En juillet 1942, la police française organisait la plus grande opération antisémite de la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Ouest. À partir de recherches inédites, mêlant témoignages des derniers survivants, scènes d’animation et images d’archives, le réalisateur David Korn-Brzoza et l’historien Laurent Joly retracent ces terribles journées. Lundi à 22.50 sur France 2.
Depuis sa destruction en 1959, et à mesure que se construisait la mémoire de la Shoah, le Vel d’Hiv – c’est-à-dire le palais des sports du Vélodrome d’Hiver, à Paris – est devenu le symbole de la persécution des Juifs de France et de la collaboration du gouvernement de Vichy au projet génocidaire de l’occupant nazi. Mais la « rafle monstre » des 16 et 17 juillet 1942 est un événement difficile à appréhender, à la fois opération singulière et sans égale par son ampleur en Europe de l’Ouest, réclamée par les Allemands, mise en place avec zèle – et même davantage – par les autorités françaises, crime monstrueux et tragédie pour ses victimes mais aussi demi-échec pour ses organisateurs, pourtant dépassés par l’énormité de la rafle.
Tout cela tient à la réalité politique et sociale de la France vaincue. L’occupant allemand réclame des arrestations de Juifs ; Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, ne songe pas à s’y opposer. Les conventions d’armistice, pourtant, le lui permettent, et le bourgmestre de Bruxelles, au même moment, y parvient, lui. Mais c’est une bonne occasion pour Vichy de se débarrasser des Juifs – officiellement, il n’est question que des étrangers et des apatrides, mais c’est un mensonge – et de donner des gages à l’occupant, qui de son côté n’a pas les moyens d’une telle opération. La population française, pourtant, n’est pas si antisémite et la ségrégation des Juifs pas si avancée en France qu’ailleurs en Europe, alors il faut frapper fort et vite.
« Quelque chose se prépare, qui sera une tragédie »
Dès 1940, un vaste fichier a été établi par la police, recensant 150 000 Juifs à Paris et en banlieue. Il a permis les rafles des mois de mai – 6 500 étrangers, surtout polonais – et d’août 1941 – 4 200 hommes, dont 1 500 Français. Une répétition générale. En 1942, les Allemands réclament davantage de prises, des hommes et des femmes, cette fois. René Bousquet, chef de la police, négocie : il promet 30 000 raflés en zone occupée, 10 000 en zones libres, que le fichier permet de cibler – essentiellement des Juifs d’origine polonaise. En contrepartie, une autonomie complète de la police dans l’opération. Mais, quelques jours avant la date fixée, le projet fuite. Des policiers ont prévenu de futures victimes, la résistance juive communiste alerte, la rumeur se répand. Hélène Berr écrit dans son Journal : « Quelque chose se prépare. Quelque chose qui sera une tragédie. » Le 16 juillet, avant 5 heures du matin, 4 500 agents frappent aux portes. Ici, on n’insiste pas si personne ne répond, ou alors on prétend qu’on revient dans un quart d’heure (le temps de laisser décamper) ; là, on fait du zèle et on force les serrures ; ici, les voisins viennent en aide ; là, une concierge dénonce des planqués. Une femme avale de l’acide, une autre tente de se suicider au gaz avec ses quatre enfants. Les raflés sont regroupés dans une cinquantaine de lieux, puis les adultes sans enfant sont envoyés au camp de Drancy, en banlieue, les familles au Vel d’Hiv, en plein Paris, à deux pas de la tour Eiffel. Les Allemands interdisent à la presse d’écrire le moindre mot sur cet événement auquel ont assisté tous les Parisiens. Silence.
Que faire des enfants ?
Planifiée avec soin, l’opération est néanmoins un ratage ignoble. Pas de nourriture prévue, pas d’eau, pas de soins, pas de sanitaires. Le Vel d’Hiv ressemble à l’enfer. Des cris, des larmes, la puanteur, des malaises, des fausses couches, des désespérés qui se jettent des gradins… Pire : malgré un bilan énorme de 13 000 prisonniers (5 000 à Drancy, 8 000 au Vel d’Hiv) au soir du 17 juillet, l’opération n’en est pas moins un quasi échec. Les deux tiers des victimes ont échappé au piège. Le plus abject est encore à venir… En effet, que faire des près de 4 000 enfants ? Les Allemands n’en veulent pas – tout n’est pas prêt encore à Auschwitz – et préfèrent les épargner pour le moment. Mais Laval souhaite s’en débarrasser, ne serait-ce que pour gonfler le nombre décevant des raflés. Il faudra négocier jusqu’au 13 août pour que les Allemands acceptent enfin d’embarquer ces gosses, tous français puisque nés en France, tous assassinés.
La traque ne s’achève pas au soir du 17 : un mois plus tard, il y a 1 000 victimes supplémentaires, puis c’est au tour de la zone libre : 10 000 Juifs arrêtés le 26 août 1942. On recherche les clandestins, les planqués, puis on rafle d’autres catégories, les Grecs, les Roumains, les vieillards, les infirmes, les protégés… En février 1944, c’est la quinzième rafle. Une semaine avant la libération de Paris, on arrête encore et on déporte des Juifs.
74 150 Juifs de France ont été déportés, 5 % en sont revenus. Parmi les raflés du Vel d’Hiv, moins de 200 ont survécu. Ce qui explique sans doute qu’on ait rarement tenté de raconter cette histoire du point de vue des victimes. Et c’est l’une des grandes forces du film écrit par Laurent Joly et David Korn-Brzoza que de suivre la parole et le récit des témoins. « Ce choix s’est rapidement imposé. C’est le dernier moment pour recueillir leur histoire, le dernier moment pour qu’un tel film existe. Dans quelques années, il sera trop tard. Nous les avons interviewés avant même d’entrer en production » (David Korn-Brzoza). Léon Fellmann (décédé depuis le tournage), Rachel Jedinak, Annette Krajcer, Jenny Plocki, Joseph Schwartz, Arlette Testyler, Esther Senot et Annette Zaidman étaient enfants ou adolescents en cet été 1942, ils avaient entre 8 et 17 ans. Ils sont parmi les ultimes rescapés de la Shoah en France. Ils livrent avec une incroyable dignité et une émotion intacte les bribes d’une tragédie honteuse et révoltante. « Ils racontent ce que les plus de 12 000 autres raflés de ces jours de juillet 1942 n’ont jamais pu raconter. »
La Rafle du Vel d’Hiv, la honte et les larmes
Documentaire (France – 2022 – 103 min – inédit) – Réalisation David Korn-Brzoza – Écrit par Laurent Joly et David Korn-Brzoza – Narration Vincent Lindon – ProductionRoche Productions – Avec la participation de France Télévisions et Histoire TV – Avec le soutien du CNC, de la Région Île-de-France, du Ministère des Armées, de la Procirep, et de l’Angoa-Agicoa, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation Rothschild-Institut Alain de Rothschild
Diffusion lundi 29 mai à 22.50 sur France 2 _ À voir et revoir sur france.tv