Provocateur anti-arabe multirécidiviste, le sulfureux chef du parti «Puissance juive» a été discrètement coaché par Netanyahou pour ne pas trop effrayer les électeurs. Par Danièle Kriegel.
Même sous les huées de milliers de personnes rassemblées dans un parc de Jérusalem avant le début de la Gay Pride, Itamar Ben-Gvir ne sourcille pas. Ministre de la Sécurité nationale en charge de la police, il est venu inspecter le dispositif mis en place pour sécuriser la Marche annuelle des fiertés, ce jeudi 8 juin.
Et aux médias qui l’attendent, le discours se veut responsable : « Il est clair qu’en tant que ministre de la Sécurité nationale, il est de mon devoir d’éviter tout acte fou comme celui qui avait mené au meurtre de Shira Banki [une jeune fille de 16 ans assassinée par Yishaï Shlissel, un juif ultraorthodoxe, NDLR], lors de la Gay Pride de 2015. »
Dans la foulée, le chef du parti suprémaciste juif Otzma Yehudit (« Puissance juive » en hébreu) tient à préciser qu’il a autorisé les anti-LGBT à manifester. « Au nom de la liberté d’expression », lance-t-il sans broncher. On est à une rue d’un rassemblement d’une trentaine de personnes venues protester contre « la parade de l’abomination ». Au-delà des pancartes homophobes, le slogan du jour est ciblé : haro sur le mariage pour tous et la politique libérale en matière de procréation pour les couples homosexuels : « Un père et une mère, c’est ça une famille. »
Ironie de l’histoire, c’est le même Itamar Ben-Gvir que l’on trouvait, il n’y a pas si longtemps, du côté des anti Gay Pride. Non loin du défilé, il était le chef d’orchestre de la protestation en compagnie de son très proche ami politique, Bentzi Gopstein, fondateur et président de Lehava, une association opposée à la coexistence judéo-arabe et anti-LGBT.
Homophobe décomplexé
Il faut dire que son combat homophobe ne date pas d’hier. En 2006, il avait organisé, avec son alter ego d’aujourd’hui Bezalel Smotrich, la « Parade des bestiaux ». En compagnie d’ânes et de chèvres, des centaines d’ultraorthodoxes et d’activistes d’extrême droite avaient défilé à Jérusalem contre la Gay Pride programmée le lendemain.
Parmi les banderoles et pancartes brandies : « L’impureté, ça suffit ! » À plusieurs reprises, Ben-Gvir, avocat de profession, demandera aux tribunaux d’annuler le défilé LGBT et ira jusqu’à représenter Michael Schlisser – le frère du meurtrier de Shira Banki – arrêté en 2016, soupçonné d’avoir planifié un attentat.
Mais Itamar Ben-Gvir n’est pas qu’un homophobe décomplexé. Il est avant tout le chef de file des Kahanistes en Israël. Ceux qui portent haut et fort l’héritage de Meïr Kahana, le rabbin fondateur de Kach, un parti qui prônait l’expulsion des Arabes israéliens vers la Jordanie et un État d’Israël redevenu un royaume régi par la Halakha, la loi religieuse juive.
Né en 1976 à Mevasseret Tsion, une banlieue aisée près de Jérusalem, il grandit dans une famille laïque d’immigrants juifs irako-kurdes, plutôt de droite mais où on lit le quotidien indépendant Haaretz. Une vie de famille bourgeoise d’où semble exclu tout fanatisme. Mais le jeune Itamar voit les choses autrement. Dès l’adolescence, à la pratique religieuse désormais déclarée, il ajoute le soutien aux idées d’extrême droite.
Très vite, il rejoint le mouvement de jeunesse affilié à Kach qui, désigné comme organisation terroriste, sera mis hors la loi par le gouvernement israélien. Tout cela n’arrête pas le jeune Itamar, qui, devenu le coordinateur de la jeunesse kahaniste, multiplie les actions d’extrême droite. Au point qu’à l’âge de 18 ans, l’armée refusera son incorporation, au motif de son extrémisme politique.
Rhétorique simpliste
Sans surprise, on le retrouve dans les manifestations contre les accords d’Oslo. En 1995, quelques semaines avant l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin, c’est son premier moment de « gloire » médiatique. Il est en direct à la télévision. Alors qu’il brandit fièrement l’ornement de capot de la Cadillac du chef du gouvernement qu’il vient de voler, il lance : « Nous sommes arrivés jusqu’à sa voiture, nous arriverons jusqu’à lui… »
En 2005, Il sera un des chefs de file des colons opposés au désengagement de Gaza puis à la tête de ceux qui, lors de la guerre à Gaza en 2014, sont opposés au cessez-le-feu. En parallèle, et après être devenu avocat, il sera le défenseur de nombreux juifs ultras qui ont maille à partir avec la justice.
En 2016, la journaliste de Haaretz Judy Maltz écrit : « À 39 ans, Ben-Gvir, l’une des figures les plus connues de l’ultra-droite, est devenu l’homme à qui il faut s’adresser lorsque vous êtes un extrémiste juif aux prises avec la justice. La liste de ses clients, c’est le Who’s Who de tous les juifs soupçonnés de terrorisme et de crime de haine. » L’intéressé ne s’en défend pas. Au contraire : « Comprenez bien que je ne fais pas cela pour l’argent. Si je défends ces gens-là, c’est parce que je crois qu’il faut les aider… »
Kahaniste pur sucre, vedette de la mouvance suprémaciste juive en Israël, provocateur multirécidiviste anti-arabe, adoré de pas mal de jeunes Israéliens pour sa rhétorique simpliste – « Je vais rétablir l’ordre…. Il est temps que nous soyons maîtres chez nous » –, il lui a fallu tout de même modérer son image pour ne pas trop effrayer les électeurs.
« Premier flic » du pays
Discrètement coaché par Benyamin Netanyahou pendant la dernière campagne électorale, il a d’abord dû accepter que son parti « Puissance juive » fasse cause commune avec Bezalel Smotrich, le chef du Parti sioniste religieux, comme lui messianique, homophobe et anti-Arabe mais qu’il n’apprécie guère. Les deux hommes n’appartiennent pas à la même chapelle.
Dans le même temps, à Kyriat Arba, la colonie de Hébron,il décroche de son salon le portrait de son héros, le terroriste juif Baruch Goldstein, qui, le 25 février 1994, a massacré 29 fidèles musulmans en prière au caveau des Patriarches à Hébron. Enfin, il change le slogan favori de ses troupes. Le fameux « Mort aux Arabes » s’est transformé en « Mort aux terroristes ».
Et cela a fonctionné. De figure sulfureuse, Itamar Ben-Gvir est devenu persona grata sur la scène politico-médiatique. Mais là encore, pas question de laisser le naturel reprendre le dessus. Comme ministre de la Sécurité nationale, il doit faire respecter le statu quo sur l’esplanade des Saintes Mosquées – qui est, pour le judaïsme, le mont du Temple – et donc continuer d’y interdire la prière juive, ou bien, comme ce 8 juin, sécuriser la Gay Pride à Jérusalem.
Tiraillé entre son idéologie et sa fonction de « premier flic » d’un Israël où il ne peut pas – encore – tout se permettre, va-t-il finir par craquer ? Pour l’instant, il multiplie les annonces visant à plaire à ses électeurs. Et peu importe les accusations de populisme tous azimuts. Même rendu plus respectable, Ben-Gvir reste Ben-Gvir. Un adepte de la cause : celle de l’ultra-droite messianique.