L’éditeur anglo-saxon de la nouvelle version du texte hébreu originel, la Jewish Publication Society, entend rompre avec la tradition du judaïsme.
Dieu pouvait-il échapper à la théorie du genre? C’est par une version de la Bible «plus précise linguistiquement et historiquement, reflétant les avancées du savoir et les changements de la langue anglaise», que la plateforme Sefaria, bibliothèque en ligne de textes religieux juifs, apporte sa réponse. Elle y propose, parmi d’autres, une version non genrée du texte sacré du judaïsme et du christianisme.
Dans ce texte publié en anglais, le pronom masculin employé pour faire référence à Dieu est systématiquement remplacé par le nom propre «Dieu». On peut ainsi lire, dans le livre d’Isaïe: «Cherchez Dieu tant que vous pouvez, invoquez Dieu tant qu’il est proche» alors qu’une version en français propose la traduction suivante: «Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche.»
Une petite tempête dans le monde juif
Cette nouvelle version du texte hébreu originel a été réalisée par la Jewish Publication Society, une maison d’édition basée à Philadelphie, aux États-Unis et qui, depuis 1888, propose des traductions anglaises des textes juifs. Contacté par Le Figaro, son directeur, Elias Sacks, explique: «Notre mission est de présenter à un large public le meilleur du savoir juif dans la rigueur intellectuelle.» Commentaires, anthologies, philosophie et littérature: le domaine couvert par la Jewish Publication Society est large, mais c’est surtout sa version de la Bible, traduite en 1985, qui faisait jusqu’à présent autorité. Or c’est de cette version qu’elle propose une nouvelle traduction.
Cette initiative a provoqué une petite tempête dans le monde juif, où des religieux ont annoncé renoncer à la plateforme internet dont ils avaient jusqu’à présent un usage quotidien. C’est ainsi, comme le relève le site d’information Times of Israël, le directeur d’un journal ultra-orthodoxe qui tweete: «Sefaria est une formidable ressource pour la Torah. Faire n’importe quoi avec les textes sacrés pour se conformer aux idées occidentales d’égalité est une faute inacceptable.»
Une justification qui laisse sceptique
Pourquoi un tel choix? «Nos traductions, reprend Elias Sacks, aident des lecteurs et des communautés de toutes tendances à rencontrer l’Écriture telle qu’elle était comprise autrefois. C’est la mission qui nous a conduits à publier cette nouvelle version. Quand d’anciennes traductions désignaient Dieu par “Lui ” ou “ Seigneur”, elles ne signifiaient pas nécessairement que Dieu est un homme. Or, en raison des changements de l’anglais, un tel langage heurte désormais beaucoup de lecteurs et de communautés précisément parce qu’il suggère cette masculinité de Dieu. Pour prendre en compte ces évolutions, notre traduction va, phrase après phrase, déterminer les moments où la traduction anglaise doit employer un langage non genré.»
À l’École biblique et archéologique de Jérusalem, cette justification laisse sceptique. Selon Olivier Catel, religieux dominicain et étudiant en tradition juive à l’université hébraïque, c’est même une erreur. «Cela part d’un bon sentiment, mais c’est symptomatique d’une époque et doublement faux, estime-t-il. D’abord parce que le texte hébreu ne laisse aucun doute: il utilise à plusieurs reprises le pronom masculin pour désigner Dieu. On peut arguer que le texte a été écrit à une époque où la société était patriarcale et où Dieu ne pouvait qu’être perçu comme un homme. Mais le fait que Dieu soit désigné au masculin dans la Bible oblige les traducteurs: il y a un devoir de fidélité au texte canonique, c’est-à-dire reconnu par une communauté de croyants comme parole révélée. Par ailleurs, comment traduire le Avinou Malkenou, une grande prière dont le titre peut être traduit par «Notre père, notre roi»? Dans cette logique, c’est intraduisible.» Il y voit une rupture de la tradition, valeur fondamentale du judaïsme.