Maurice Lugassy est professeur de français au lycée de Blagnac mais aussi coordinateur régional du Mémorial de la Shoah pour l’antenne sud. Il y a quelques semaines, chez Privat, est paru son livre « Les Justes en Occitanie, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah », l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’importance de l’Occitanie dans la protection des juifs pendant la guerre.
Pourquoi avoir écrit ce livre sur les Justes en Occitanie ?
L’écriture de ce livre a une raison très précise. En 2022, on fêtait les 80 ans de la lettre de Monseigneur Saliège, alors Archevêque de Toulouse. Il y a eu différents événements organisés autour de cette actualité pendant toute l’année, cette lettre ayant été très importante dans l’histoire des Juifs de France. Pour l’occasion Privat, la maison d’édition Toulousaine, cherchait un moyen de commémorer cet évènement, alors, nous nous sommes mis d’accord pour que j’écrive un livre au sujet des Justes. Un juste, c’est une personne, défini par Yad Vashem, l’Institut International pour la mémoire de la Shoah comme une personne non juive, ayant sauvé des juifs, pendant la seconde guerre mondiale, « au péril de sa propre vie » et « sans rien attendre en retour » comme le stipule l’organisation qui attribue ce titre. Je connaissais déjà très bien cette thématique, car depuis des années je travaille avec des Justes en faveur de la mémoire et donc ça s’est fait naturellement, je ne me suis pas posé la question, tout simplement parce que ce livre rend hommage à des anonymes.
Comment peut-on évaluer l’importance de ces justes en Occitanie ?
Dès 1940, avant même la défaite, on a déjà amené des enfants juifs hors de l’Allemagne nazie dans le sud de la France. A partir de 1942, l’Occitane va être d’autant plus importante. Dès que le gouvernement d’Hitler aura décidé de la condamnation à mort de tous les juifs d’Europe, ce qu’on appelle communément la « solution finale », alors là, plusieurs vagues d’immigrations de tout le continent vont se succéder ici.
Pourtant, déjà, le territoire est constellé de camps d’internement de manière très dense, mais partout dans le Sud, dans des maisons, on va cacher des enfants, et parfois même les extraire de ces camps. Il y a 600 Juste Occitans qui ont été honorés par Yad Vashem et qui ont reçu le titre de « Justes parmi les nations » comme on les appelle. Or, il est aisé de dire qu’il y avait bien plus que 600 Justes en Occitanie, et pour cause, rien qu’à Moissac, il y a 10 justes, seulement, tout le monde, tout le village était au courant de l’existence de cette maison qui cachait les enfants juifs, pourtant, seule une infime partie a été reconnue « Juste ». C’est comme cela que j’évalue l’importance des « Justes » en Occitanie.
Selon vous, l’Occitane est-elle toujours une terre d’accueil aujourd’hui ?
Je pense que oui. Il y a eu plusieurs études sociologiques sur les flux d’immigration dans la région, mais, au-delà de ça, au-delà des études et des faits historiques, qu’il est difficile de comparer d’une époque à une autre, je pense que l’Occitane est bel et bien une terre d’accueil. Alors bien sûr, si on parle des juifs, il y en a beaucoup qui sont partis après la guerre, mais je suis convaincu qu’il nous reste un héritage « rouge ». Un héritage socialiste communiste très ancré. On le voit, la région, le département, sont dirigés par des socialistes. J’aime à dire que l’esprit de Jean-Jaurès est resté ici, parmi nous. Il y a aussi Léon Blum, un juif qui a été très important dans la région. Et puis, la tolérance se sent énormément ici, opposée aussi bien sûr, il y a toujours des extrêmes, mais le sud de la France a toujours été empli de bienveillance et d’accueil pour les personnes qui en ont le plus besoin.
Le titre de votre livre fait référence à un discours de Simone Veil, pourquoi ce choix ?
Simone Veil, elle est incontournable, on lui doit beaucoup. Elle est une actrice essentielle dans la reconnaissance de la parole des Justes, et dans la complicité de Vichy dans la Shoah. Elle est aussi une des personnes qui a le plus œuvré après la guerre pour rétablir une justesse historique parfois déformée. Tout comme Badinter, qui est devenu un grand avocat alors que son père a été tué pendant l’Holocauste, ces personnes, qui se sont ensuite mises au service de la France, au service de l’Europe et de la réconciliation ont aussi surtout oeuvré pour la réconciliation franco-française, pour la réconciliation entre les Français et leur histoire.
Que vont devenir les justes désormais ?
Malheureusement, la plupart d’entre eux sont déjà décédés. De plus, pour être reconnu Juste, il faut des témoignages venant de la main de personnes sauvées, qui elles aussi disparaissent peu à peu. Ainsi, il n’y aura plus de nouveaux Justes bientôt. Même s’ils peuvent être reconnus à titre posthume, nous n’aurons bientôt plus de nouveaux témoignages. Alors, les Justes appartiendront à l’histoire, à la mémoire, et c’est aussi une des raisons qui m’a poussé à écrire ce livre, pour recueillir les derniers témoignages de Justes encore vivants, pour la postérité, la documentation, et bien sûr, pour leur reconnaissance dans les années à venir. J’aime à penser qu’on n’oubliera pas ce qu’ils ont fait pour les Juifs. Pendant la guerre, plus de 6 millions de personnes juives ont été tuées en Europe, ça représente la moitié de la population juive du Monde, alors, je pense qu’on leur doit bien ça, le souvenir.
« Les Justes en Occitanie, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah » par Maurice Lugassy, aux éditions Privat, 19,99 euros