En Israël, les secouristes du Magen David Adom, souvent volontaires, d’origines et de confessions différentes, travaillent ensemble et partagent les mêmes valeurs: servir toutes les populations et secourir.
Dans les sous-sols de l’immense building, les opérateurs, regard rivé sur les écrans, répondent aux différents appels avec un sang-froid maîtrisé et dans différentes langues : hébreu, arabe, anglais ou français, l’équipe riche de sa diversité est capable de s’adapter. Il faut comprendre la situation rapidement et réagir en moins de sept secondes.
Concentrée, Ronit Glaser échange au téléphone avec une personne en détresse qui a composé le 101, numéro d’urgence du Magen David Adom. L’organisation israélienne, membre du Comité international de la Croix-Rouge, se mobilise fréquemment à l’étranger pour aider les victimes de catastrophes naturelles ou humanitaires, comme récemment, après le tremblement de terre en Turquie. Localement, les secouristes interviennent pour des urgences médicales ou des attaques terroristes. Ils sont réputés pour leur efficacité et la vitesse record à laquelle ils arrivent sur les lieux.
Derrière son écran, Ronit peut visualiser en temps réel la position des différentes équipes. «Le centre reçoit toutes sortes d’appels d’urgence, explique-t-elle. Même la police nous contacte parfois pour intervenir. La règle essentielle, pour nous, consiste à ne jamais raccrocher tant que les ambulanciers ne sont pas arrivés sur place. On s’assure que nos équipiers sont physiquement présents auprès des victimes, et qu’ils les ont pris en charge. Récemment, j’ai envoyé des secouristes pour aider une femme sur le point d’accoucher. J’ai entendu Abigaël, une de nos volontaires, s’occuper de la maman et du bébé qui venait de naître.»
Abigaël sourit. Elle se souvient de ce jour avec beaucoup d’émotion. Cette jeune femme de 36 ans a rejoint l’organisation à l’adolescence. Elle a, aujourd’hui, près de 300 volontaires sous sa responsabilité.
L’organisation en compte près de 32.000, répartis sur tout le territoire, un chiffre qui fait la force du Magen David Adom (MDA). Reconnaissable à son étoile de David rouge estampillée sur tous les équipements, le MDA a été créé en 1930 par des médecins israéliens avec une première antenne à Tel-Aviv. L’organisation est, depuis 2006, membre officiel de la Croix-Rouge internationale. Elle compte aujourd’hui 192 stations dans tout le pays et a reçu pour la seule année 2022 près de 2.800.000 appels d’urgence.
Le devoir d’abord
Prête à démarrer son service, Abigaël atteste de l’intensité de l’activité des jours et des nuits sur ce terrain de la Ville sainte, où il se passe toujours quelque chose. Avant de se mettre en route pour la tournée, l’équipe vérifie le bon fonctionnement de l’ambulance, de l’équipement et du matériel médical. Aujourd’hui, Abigaël travaille aux côtés de Fadi, secouriste, arabe, israélien et musulman. Car l’autre force du MDA, c’est aussi la diversité et les individualités qui la composent. Juifs, orthodoxes, athées, musulmans, chrétiens ou autres… Pour tous, une règle s’applique : les différences et les différends restent en dehors de l’organisation qui se veut neutre. Tous travaillent ensemble dans un but commun, celui de sauver des vies, sans jamais faire de distinction politique ou religieuse.
Fadi est un élément expérimenté de l’unité. Il est intervenu à plusieurs reprises pour soigner des victimes d’attaques terroristes. Il a pansé des plaies, soigné des blessures, s’est porté au secours de personnes en détresse, a réconforté des âmes… Pour lui, comme pour ses camarades, elles n’ont jamais eu de couleur ou de confession. Il le reconnaît sans détour, la situation politique et sociale en Israël est compliquée.
Les violences et les tensions font partie du quotidien, mais il est convaincu de la nécessité pour les Palestiniens, les Arabes et les Juifs israéliens de parvenir à vivre en paix. Abigaël approuve et concède avoir beaucoup changé au contact de ce travail. «Je vivais dans un milieu très religieux et fermé. Mon engagement dans l’organisation a changé ma vision de la société et ma relation aux autres. J’ai fait équipe avec des Arabes, des personnes d’autres confessions que je n’avais jusque-là pas l’habitude de côtoyer.»
Des interventions difficiles
Mais l’urgence se rappelle aux deux secouristes appelés pour intervenir sur le cas d’une femme en détresse respiratoire. L’opération est délicate, car il faut se rendre jusqu’à un check-point à proximité de Shuafat, un camp palestinien, démarqué de Jérusalem par le fameux mur de séparation. La population, qui vit là dans des conditions difficiles, se montre souvent hostile à tout symbole de l’État hébreu. La neutralité affichée du MDA n’y change rien. Sur place, les militaires qui gardent la frontière sont nerveux. L’équipe de secouristes échange rapidement avec les ambulanciers palestiniens qui leur amènent la victime. La tension est palpable. Les volontaires du MDA se relaient pour procéder à des massages cardiaques avant de transférer la blessée vers un hôpital de Jérusalem.
Sauver des vies, c’est le message et les valeurs que veut défendre Elie Bin, directeur général du Magen David Adom. Fier de l’engagement de toutes ses équipes, il énumère les différents champs d’intervention sur lesquels elles opèrent : banque du sang, de lait maternel, formation et initiation de la jeunesse aux gestes de premiers secours, aides sociale et humanitaire auprès des populations à l’étranger, mais aussi en Israël, etc. «Nous aidons toutes les communautés, souligne Elie Bin. Nos volontaires distribuent des colis alimentaires aux familles juives, mais aussi musulmanes, notamment durant la période du ramadan. Nous mobilisons aussi des relais au sein des villages arabes, là où nos ambulances ne peuvent pas toujours se rendre pour des raisons de sécurité. Il y a quelques années, nous avons été critiqués parce que j’avais expliqué dans les médias que nous devions soigner tout le monde, y compris les auteurs d’attentats terroristes lorsqu’ils sont blessés. Nous tenons cette ligne fermement et les gens finissent par comprendre.»
À Akko, ville côtière du nord du pays, les équipes du MDA préparent leur équipement pour prendre leur service. En plus du nécessaire du parfait infirmier, Shimon et Harith, respectivement juif et musulman, accrochent chacun une arme à leur ceinture. Une précaution nécessaire selon ces deux secouristes qui savent que, malgré leur uniforme, ils sont aussi une cible potentielle pour les terroristes. Ce jour-là, un militaire a été poignardé en pleine rue. Une vidéo de ce drame, filmé par un passant, circule sur les réseaux sociaux. Les deux hommes peinent à taire leur colère. Mais la bonne humeur contagieuse de Sheli, en charge de conduire l’ambulance, permet de détendre l’atmosphère.
Cette mère de quatre enfants est aussi une maman pour ses collègues. Attentive à chacun, elle sait écouter, remonter le moral de ses troupes, mais elle est aussi une conductrice hors pair. Une qualité appréciable lorsqu’il faut évacuer une ambulance dans un quartier « hostile ». Mais Sheli est une optimiste, elle veut croire au possible, à des lendemains meilleurs pour tous. «C’est difficile parfois. Il y a de la violence, des jets de pierre et des gens qui se détestent. Mais si on prend le temps de se comprendre et de discuter les uns avec les autres, on se rend compte que tous, juifs et musulmans, nous voulons la même chose: vivre en paix.»
Vivre ensemble
À Tel Aviv, sur le parking du centre de secours, la prise de service commence presque comme une histoire drôle. Il y a Israël, un juif orthodoxe portant des papillotes et une kippa ; Denis, un grand blond engagé au sein de Tsahal et Areen, une jeune femme musulmane voilée. Tous portent le même uniforme. Pour le reste, l’affaire est sérieuse, car ils forment l’équipe qui patrouillera toute la nuit pour répondre aux urgences médicales. Ces trois secouristes, qui ont l’habitude de travailler ensemble, symbolisent la réalité de cette organisation dans le pays où la situation politique est explosive. Ils le reconnaissent d’ailleurs ouvertement, le havre de paix préservé au sein l’organisation ne saurait cacher la réalité de la violence dans le pays.
Un problème qu’Areen a choisi de saisir à bras-le-corps. La jeune femme, qui traite l’urgence la nuit, s’occupe le jour de soigner les traumatismes à travers des thérapies par l’art. «J’aide les victimes d’attaques terroristes, mais aussi les intervenants qui sont confrontés à des situations extrêmes. J’ai trouvé mon équilibre en prenant soin des autres de différentes manières. Je suis secouriste, mais j’aide aussi des personnes à se sentir mieux et à se défaire de la souffrance.» Un vœu pieux qui, à force de bonne volonté, finira peut-être par poser les bases d’une possible paix.
Des envoyés spéciaux Nadjet Cherigui (texte) et Raphaël Gotheil (photo) pour Le Figaro Magazine