Installé à Barcelone avec sa femme et son fils Daniel, Isaac Carasso croit dans les vertus nutritives et curatives des yaourts. En 1919, il lance la production de yaourts qu’il vend aux pharmacies sous la marque Danone.
Chez Danone, l’idée que les aliments puissent contribuer à la santé des consommateurs n’est pas nouvelle. Cette certitude animait déjà Isaac Carasso en 1919 au moment de livrer ses premiers yaourts. Ses clients d’alors ne sont ni des épiceries ni des crémeries, mais une poignée de pharmacies !
Dans l’inconscient des Français, l’histoire de Danone est intimement liée à Antoine Riboud. N’hésitant jamais à assurer la promotion de ses produits – on se souvient de lui brandissant un Carambar au beau milieu d’une conférence de presse –, le chef d’entreprise a su transformer le groupe en champion mondial de l’agroalimentaire et imposer sa personnalité singulière.
Alors, Danone, une histoire bien française ? Tant s’en faut. L’épopée de nos yaourts favoris (1) a débuté voici plus d’un siècle bien loin des pâturages normands, de l’autre côté des Pyrénées, dans les faubourgs de Barcelone. Isaac Carasso, né à Salonique en 1874, est issu de la famille Carasso de la grande communauté juive de Salonique, alors sous domination de l’Empire ottoman, là où sa famille s’est réfugiée au XVe siècle pour échapper aux persécutions infligées à la communauté juive d’Espagne. La famille d’Isaac Carasso quitta Salonique en 1913, quelques mois après la prise de la ville par l’armée grecque.
Nous sommes alors en 1919. La Grande Guerre vient de s’achever et laisse la Catalogne dans une situation économique et sanitaire précaire. La population souffre de malnutrition et peine à lutter contre les maladies.
La situation atteint son paroxysme chez les enfants. Ébranlé et inquiet pour son fils Daniel alors âgé de 14 ans, Isaac Carasso perçoit qu’une partie de la solution se trouve peut-être dans les propriétés d’un produit inconnu en Espagne, mais populaire dans les Balkans : le yaourt.
Une entreprise au goût bulgare
Isaac a découvert cet aliment à Salonique. Il s’intéresse une première fois à sa fabrication lors d’un séjour à Lausanne, en Suisse, où il passe trois années avec sa famille avant de rejoindre Barcelone. Il y rencontre un exilé bulgare qui lui vante les vertus du produit et lui transmet la recette artisanale du yaourt.
Parvenu en Espagne, Isaac pousse ses recherches et dévore les publications d’Elie Metchnikoff. Biologiste à l’Institut Pasteur, le futur Prix Nobel a mené des travaux sur les propriétés et les bénéfices des ferments laitiers sur la santé. Isaac Carasso passe commande de ferments à l’institut Pasteur et met au point sa recette du yaourt avec l’objectif d’industrialiser la production.
Il faut un contenant pratique et résistant au transport ? Ce sera un petit pot en porcelaine. Il manque une marque pour sa jeune entreprise ? Il choisit Danone, un nom inspiré de Danon, qui signifie petit Daniel en catalan, en hommage à son fils.
Danone à la conquête de Paris
Pénalisé par l’absence de réfrigérateurs dans les foyers, Danone n’écoule que quelques milliers de pots durant les premières années de commercialisation de son nouveau produit. Présenté comme un aliment santé, le yaourt d’Isaac Carasso est vendu en pharmacie. En raison des contraintes liées à la conservation, les précieux pots sont livrés à la demande.
L’entreprise va changer de dimension avec l’implantation d’une filiale à Paris. La capitale française est alors l’une des villes les plus peuplées du monde et un terrain commercial propice.
Daniel prend les rênes de la Société Parisienne du yoghourt Danone. Il ouvre un laboratoire et une boutique rue Messager dans le XVIIIe arrondissement. Le succès est au rendez-vous. Le yaourt Danone devient rapidement la coqueluche des crémeries parisiennes.
Avec l’inauguration d’une usine flambant neuve à Levallois-Perret, les ventes de la filiale française dépassent rapidement celles réalisées en Espagne. La légende veut que Daniel ait préféré cacher ces résultats afin de ne pas faire de peine à son père.
(1) Danone arrive en 14e position du classement 2023 des entreprises préférées des Français établi par l’Ifop et Eight Advisory pour Le Journal du Dimanche.
Danone : la vie après Isaac et Daniel Carasso
Après la mort d’Isaac, en 1939, Daniel poursuit le développement de Danone, notamment aux États-Unis où il se réfugie en 1942 après l’entrée des troupes allemandes en France. Il dirige l’entreprise jusqu’en 1973 et la fusion avec BSN qui donne naissance au premier groupe agroalimentaire français.
Les années Riboud : Antoine Riboud prend les commandes du nouveau groupe. Sous sa conduite, BSN-Gervais-Danone multiplie les acquisitions et les marques (Carambar, Liebig, Lu, Belin, Vivagel, etc.), renforçant sa position dans le secteur des produits frais et s’imposant comme le numéro deux mondial du marché du biscuit. L’entreprise accélère également son développement à l’international. Le chiffre d’affaires est multiplié par trois entre 1980 et 1987. Franck Riboud succède à son père en 1996.
Recentrage : Sous sa direction, puis celle d’Emmanuel Faber à partir de 2014, Danone se recentre sur quatre secteurs clés – produits laitiers et d’origine végétale frais, eaux, nutrition infantile et nutrition médicale –, cédant au fil des années ses activités épicerie, confiserie et biscuits. En 2022, le chiffre d’affaires atteignait 27,6 milliards d’euros, pour un bénéfice net de 959 millions d’euros.
Frise : les temps forts
1874 – Naissance d’Isaac Carasso à Salonique, en Grèce.
1913 – Isaac s’installe à Lausanne où il s’initie aux secrets de la fabrication du yaourt.
1916 – Départ pour Barcelone, le berceau de la famille Carasso.
1919 – Isaac Carasso fonde la société Danone et lance la production de yaourts distribués dans les pharmacies de Barcelone.
1928 – Danone obtient un brevet pour son emblématique pot en porcelaine marron et blanc.
1929 – Daniel, le fils d’Isaac, lance la marque en France.
1937 – Lancement des Dany, les premiers yaourts aux fruits.
1939 – Isaac Carasso s’éteint le 19 avril 1939.
Par Pierre Hamonou
Merci pour ce renseignement, je l’ignorais.