Ce 15 juin 2023, Myriam Ackermann-Sommer sera ordonnée à vingt-six ans. Elle deviendra à cette occasion la première femme orthodoxe de France à être investie des charges de rabbin.
Le 15 juin 2023, sera ordonnée à New York, une semaine après son mari Émile Ackermann[1], Myriam Ackermann-Sommer, âgée de vingt-six ans, à la Yéshivat Maharat. Il s’agit non pas du premier couple français de rabbins mais du premier couple français de rabbins « orthodoxes modernes » (Modern orthodox, aux Etats-Unis) et de ce fait, Myriam Ackermann Sommer devient la première femme orthodoxe de France à être investie des charges de rabbin. Jamais encore, un couple juif orthodoxe ne s’était battu pour que la femme soit l’égale de l’homme… la rabbanit (féminin de rabbin), l’égale du rabbin…
L’histoire dira sans doute un jour ce qu’il aura fallu à Myriam Sommer, née dans une famille chrétienne d’une mère juive déjudaïsée et d’un père chrétien, pour entreprendre un jour des études au plus niveau de l’orthodoxie, dans une yéshiva de New York, une école talmudique, acceptant de préparer les femmes à la charge rabbinique, et grâce aux encouragements de son mari.
Après Sarah, la femme d’Abraham, Rébecca, femme du patriarche Isaac, Ruth, Déborah, la reine Esther, il fallut surtout attendre le XXe siècle pour que de grandes femmes juives ou d’origine juive, se fassent connaître et laissent leur nom dans l’Histoire, après les philosophes Simone Weil, Hannah Arendt, Sarah Kofman, Danielle Cohen-Levinas, Catherine Chalier, jusqu’à des femmes politiques comme Simone Veil, en passant par la première rabbine au monde, Regina Jonas (Berlin, 1902 – Auschwitz-Birkenau, 1944), oubliée cinquante ans durant, et les rabbines françaises Pauline Bebe et Delphine Horvilleur, voici Myriam Ackermann-Sommer.
Le chemin de Myriam, née Marie et baptisée, est remarquable à plus d’un titre. Nièce du grand rabbin Alexis Blum, qui fut le rabbin de la communauté consistoriale de Neuilly (92), elle découvre le judaïsme à l’adolescence et dévore le Talmud, la littérature rabbinique depuis Rachi de Troyes (acronyme de rabbi Shlomo ben Yitzrak), l’un des plus grands commentateurs médiévaux de l’histoire juive, jusqu’à Rav Joseph Ber Soloveitchik (1903-1993), éminent chef spirituel américain, qui œuvra pour ouvrir l’étude aux femmes orthodoxes.
Alors que dans les pays anglo-saxons et en Israël de nombreuses femmes orthodoxes ont été ordonnées rabbines, comment expliquer que le judaïsme français soit à ce point obtus et retardataire sur la marche des Femmes de par le monde, sur la révolution spirituelle en marche de par le monde, alors que le pape François vient de nommer pour la première fois trois femmes à des postes jusque-là occupés par des hommes ordonnés, même s’il n’est pas encore d’actualité d’autoriser le mariage des prêtres ni d’ordonner des Femmes. Disant cela, nous n’oublions en rien les retards vertigineux de l’islam sur cette question fondamentale.
Ancienne élève de l’ENS (rue d’Ulm), agrégée d’anglais et achevant sa thèse sur la littérature juive américaine, Myriam Ackermann-Sommer, très proche des enseignements et de la pratique du rabbi Soloveitchik, donne déjà de nombreux cours et conférences, et occupe la place de cheffe spirituelle, aux côtés d’Emile Ackermann, dans leur synagogue de la moderne orthodoxie. Leur communauté est installée depuis moins d’un an près de la Bastille, à Paris.
Ce grand mouvement de femmes rabbins en France, d’abord libéral et massorti (mouvement juif né aux Etats-Unis, qui se veut un juste milieu entre les libéraux et les orthodoxes), va donc s’étendre dans notre pays et bousculer un jour ou l’autre l’orthodoxie française la plus fermée aux femmes, et le consistoire de France, vieille invention napoléonienne, resté rigide et souvent dépassé par ces appels à une orthodoxie moderne octroyant toute leur place aux femmes.
Ce grand mouvement de femmes religieuses, qui réclament juste l’égalité des responsabilités et des ministères dans leur religion, que ce soit le judaïsme, le christianisme, en particulier la catholicisme, et l’islam, pour ce qui est des religions dites « du Livre » (comme si les autres grandes religions, l’hindouisme, le bouddhisme, le jainisme, qui représentent près de deux milliards d’êtres humains, étaient sans livres), commence à ébranler la forteresse tenue depuis combien de siècles par des théologiens, des docteurs de la loi machistes, qui croient incarner la parole divine, alors qu’ils ne revendiquent que leur propre pouvoir, que le phallocratisme religieux. Il est ébranlé le pouvoir que rabbins, prêtres, imams, mollahs, ayatollahs, sourds à la parole, à la voix, à la force, pour ne pas dire si souvent, à la supériorité des femmes, croient éternel.
Par l’ordination de ce premier couple orthodoxe juif, la femme est enfin reconnue comme l’égale de l’homme, dans toutes les fonctions rabbiniques, exactement comme si un couple pouvait devenir prêtre catholique. Plus rien qui soit interdit à la femme, à commencer par la direction de l’office, par la lecture de la Torah, par l’enseignement mixte, par la célébration de la joie et de la danse avec les rouleaux de la Torah les jours de fêtes. Toute l’histoire de la Bible montre que c’est souvent la femme, Sarah, Myriam, sœur de Moïse, lors de la traversée de la mer Rouge, Rébecca, Ruth, Esther, Déborah, qui prirent les décisions capitales pour la survie du peuple juif et tout simplement sa destinée.
Fini le temps de cette héroïque rabbine Regina Jonas[2], à qui tant de rabbins refusèrent l’ordination, et qui fut assassinée à Auschwitz ! Quatre-vingt-dix ans ont passé depuis la tragédie double de cette femme juive et allemande, qui, en 1933, voulut assumer, la première, la charge de rabbine, voici donc, en France, Myriam Ackermann-Sommer, qui, sous nos yeux, alors que des millions de femmes afghanes et iraniennes vivent et meurent sous la loi des mollahs et des ayatollahs, parce que Femmes, va assumer entièrement les charges de rabbanit orthodoxe moderne, alors que tant de rabbins consistoriaux, pour ne pas parler des mouvements strictement orthodoxes ou loubavitch, professent encore que seul un homme peut être ordonné rabbin, comme si les hommes seuls avaient l’apanage de la prêtrise. Infâmie en vérité, mensonge théologique. Tous ces hommes ignorent tout du vrai Dieu, car s’il existe, il est féminin et non masculin, car c’est un dieu matriciel et non pas phallique. Myriam Ackermann-Sommer est un exemple pour tant de femmes religieuses de par le monde.
Et puis un mouvement orthodoxe moderne, est aussi une ouverture pour toutes les personnes LGBT, qui ne se reconnaissent pas du tout dans les judaïsmes orthopraxes, que je viens de citer.
C’est le philosophe-talmudiste de haut rang, scientifique israélien, provocateur et pourfendeur des politiques israéliennes de droite, Yeshayahou Leibowitz (1903-1994), qui disait jusqu’à sa mort, il y a trente ans : « Je crois que l’émancipation de la femme, il y a à peine 120 à 150 ans, fut la plus grande révolution de l’histoire de l’humanité. » Il disait encore : « Tous ces rabbins qui s’occupent de la construction du troisième Temple, c’est de la dégénérescence. Ils devraient plutôt s’indigner de la condition de la femme. Là est l’avenir du judaïsme. L’avenir du judaïsme dépend de la condition de la femme alors que la question des habits du grand prêtre est absolument inessentielle quant à l’existence du judaïsme[3]. » Il ajoutait, dans son entretien de 1993 : « Cette incapacité du monde orthodoxe à comprendre, et même à concevoir ces changements, est véritablement dramatique et risque d’ébranler le judaïsme. »
La rabbanit Myriam Ackermann-Sommer prouve que le combat des femmes, en France comme ailleurs, pour être l’égale de l’homme, est en train de gagner. Notre pays est l’un de ceux où le judaïsme officiel reste l’un des plus conservateurs du monde, malgré Delphine Horvilleur, qui est libérale. La jeune rabbanit de vingt-six ans, Myriam Ackermann-Sommer, fait sienne, sans le citer, des thèses de Yeshayahou Leibowitz, lorsqu’elle disait, il y a trois ans : « Je veux changer les choses au sein de mon courant, le judaïsme orthodoxe de France. […] Et mon mari me soutient, car il est convaincu que nous ratons des milliers de “Maimonide” ou de “Rachi” en ne donnant pas la même éducation aux femmes. Pour moi, le fait que les femmes ne puissent pas étudier leur propre tradition, implique que leur demande spirituelle n’est pas prise en compte[4]. »
Déjà des voix de rabbins éclairés comme Olivier Kaufmann, pour ne pas parler du grand rabbin de France Haïm Korsia, silencieux mais conscients de ce que représente cette ordination de la première rabbine orthodoxe française, pensent très certainement ce que déclarait le rabbin Nissim Sultan à Héloïse de Neuville (La Croix, du 13 février 2020) : « Pour nous rabbins du consistoire, c’est une occurrence directe dont il faudra positivement tirer profit. Peut-être que cela nous forcera à nous remettre en question. »
Pour notre part, nous voulons croire, et je veux croire, en tant que juif du retour moi-même, que lorsque le pape Jean-Paul II proclamait à Varsovie, devant les représentants de la communauté juive, qui fut avant 1939 « la plus grande du monde », exterminée à 90%, que la nation juive tout entière « se trouve au centre de l’attention des nations de ce monde, [qu’] elle est devenue une grande voix de mise en garde pour toute l’humanité », il ne pouvait tout simplement pas imaginer que les femmes orthodoxes juives parviendraient si rapidement, bien plus rapidement que les théologiennes catholiques, à se faire ordonner rabbines et deviendraient les égales des hommes, qui ont cru si longtemps que la prêtrise ou l’ordination rabbinique ou musulmane étaient l’apanage des mâles !
À quand donc les femmes prêtres, les femmes imams ?
Longue vie à Myriam Ackermann-Sommer et à toutes ces femmes qui suivront sa voie dans le judaïsme et bien au-delà ! Longue vie à l’orthodoxie moderne du judaïsme !
[1] Émile Ackermann vient de publier N’oublions pas qui nous sommes. Réflexions sur les minorités visibles, préfacé par Myriam Ackermann-Sommer, Seuil.
[2] Nous renvoyons au livre poignant et magnifique de Clémence Boulougue, largement consacré à Regina Jonas, Nuit ouverte, Flammarion, 2007.
[3] Cf. Massorti.com/Yeshayahou-Leibowitz-1903-1994 et « La femme et la Torah : pour une évolution de la Loi » par Josy Eisenberg et Yashayahou Leibowitz, Tribune Juive, mars 1993.
[4] InfoJmoderne, 29 janvier 2020.
Par Michaël de Saint-Chéron, philosophe des religions, chercheur associé à l’EPHE (centre HISTARA), auteur avec Myriam Ackermann-Sommer du Retour, Actes-Sud, parution octobre 2023. Derniers livres parus, Malraux et la Bangladesh, Gallimard, 2021 et Soulages, d’une rive à l’autre, (avec Matthieu Séguéla), Actes-Sud, 2023.