des polluants, des pesticides, des élevages intensifs, des hormones, des pêches abusives et des batteries de poulet qui ne voient pas la lumière du jour, elle a pris la part, son militantisme n’est ni jeune ni désinvolte, il n’est pas une posture, sa révolte est réelle, dans ce monde apocalyptique dont on ne cesse de répéter qu’il tire bientôt à sa fin.
En vrai : elle aime cette planète Terre, qu’elle habille de ses rires et de ses prostrations, de ses rêves et de ses angoisses, de ses courses et de ses fuites ; elle est remplie de doutes qu’elle cache par d’ardentes certitudes dérivées des nôtres, l’antiracisme, le respect de l’autre quel qu’il soit, le féminisme, le « genre », tous les concepts de Mai 68 devenus ses idéaux, parfois ses dogmes. Nos enfants, nos héritiers, notre progéniture sont nos créatures nées de ce que nous leur avons enseigné avec notre esprit critique : que l’identité se construit, qu’elle s’affirme et se respecte, que toutes les idéologies sont relatives, que tout se vaut en somme et qu’il faut plutôt transformer le monde que l’interpréter, agir pour éviter d’être dominé mais où est la vérité, dans ce monde qui bouge et ces identités floues ? Nous avons péché, nous avons prêché, nous n’avons rien fait. Si elle recherche la vérité, c’est parce qu’elle est plus pure, plus sûre, plus dure que moi, qui à son âge n’étais ni engagée, ni enragée, ni active, ni consciente de ce qui se passait autour de moi – sauf à trouver son chemin dans l’humanitaire et dans l’associatif afin d’agir au lieu de commenter, afin de nourrir au lieu de consommer, afin de réagir pour ne pas s’écraser.
En vrai, elle voudrait réussir, elle n’est pas contre le fait de travailler, si on lui propose des cours enrichissants, si ses professeurs l’intéressent, elle se montre passionnée, elle aime apprendre, comprendre et écouter, elle a sa culture et ses idées, ses références aussi et celles qu’elle n’a pas, mais peu importe après tout. Enfant du divorce, elle a traversé les crises, sa vie n’était pas un long fleuve tranquille, et si elle croit en l’amour, le vrai, c’est parce qu’elle n’a pas renoncé devant le spectacle désolant de ses proches, parents de l’erreur et de la fausseté, du mensonge et de l’égoïsme : nous avons passé la moitié de notre vie à gravir une échelle adossée à un mur, puis la deuxième moitié à comprendre que ce n’était pas le bon mur, comme le dit C.G Jung. Nous nous sommes crus heureux, nous nous sommes montrés amoureux, nous avons foncé tête baissée vers l’horizon, avant de nous apercevoir que ce n’était qu’un mirage né de notre imagination, de notre désir de nous abreuver dans le désert de nos vides, et tout ce que nous avons trouvé, c’était l’amour.
En vrai, elle s’en fout, elle grandit, passe d’un appartement à un autre, d’une rive à l’autre, d’une ville à l’autre, avec son bac, sa licence et son master, elle aligne les notes et empile les diplômes, elle se cherche parmi ceux qui font leur droit, découvrent l’histoire, la géographie, les sciences politiques, les sciences sociales, les sciences expérimentales, les sciences physiques, numériques, informatiques et mathématiques. Le soir elle sort, elle danse et quand elle n’en peut plus de ce monde verrouillé, elle rentre et s’évade devant Kim Kardashian et sa vie de rêve, et toutes celles qui incarnent les faux-semblants. Elle le sait, elle connaît bien les leurres, elle n’est pas un lapin crétin de trois jours qui sème des milliers de données au gré de ses traversées nocturnes.
Elle aime ses amis virtuels et ses amis réels, et veille sur les siens avec sollicitude, elle respecte ses grands-parents et aime contenter ses parents. En vrai, elle se tient debout. Sincère, d’une honnêteté sans faille, d’une logique implacable, elle veut faire le bien et sauver la planète, ou pas. Mais elle est responsable. Elle ne veut pas se mentir, elle ne veut pas qu’on lui raconte des histoires, même pas dans les romans, et même pas dans la vie. En vrai… petite môme, c’est toi qui es vraie.
Par Eliette Abécassis