Une trentaine de Franco-Israéliens, condamnés en France pour leur participation en 2008-2009 à une gigantesque fraude à la TVA sur le carbone, profitent de la lourdeur des procédures d’extradition pour vivre en Israël. « Le Monde » a enquêté sur cette communauté où l’argent, a priori, ne fait pas le bonheur.
On pourrait croire que c’est un type qui promène son chien, mais c’est un roi de l’escroquerie en cavale. Au milieu des bikinis et des joueurs de raquettes, dans les effluves d’aubergines grillées et de crème solaire, Cyril Astruc arpente la plage de Herzliya (au nord de Tel-Aviv, Israël), silhouette fine, chemise à fleurs, peau tannée et lunettes noires, malinois au bout de la laisse, dix-neuf années de prison et trois mandats d’arrêt internationaux au-dessus de la tête. S’il posait un pied dans l’Hexagone, cet homme né en France il y a cinquante ans serait « coffré » instantanément. Mais pour l’instant, il a les deux dans le sable israélien, et il promène son chien.
Le personnage est courtois, d’un abord facile, mais il décline notre demande d’entretien – « Vous comprenez que, dans ma situation, la discrétion est ma meilleure alliée » – et confie, avant de prendre congé, que les chances de le voir rentrer en France de son plein gré sont assez minces : « Je n’ai rien contre l’Etat français, je n’ai rien contre la justice française, simplement c’est compliqué de se rendre pour aller faire dix-neuf ans [de prison], je pense que vous comprenez. Dix-neuf ans, c’est quand même beaucoup. A ce prix-là, j’aurais pu commettre un assassinat. »
Cyril Astruc n’a tué personne ; la justice française se contente de lui reprocher un rôle majeur dans l’« escroquerie du siècle » : la fraude à la TVA sur le carbone qui, en quelques mois de 2008 et 2009, a permis à une poignée de carambouilleurs particulièrement dégourdis de délester le Trésor public de 1,6 milliard d’euros. L’entourloupe consistait à monter des sociétés fictives pour acheter, hors taxe et à l’étranger, des quotas de carbone, ou droits à polluer, puis à les revendre à une société française à un prix incluant la TVA, sans reverser celle-ci à l’Etat. Cyril Astruc a été jugé dans deux volets de cette arnaque, pour un montant de TVA détourné de 170 millions d’euros. Il a pris dix ans dans l’un, six dans l’autre – et trois ans dans un troisième dossier de fraude à la TVA, sur des téléphones portables cette fois – sans comparaître à ses procès.
Installé en Israël depuis les années 2000, il s’était bien rendu en France en 2014 sur convocation d’un juge d’instruction, avec l’intention de s’expliquer. Placé en détention provisoire malgré ses explications, libéré sous caution – 4 millions d’euros –, il avait assisté au premier jour de son premier procès, en mai 2017, avant de s’éclipser. Depuis, il n’a plus quitté Herzliya et sa villa avec piscine, terrain de tennis, gardien à l’entrée, salle de cinéma au sous-sol et ascenseur intérieur.
« Patrons », « pilotes » et « gérants »
Herzliya : lieu de villégiature d’entrepreneurs à succès du monde entier qui veulent leur petit bout de Beverly Hills à vingt minutes de Tel-Aviv, et lieu de résidence des ambassadeurs, des winners de la Silicon Valley locale, et donc de quelques escrocs franco-israéliens que la justice française ne désespère pas de rapatrier un jour. Dans ces rues calmes où poussent palmiers et citronniers, on devine leurs demeures extravagantes, les pelouses bien entretenues et la déco nouveau riche derrière les murs hérissés de caméras.
Au gré des promenades avec Pacho, son chien, autour du kikar, la place centrale de Herzliya, Cyril Astruc emprunte parfois Galle Tkhelet, la rue qui s’élève vers le nord en épousant la falaise. Les prix des maisons y atteignent des sommets du côté pair, celui avec vue sur la mer et coucher de soleil. En 2020, l’homme d’affaires américain Sheldon Adelson (1933-2021) a racheté, au numéro 40, la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis, en partance vers Jérusalem, pour 230 millions de shekels (58,7 millions d’euros), record d’Israël. C’est aussi dans cette rue, considérée comme la plus chère du pays, que réside, côté pair, Fabrice Touil – sept ans de prison et 68 millions d’euros de TVA détournés avec son équipe.
Son frère aîné, Richard Touil – dix ans dans un dossier, sept dans un autre, 214 millions d’euros de TVA détournés –, a choisi une maison proche du kikar, où les enseignes du boucher et du poissonnier sont en français.
A dix minutes à pied vers l’est se trouve la villa de Gérard Chetrit, dit « Gad » – huit ans de prison –, puis, encore un peu plus loin, celle d’Eric Castiel – six ans –, deux membres de l’équipe marseillaise ayant raflé 385 millions d’euros dans le volet le plus lucratif de cette escroquerie commise simultanément par plusieurs petits groupes indépendants les uns des autres. Jérémy Grinholz – six ans –, cheville ouvrière de l’équipe parisienne composée de Marco Mouly, Arnaud Mimran et Samy Souied, immortalisée dans un documentaire Netflix et responsable d’un casse à 283 millions d’euros, habite de l’autre côté de l’autoroute, dans la partie moins chic de Herzliya.
Mike Touil – cinq ans –, petit frère des deux autres, vient, quant à lui, de faire construire sa villa dans la même rue que Cyril Astruc. Mais les deux hommes ne risquent pas de se croiser ces temps-ci : depuis le 20 mars, le premier réside à Paris, au 42, rue de la Santé, dans la prison du même nom, où il a préféré venir purger les trois ans et demi qui lui restaient. « Il ne voulait pas d’une vie en cavale », précise Priscilla, son épouse, mère de ses huit enfants, à l’entrée de la villa.
Vingt-huit personnes, soit près d’un tiers des 88 déjà condamnées dans des affaires de carbone par la justice française, ont fait le choix inverse et sont considérées comme « en fuite » en Israël. Presque toutes y habitaient déjà au moment de l’escroquerie et ont séché leur procès. Six autres fugitifs, jugés en leur absence à Paris, début mai, dans l’un des derniers procès du carbone (dossier « Touch Future », 118 millions détournés), pourraient bientôt s’ajouter à cette liste de vingt-huit, au sein de laquelle figurent des « patrons » de l’arnaque – qui la concevaient et la mettaient en œuvre –, des « pilotes » – chargés d’effectuer les opérations de trading à longueur de journée – et des « gérants de paille » – qui acceptaient, sans toujours savoir dans quoi ils s’embarquaient, de mettre leur nom à la tête des sociétés bidon destinées à détourner la TVA.
De Herzliya, capitale des « patrons », à Ra’anana, sa voisine plus modeste, d’Ashdod, dans le sud du pays, à Nahariya, dans le Nord, en passant par Tel-Aviv et Netanya, qu’ils logent dans des villas d’architecte, des tours sans charme ou de petits immeubles décrépits, la Terre promise est aujourd’hui une terre d’asile pour ces exilés du carbone.
Le mal du pays
La situation fait hurler ceux qui, en France, ont passé leurs nuits sur ces dossiers ultracomplexes. « On s’est cassé le cul pendant six ans à rassembler des preuves avec les dents contre ces mecs-là, et tout ça, c’est pour la galerie ! », s’étrangle un juge d’instruction ayant traqué les escrocs du CO2, ulcéré de constater que « les mecs se dorent à Herzliya et roulent en Porsche Cayenne ». Plus philosophe, un enquêteur des douanes judiciaires confie son « sentiment d’inachevé » et de « perte de sens » du travail colossal accompli.
Israël, contrairement à de nombreux pays, dont la France, extrade ses citoyens. Mais le manque de moyens – et de bonne volonté, selon certains – de la justice française et le niveau d’exigence – et de mauvaise volonté, selon certains – de la justice israélienne en la matière ralentissent ces procédures, déjà très lourdes.
« C’est hyper frustrant, mais je me suis habitué, en quinze ans », affirme un second juge d’instruction du CO2, désireux de rester anonyme. Au moins, se console-t-il, les fugitifs ne dorment pas tranquilles : « On est comme un grain de sable, le simple fait qu’on existe perturbe leur équilibre. On sait qu’on leur pourrit la vie quand même. » Il y a dans un coin de la tête la possibilité qu’un jour ou l’autre, sans prévenir, l’extradition finisse par leur tomber dessus.
« On a conscience qu’on fait face à une machine, reconnaît Joseph (son prénom a été changé), un patron de l’arnaque, l’un des trois exilés du carbone ayant accepté de nous parler contre la garantie de leur anonymat. Quand on va se coucher le soir, on ne sait pas ce qui va nous arriver le lendemain. » Et si ça n’est pas encore la vie entre quatre murs, les mandats d’arrêt internationaux et les « notices rouges » d’Interpol ont déjà sacrément réduit l’horizon des « CO2 », comme ils sont parfois surnommés ici.
Un temps, certains ont encore pu voyager sous la nouvelle identité qu’ils avaient prise au moment de leur alya (l’émigration vers Israël) – Alex Khann pour Cyril Astruc ou Eithan Liron pour Jérémy Grinholz, par exemple. Ce temps-là est révolu, le périmètre des escapades se limite désormais aux frontières d’Israël. Les voici coincés à l’intérieur d’un pays un peu moins grand que la Bretagne, qu’ils ne peuvent quitter sans prendre le risque de faire clignoter leur notice rouge à la première douane venue. Joseph résume : « Quand on ouvre les yeux face à la mer le matin, on peut se dire “c’est merveilleux” ou “c’est horrible, je suis enfermé ici”. Il y a deux écoles. »
Le mal du pays guette. « J’ai des frères, des oncles, des tantes, des amis en France. Je revenais deux à trois fois par an, pour les mariages, les bar-mitsva, dit Yoni – condamné à deux ans de prison –, ancien gérant de paille croisé dans un restaurant de Tel-Aviv. La France me manque énormément. La qualité de vie, la gastronomie, la gentillesse, le vouvoiement… C’est un pays magnifique. » Yoni (son prénom a été changé) y avait été arrêté pendant des vacances et placé quelques mois en détention provisoire, avant de parvenir à regagner Israël avant son procès.
Il lui reste un peu plus d’un an à purger. Pas énorme, mais déjà trop : « Je refuse de faire un jour de plus en prison. En France, la prison, quand vous êtes juif, c’est une double condamnation. » Il attend un geste de la justice française, la possibilité d’un aménagement. « Sinon, je suis foutu pour six ans », le délai au-delà duquel la peine est prescrite – en théorie seulement, car un magistrat peut réémettre des mandats d’arrêt internationaux à volonté, et le délai de six ans repart à zéro à chaque fois.
Ceux qui avaient fait leur alya il y a longtemps, par pur sionisme, avec l’intention de revenir en France pour leurs vieux jours, doivent revoir leurs plans. Et pour les habitués de la bringue à Las Vegas, Ibiza ou Monaco, la fête est finie. « Etre millionnaire et ne pas pouvoir sortir d’Israël, t’imagines ? Combien de fois tu vas aller à Eilat avec ton fric ? », ironise Yoni. Même Dubaï, resté accueillant plus longtemps que d’autres, a fermé ses portes.
« Leur grande punition »
Pour les « CO2 » qui en ont encore l’âge et l’envie, l’horizon de la flambe se limite désormais aux grands hôtels locaux, le Waldorf Astoria de Jérusalem, le Setai du lac de Tibériade, ou le Ritz-Carlton de Herzliya, où l’on rencontre Armand (son prénom a été changé), l’un des « pilotes » de l’escroquerie. « Je préfère vivre en Israël, et que tous les autres pays du monde me soient fermés, plutôt que l’inverse », assure-t-il d’emblée. Après avoir commandé un verre de sauvignon, il concède : « Le vin, c’est la seule chose de la France qui me manque. Quand vous avez été habitué au gevrey-chambertin ou au nuits-saint-georges, le vin israélien, c’est pas possible. »
« J’aimerais quand même emmener une fois ma femme faire de la plongée aux Maldives, parce que Eilat, je commence à connaître, glisse-t-il encore. La plongée avec les dauphins, je l’ai faite huit fois, c’est bon. » Quelques gorgées de sauvignon. « Je voudrais aussi l’emmener skier dans les Alpes, parce que, ici, le ski, c’est limité. » C’est comme les grands bourgognes : quand on a goûté à Courchevel et Val-Thorens, les 45 kilomètres de pistes du Hermon, seule station du pays, semblent un peu fades.
« Ils ont beaucoup d’argent, mais comment le dépenser ? Une voiture ? O.K. Deux voitures ? O.K. Et après ? Ils disent qu’ils ont la grande vie, mais ils vivent un peu terrés. Ça ne fait pas rêver », grimace notre second juge d’instruction anonyme à Paris. Il est possible d’échapper à la prison et aux confiscations, pas à l’ennui. « Ils tournent en rond, dit un avocat franco-israélien comptant plusieurs « CO2 » parmi ses clients. Leur grande punition, c’est qu’ils ne peuvent pas jouir de cet argent qu’ils ont volé. »
S’il n’y avait que l’ennui… Il y a aussi les ennuis, ceux que leur pedigree devait bien finir par attirer. Tout un tas d’invérifiables rumeurs d’extorsion circulent à leur propos : « Il s’est dit que certains avaient été rackettés par la mafia russe, poursuit l’avocat. A force de faire les kékés en Gucci et en Porsche… » Confirmation d’Armand : « Parmi les gens dont vous me parlez, 90 % ont eu des problèmes. Le sang attire les requins. »
Et puis, il y a les dégâts, bien vérifiables ceux-là, que la révélation de leur statut a causés à leurs affaires. Celles d’Eddie Abittan, par exemple, condamné dans trois dossiers de CO2 – six ans, six ans, sept ans. Les Israéliens avaient découvert son visage rond et son crâne glabre en 2019, sur le plateau du « MasterChef » local. Son épouse, Vanessa, participait à la finale ; il était au premier rang pour la soutenir, la caméra avait capté son air ravi et ses encouragements en français : « Ça sent bon, chérie, ça sent bon ! »
Une journaliste d’investigation franco-israélienne l’avait alors reconnu. La gagnante de « MasterChef » mariée avec un escroc en fuite ? Scandale ! Les banques israéliennes, refroidies par l’origine douteuse de ses fonds, l’avaient lâché alors qu’il était engagé dans un vaste projet immobilier. Eddie Abittan avait ensuite été invité à sortir du projet par ses partenaires, avec plus ou moins de délicatesse : des coups de feu visant à bien faire passer le message avaient retenti sous ses fenêtres.
Schisme chez les expatriés
« Je leur avais dit qu’ils finiraient par avoir des ennuis, se souvient un autre avocat établi entre Paris et Tel-Aviv. Ils m’avaient ri au nez. » Les voici maintenant contraints de vivre avec l’étiquette d’escrocs, dans un relatif isolement social. Ainsi, beaucoup de Français honnêtes installés à Herzliya interdisent à leur progéniture de traîner avec celle des Touil dans la cour de récré, où les insultes fusent parfois : « Ton père, c’est un voleur ! »
L’image de l’immigré français sans-gêne et parlant mal hébreu n’était déjà pas glorieuse en Israël. « L’intégration est devenue encore plus compliquée à cause de leurs conneries. On m’a déjà demandé si j’étais dans le carbone, soupire notre premier avocat, arrivé dans le pays il y a une dizaine d’années. Quand j’ai voulu ouvrir un compte, la banque m’a convoqué pour me demander ma carte d’avocat parce qu’ils avaient un doute. »
Bref, la communauté des « CO2 » – qui souvent ne travaillent pas, s’arrangent pour que leurs enfants esquivent le service militaire et ont contribué à la hausse vertigineuse de l’immobilier local en y blanchissant leurs millions – n’a pas vraiment redoré cette image aux yeux des Israéliens, qui disent avec humour, ou pas : « Depuis qu’on connaît les Français, on aime bien les Palestiniens ! »
Il ne faut d’ailleurs pas parler de « communauté », il n’y a pas d’amicale du carbone : s’ils se croisent en permanence, les « CO2 » ne peuvent pas se supporter. Les éventuels liens d’amitié entre certains n’ont pas résisté aux millions d’euros et aux années de prison, Herzliya la douce est devenue un panier de crabes. Les seconds couteaux en veulent aux patrons, avec lesquels ils partagent les mandats d’arrêt internationaux mais pas les richesses, et les patrons se tirent dans les pattes. La présence d’un journaliste du Monde a vite fait le tour du kikar : il n’a fallu que trois jours pour recevoir des appels de délateurs anonymes prêts à indiquer les adresses des uns, à raconter les coups tordus des autres.
Chacun a vécu l’après-carbone à sa manière. Certains ont eu une prise de conscience : devenus profondément religieux, ils ne commencent leur journée qu’après une heure de prière à la synagogue et une heure d’étude de la Torah. D’autres ont poursuivi, et poursuivent manifestement les arnaques – fraude aux subventions Covid-19, « arnaque au président », investissements bidon de toutes sortes vendus à des retraités en France, dans les cryptomonnaies, dans des places de parking au Portugal, dans des vaches, etc. « On retrouve des noms de personnes ou de sociétés qu’on avait vus passer dans des affaires de carbone, témoigne un avocat. Les juges Van Ruymbeke ou Daïeff auraient tilté s’ils avaient encore été dans les dossiers. »
Pourquoi persister dans l’escroquerie quand on a réalisé le casse du siècle ? Parce qu’il faut bien nourrir sa famille et que « l’argent du carbone est parti aussi vite qu’il était venu », explique Joseph : « Sur 1,6 milliard
de TVA, vous enlevez 7 % à 8 %, parce que les brokers vendaient les quotas à la baisse. Puis vous divisez 1,4 milliard par dix-douze équipes, sachant que chaque équipe, c’est dix personnes. Certes, ce sont des sommes importantes, ça permet peut-être de vivre sur plusieurs générations en Ardèche, mais pas ici. »
« Je ne vois pas de victime »
Le trait d’humour est connu : « Comment fait-on pour devenir millionnaire en Israël ? On arrive milliardaire. » La vie de pacha coûte cher : il faut payer les maisons, les voitures, les assurances, les voyages de Madame et des enfants, le gardien, le pisciniste, le jardinier. Quand, en plus, on a été ratiboisé par une caution pour sortir de détention provisoire en France – 45 millions d’euros pour l’un d’entre eux – , quand on a le vice du jeu, quand on a fait de mauvais placements ou quand on arrose les bonnes œuvres pour se racheter une conscience…
Les frères Touil sont de généreux mécènes de la synagogue du kikar, ornée en façade d’une inscription en français – « A la mémoire de Symah ben Moshe Touil », leur défunt père. « Plus personne ne vit sur la rente du C02, confirme Armand. Vous parlez d’un truc d’il y a quinze ans, c’est obsolète, il y a eu cinquante cycles d’escroqueries depuis ! Le CO2, c’est la partie émergée de l’iceberg. Si vous saviez combien de milliards sont passés entre-temps… »
Du milliard et demi qui lui a été dérobé, le Trésor public n’a récupéré que des miettes et, à entendre les escrocs ou leurs avocats, ne peut s’en prendre qu’aux magistrats français : « Si la justice avait ouvert des négociations, on se serait mis à quatre-cinq autour d’une table pour voir qui pouvait mettre combien au pot, et on réunissait 100-150 millions », promet Joseph.
Beaucoup de mots durs contre ces magistrats accusés d’être fermés au dialogue, plus intransigeants avec ces délinquants qu’avec les autres, « parce que c’est le carbone » ou pour des raisons inavouables – « Il ne vaut mieux pas être juif et être jugé dans une affaire financière en France », a dit Eric Castiel pour toute déclaration au Monde.
Un regret parfois, celui d’avoir infligé l’opprobre à ses pauvres parents ou à ses enfants. Mais de scrupules, point. « Il n’y a pas un écolier français qui a eu un stylo en moins à la rentrée ou un policier en moins dans les rues à cause du carbone, assure Armand. Je ne vois pas de victime. » La dette de la France, creusée de 1,5 milliard ? Il rigole en haussant les épaules : « C’est combien déjà, la dette de la France ? »
Sur la terrasse du Ritz-Carlton de Herzliya, avec vue sur le port de plaisance, le verre de sauvignon est vide, Armand allume un joint. Face aux voiliers, il soupire : « Avoir un bateau ici, pfff… Il n’y a pas de crique, il n’y a pas d’île, il n’y a rien, tu peux juste longer le rivage. Et si tu t’écartes de trois kilomètres, les gardes-côtes viennent voir ce qui se passe. » On croit deviner une pointe d’amertume. Au fond, tout cela valait-il vraiment le coup ? « L’argent, je l’ai perdu tout de suite. J’ai des proches qui sont morts dans des règlements de comptes à cause de cette histoire. Qu’est-ce que je retire de bien de tout ça ? »
Henri Seckel