Dans sa chronique, Éliette Abécassis revient sur le métier de proviseur, dont les réalités sont souvent peu connues, qui nécessite patience, réflexion et pondération.
La transmission se fait par l’école, à laquelle nous confions nos enfants pendant de longues années. À la maison, ils sont souvent sur leurs portables, et nous aussi – ne leur jetons pas la pierre. À l’école, c’est différent : après avoir posé le téléphone, les voilà pleinement disponibles d’esprit et de corps : les collèges et lycées sont devenus un des seuls lieux de transmission verticale : de maître à élève. Vive l’école et les hussards de la République que sont les proviseurs, qui ont la charge d’éduquer autant que d’instruire, grâce aux professeurs, dont je continue de citer les figures marquantes, au fil de mes pages.
J’ai évoqué mes parents Armand et Janine Abécassis, les professeurs de philosophie Norbert Engel, de Strasbourg, et Christophe Régnier, du lycée Henri-IV à Paris. Aujourd’hui je parlerai de Joël Bianco, proviseur de Louis-le-Grand, qui comme eux n’a pas fait ce métier par hasard. Le sens, dans les métiers de l’enseignement, est une évidence. D’une vie consacrée à la transmission, qui ne voudrait pas ? Mais qui en aurait le courage, et la volonté ? Aussi loin que remonte sa carrière, le proviseur a cherché une voie, une foi, pour que les élèves aiment lire et se cultiver, même et surtout les scientifiques et mathématiciens qui prennent la parole dans notre société, et se doivent d’articuler leur pensée. Il conçoit sa mission de dispenser le savoir comme étant encore plus essentielle à l’époque où l’individu est roi, et comme un engagement pour le collectif. Et je retrouve, comme chez mes parents enseignants et directeurs d’école, la passion des élèves, d’année en année, pour les porter, les élever comme leur nom l’indique.
Au lycée Louis-le-Grand, temple du savoir, on pratique une forme de discrimination positive pour recruter des élèves de tous milieux sociaux afin de leur donner une chance d’exceller. Son métier, le proviseur le conçoit comme un ostéopathe qui va sentir les tensions au sein de l’établissement et appuyer là où il faut pour que ça passe, pour qu’il n’y ait plus de douleur, pour que ce corps vivant n’ait plus de gêne ni de mal et qu’il puisse poursuivre son chemin, d’année en année, de génération en génération, sans faiblir, sans se rouiller. Faire en sorte que chacun soit bien, à tous les niveaux, que chaque professeur soit respecté, avec sa méthode, sa singularité car chacun a sa façon d’enseigner, et établir une relation de confiance plus que d’autorité, tout comme avec les enfants.
Les professeurs, personne ne les récompense, sinon les élèves, lorsqu’ils voient la flamme s’allumer dans leur regard, et qu’ils reçoivent un cadeau à la fin de l’année – auquel n’a pas droit le proviseur. Qui connaît son nom, son visage, son regard ? Qui se rend compte que derrière son bureau à l’étage, où sont rangés depuis des lustres des livres reliés à l’ancienne, se joue l’avenir du pays ? Personne ne sait que pour gouverner ce navire qui change sans cesse de cap au fur et à mesure des nouveaux ministères, il faut de la patience et de la réflexion, de la pondération et de l’intelligence. Personne ne félicite les proviseurs, les directeurs, ces professions sans lesquelles nous ne sommes rien, rien que des coquilles vides, des misérables de l’esprit et du cœur, des hommes sans qualité.
Personne ne comprend à quel point enseigner, c’est un métier. Un métier comme un autre, dans le sens où seuls ceux qui l’ont appris peuvent l’exercer. Un métier pas comme un autre dans le sens où il s’agit de transmettre un savoir et de faire fonctionner cette grande entreprise qui s’appelle l’école. Devant l’avalanche de mails qui s’adressent à lui, surtout pendant la panique afférente à Parcoursup, il répond à chacun, car il faut bien admettre le changement d’époque et emprunter ses voies nouvelles. Il estime l’évolution de Parcoursup et regrette que le système ne soit pas compris, que les gens soient si pressés d’avoir des résultats, qu’ils exercent une telle pression sur eux-mêmes et sur leur progéniture – alors qu’il suffit parfois d’attendre, comme dans la vie.
Mais ce qui change, c’est que personne ne supporte un refus. Il s’agit de rassurer, d’expliquer que derrière l’algorithme il y a des hommes et des femmes qui examinent chaque dossier, que tout n’est pas laissé à la machine. Depuis le Covid, les gens ont pris conscience de l’importance d’apprendre. Il faudra reconnaître un jour l’excellence de l’école qui élève, qui forme des hommes, des femmes de valeur. Que l’excellence se mérite, mais aussi qu’elle a du mérite d’être, de perdurer, de s’adapter. On peut critiquer le système mais pourquoi ne pas célébrer ce qui élève, et ceux qui élèvent ? Et au beau milieu de cette grande bâtisse, il est un jardin merveilleux où il fait bon prendre l’ombre à l’abri du soleil. Ils œuvrent dans la discrétion. Ils agissent pour la transmission. Ils forment les esprits, à bas bruit. Mais ils ont charge d’âme, charge d’homme : cette profession est le cœur du monde. La transmission est le cœur battant de nos vies.
Eliette Abécassis