Si Israël bénéficie du soutien de nombreux chrétiens évangéliques sionistes dans le monde, la montée en puissance des suprémacistes juifs dans la société israélienne, à Jérusalem notamment, suscite des tensions inédites.
« Missionnaire, rentre chez toi ! » Ils avaient l’arrogance de ceux sûrs de leur bon droit, cette poignée de jeunes juifs vêtus à la mode des colonies de Cisjordanie. Le 28 mai dernier, un dimanche, un groupe de pèlerins chrétiens a été pris à partie devant le Mur occidental de Jérusalem par plusieurs sionistes religieux. L’agressivité de ces derniers – une fenêtre a été cassée dans le centre archéologique voisin – avait été annoncée. Elle a été contenue par la police israélienne, qui n’a cependant procédé qu’à une seule arrestation.
L’animosité envers les autres cultes est profonde chez les sionistes religieux. Plus que tout, ils craignent les conversions, ce qui les met en opposition directe avec les évangéliques, pour qui l’annonce du salut en Jésus-Christ est une raison d’être. Mais l’accrochage est incongru : car les chrétiens évangéliques visés se retrouvaient ce jour-là devant le Mur des lamentations précisément en conclusion d’un jeûne symbolique de vingt et un jours en soutien à Israël.
Des soutiens de l’État hébreu
Cette « assemblée solennelle globale », nommée « Esaie 62 » – « Pour l’amour de Sion je ne me tairai point, pour l’amour de Jérusalem je ne prendrai point de repos » –, avait été organisée par le pasteur charismatique Mike Bickle, fondateur de l’International House of Prayer of Kansas City (IHOPKC). Les trois semaines de prière continue visaient à rassembler 100 millions de personnes dans le monde pour « soutenir les desseins de Dieu pour Israël et Jérusalem, et amener 100 000 Gardes à Jérusalem », selon Mike Bickle.
Dans son introduction, donnée début mars devant les responsables de cette Église évangélique américaine implantée dans plusieurs pays dans le monde, le pasteur était revenu à plusieurs reprises sur ce qui est au cœur de la relation entre les évangéliques et Jérusalem : la fin des temps. Pour eux comme pour les juifs sionistes, le rétablissement du peuple juif sur sa terre est un préalable essentiel au retour du Messie, pour les uns, ou à sa venue, pour les autres.
En public, les mouvements évangéliques préfèrent dire qu’ils soutiennent l’État hébreu parce que bénir Israël, c’est être béni. Mais beaucoup croient aussi que la Terre sainte sera l’épicentre d’une guerre violente et totale, qui précédera la perdition de toutes les âmes qui n’auront pas accueilli le message de l’Évangile. Certaines Églises évoquent même la mort de deux tiers des juifs. De leur point de vue, la conversion est donc une nécessité pour sauver ce peuple élu composé de brebis égarées.
Chez les sionistes religieux, on cherche activement à mettre en place la prophétie. On croit ainsi que tout acte de souveraineté de l’État juif sur la Terre promise est un pas en avant vers la Guéoula, la rédemption, la délivrance finale. C’est au nom de cette conviction qu’on prend une colline de plus en Cisjordanie, pour empêcher la création d’un État palestinien, ou qu’on lutte activement pour la « judaïsation » de Jérusalem.
« Nous étions en train de perdre la ville »
Arieh King est maire adjoint de Jérusalem. C’est lui qui a mené la manifestation du 28 mai, à l’injonction de deux rabbins radicaux. « Quand je suis arrivé pour la première fois à Jérusalem, je me suis rapidement rendu compte que nous étions en train de perdre la ville, dit-il pour expliquer son engagement politique. La souveraineté juive sur Jérusalem ne doit pas être mise en doute. »
Cofondateur d’une colonie en plein Jérusalem-Est – Maale Hazeitim, sorte de fort israélien avec mur d’enceinte et barbelés –, le maire adjoint ne regrette pas son action coup de poing. « Si je venais prier devant le Vatican, les chrétiens verraient-ils ça d’un bon œil ?, dit-il sans faire la distinction parmi les chrétiens entre catholiques et évangéliques. Les lieux saints chrétiens sont ici, c’est comme ça. Je respecte. Mais Jérusalem, c’est la capitale d’Israël et du peuple juif. Et ils doivent aussi respecter cela. » Ces dernières années, les attaques contre les chrétiens de Jérusalem ont nettement augmenté, conduisant les patriarches des différentes Églises à s’entendre et à faire bloc.
Un pilier de la politique diplomatique israélienne
Sionistes convaincus pour un grand nombre, les évangéliques constituent un pilier de la politique diplomatique israélienne. Leur force de frappe électorale explique en partie l’attachement des prétendants à la Maison-Blanche à la sécurité d’Israël.
Cette relation ne semble pas pour autant menacée : le gouvernement israélien, la municipalité de Jérusalem, et même son grand rabbin se sont rapidement désolidarisés des actions de « ces juifs qui prétendent craindre Dieu ». Mais l’affront du 28 mai montre que la minorité de suprémacistes juifs, dont les représentants font partie intégrante du gouvernement de Benyamin Netanyahou, a de plus en plus voix au chapitre.
Sionismes chrétien et juif
Le sionisme chrétien est le nom donné au courant chrétien (essentiellement évangélique) selon lequel la création de l’État d’Israël en 1948 serait en accord avec les prophéties bibliques et préparerait le retour du Christ.
Bien que l’objectif des sionistes chrétiens ne soit pas le même que celui des juifs sionistes puisqu’il implique à terme la conversion de ces derniers, ce courant représente un soutien puissant aux sionistes religieux les plus radicaux pour la fondation du « Grand Israël », c’est-à-dire Israël dans ses frontières bibliques, incluant les territoires palestiniens, voire au-delà.