La fille de Didier Raoult, Magali Carcopino-Tusoli, a porté plainte pour harcèlement contre Eric Chabrière, fidèle bras droit de son père. Déboutée en première instance, elle fait appel.
Voilà près de dix ans que Didier Raoult ne parle plus à sa fille, Magali Carcopino-Tusoli. En cause, une dispute familiale lors de laquelle elle a osé s’opposer à lui, et lui dire non. Un mot que l’ex-directeur de l’IHU Méditerranée infection (IHUm) souffre peu. Elle n’a jamais cédé. Lui l’a bannie de la famille. Depuis, elle l’appelle « professeur Raoult ». Elle ne porte plus son nom, mais celui de son mari, Xavier Carcopino-Tusoli.
L’affaire aurait pu rester privée. Elle a pris une autre tournure lors de la crise du Covid-19, quand Magali Carcopino-Tusoli, spécialiste en médecine vasculaire à l’hôpital Sainte-Marguerite (AP-HM), critique les études de l’IHUm sur l’hydroxychloroquine, le traitement promu par son père. Si ce dernier ne lui répond pas directement, Eric Chabrière, son fidèle bras droit chargé de la défense de l’IHUm sur les réseaux sociaux, s’en charge. Sur Twitter, il interpelle avec véhémence tous les critiques de l’hydroxychloroquine, sans exception, pas même pour la fille de son patron. Face à la violence des attaques, Magali Carcopino-Tusoli et son mari portent plainte pour diffamation et injures publiques. Ils accusent Eric Chabrière d’être derrière le compte Twitter « Le professionnel », l’un des plus orduriers et menaçants.
Au terme d’un intense procès qui s’est terminé le 5 mai, le tribunal correctionnel de Marseille a prononcé la relaxe. Là encore, pas question de céder. Dans un long entretien accordé à L’Express, Magali Carcopino-Tusoli indique faire appel de la décision. Elle explique, aussi, pourquoi elle ne renoncera jamais à son combat contre le harcèlement et les mensonges, ni à celui en faveur de la rigueur scientifique, malgré le prix à payer.
L’Express : Comment avez-vous accueilli le verdict ?
Magali Carcopino-Tusoli : La stratégie de notre plainte consistait à démontrer que M. Chabrière ne se contentait pas de repartager, avec son compte Twitter personnel, les messages insultants du « Professionnel », mais qu’il en était aussi l’auteur. Nous avons apporté la preuve, fournie par Twitter, que le numéro de téléphone associé à ce compte est le même que celui de M. Chabrière. Son avocat a argué que ce numéro est public et que n’importe qui pouvait l’utiliser. La juge a estimé qu’un doute persistait et qu’il devait bénéficier à l’accusé, d’où la relaxe.
Lorsqu’un numéro est associé à un compte Twitter, ne faut-il pas posséder le téléphone pour accéder au compte ? L’utilisateur du compte Le Professionnel n’avait-il pas forcément accès au téléphone de M. Chabrière ?
Effectivement. Et nous avons aussi montré que le compte personnel de M. Chabrière et celui du Professionnel avaient la même adresse Internet. On peut, encore, rappeler qu’il a retweeté tous les tweets insultants et diffamants du Professionnel. La question que la juge s’est posée, et qui répondait à notre plainte, était : « Est-il sûr à 100 % qu’Eric Chabrière est derrière ce compte ? ». Sa réponse a été négative. Je pense qu’une condamnation aurait constitué un message fort à destination de ceux qui subissent du cyberharcèlement. Même si ce verdict est dur, il s’agit d’une décision de la justice. Il faut la respecter. Et puis ce jugement ne nous donne pas tort sur le fond du harcèlement. Il indique que nous n’avons pas apporté les preuves suffisantes. Nous prenons donc la décision, avec notre avocat, de faire appel.
Pourquoi avoir dénoncé les études de votre père et de l’IHUm et pris part au débat explosif autour de l’hydroxychloroquine ?
Au début, quand j’ai regardé sa présentation YouTube « Covid-19, fin de partie » (publiée en février 2020), j’ai cru au potentiel de l’hydroxychloroquine. Mais lorsque j’ai lu la première étude de l’IHUm, j’ai vu que ces travaux ne prouvaient absolument rien. J’en ai parlé à des collègues et des proches. On m’a rétorqué que mon analyse était influencée par ma relation avec le Pr. Raoult. J’étais un peu seule à Marseille, alors que des scientifiques, chercheurs et spécialistes du sujet formulaient aussi des critiques.
Ma position m’a valu les attaques d’un « microcosme Twitter » pro-hydroxychloroquine, composé de nombreux anonymes n’ayant bien souvent aucune compétence scientifique, qui ne comprennent rien à ces études et sont persuadés que les critiques sont le fruit de lobbies ou de complots. Eric Chabrière en était un membre particulièrement actif. Les attaques étaient virulentes, mais j’ai décidé de ne pas me taire, de dénoncer ce harcèlement. Aujourd’hui, on sait que ce traitement ne fonctionne pas. Nous avons tous été déçus que ce ne soit pas le cas, mais c’est comme ça.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir critiqué l’IHUm par opposition envers votre père, voire par détestation ?
Je crois que beaucoup de gens ne savent pas qu’il est possible de pas avoir un raisonnement uniquement binaire – aimer ou détester – et qu’on peut réfléchir et critiquer autrement qu’avec des biais haineux. Non, je ne déteste pas le Pr. Raoult. Cela fait plus de dix ans que nous ne nous parlons plus et, aujourd’hui, j’ai de la peine pour lui. Il se rêvait prix Nobel, il est devenu le leader des complotistes et des antivax.
Pour quelle raison ?
Il n’a jamais supporté la contradiction. Il est impossible de survivre avec lui si on n’est pas d’accord sur tout. Ce comportement l’a poussé à s’isoler, à se couper de toute critique et à s’enfermer à l’intérieur d’une sphère d’adoration. Il est entré dans un cercle vicieux et supporte uniquement les personnes qui se prosternent devant lui. Ma vie d’avant appartenait à ma famille, jusqu’à ce que je décide qu’elle m’appartenait. J’ai eu la chance de pouvoir m’éloigner de lui, notamment grâce à mon mari, ce qui m’a permis de comprendre que les demandes et exigences de ma famille étaient déraisonnables. Sa réponse a été de me dire : « Je ne veux plus jamais te voir ». Bien sûr, ça a été violent. Mais je ne le regrette pas. Ce n’est pas possible de vivre avec des gens qui ont à ce point ce désir de posséder les autres.
Dans son dernier ouvrage, Autobiographie (ed. Michel Lafon) votre père n’a pas un mot pour vous. Il félicite en revanche M. Chabrière et tous ceux qui ont pris sa défense sur Internet. Il les compare aux résistants de la Seconde Guerre mondiale.
Son livre, que j’ai lu, révèle ses frustrations et ses mensonges. Il distribue les bons et mauvais points à ses collaborateurs, souligne leurs échecs, leur rappelle qu’ils lui doivent tout. C’est très pervers. Il y a aussi tous ces passages sur la « mythologie familiale » dans laquelle j’ai grandi, mais que j’ai eu l’occasion de déconstruire. Lui continue d’inventer toute une partie de sa vie. Quant au fait qu’il revendique le passé résistant de notre famille et qu’il prête ces valeurs aux harceleurs, cela m’a choqué. Je me suis dit « tu n’as pas dû bien écouter papy ». Et puis il met totalement de côté le rôle de ma grand-mère. Il raconte même sa vie privée et sexuelle. Écrire ça, alors qu’il m’a toujours dit « fais honneur à ton père et ta mère », ça m’a mise en colère.
Ces combats contre l’IHUm, en faveur des vaccins et de la méthode scientifique vous ont rapporté davantage de coups qu’autre chose. Qu’est-ce qui vous motive ?
Mon histoire familiale a aussi de bons côtés. J’ai passé beaucoup de temps avec ma grand-mère. Ses histoires et ses valeurs résistantes m’ont énormément inspiré. Elle m’a transmis cette volonté de ne jamais se laisser faire, de dire les choses même si on prend des coups. Je l’ai fait avec ma famille, dans ma carrière professionnelle et pour défendre la science. Et puis mon travail au Centre hospitalier universitaire (CHU) implique aussi une mission de service public – que je prends très au sérieux – qui consiste notamment à ne pas laisser passer les fake news médicales, à ne pas tolérer que des personnes exerçant des responsabilités dans des structures de soins disent des énormités.
Bien sûr, le procès contre M. Chabrière était éprouvant. Il m’a néanmoins permis de dire ce que j’avais à dire : de dénoncer la haine sur les réseaux sociaux et souligner les dégâts qu’elle provoque, rappeler qu’il faut remettre la science au centre de ces débats, que l’hydroxychloroquine ne fonctionne pas contre le Covid-19, que les études de l’IHUm sont mauvaises, que le vaccin est utile. Je ne regrette pas ce combat, je sais que ma démarche était nécessaire et j’espère que cela poussera d’autres personnes à prendre la parole. Le message que je veux faire passer, ce n’est pas celui de « la fille de Raoult », mais du médecin qui ne doit pas tolérer les mensonges, les diffamations et les insultes.
Peu d’instances universitaires et scientifiques ont eu le courage de dénoncer publiquement les dérives de leurs membres. Ne vous êtes-vous pas sentie isolée ?
Je regrette que l’université de Marseille n’ait pas pris position. Il aurait été souhaitable qu’elle publie ne serait-ce qu’un communiqué nominatif signifiant à Didier Raoult ou Éric Chabrière qu’on ne répond pas aux critiques scientifiques par l’invective, que le harcèlement n’est pas toléré, ni les propos antivaccins. Rappeler que l’université est un lieu où on apprend la bonne science et la bonne médecine aurait pu rassurer le grand public et les étudiants. Malheureusement, la faculté n’a même pas pris le temps de rédiger un tweet.
Je rappelle aussi que les personnels des CHU sont tenus de suivre les directives du ministère de la Santé [M. Chabrière est biochimiste à l’hôpital de la Timone, doté du statut CHU, NDLR]. On peut ne pas être d’accord et les critiquer, mais nous y sommes tenus. Or les rappels aux membres délibérément antivax ou qui appliquent des traitements non reconnus ne sont pas faits.
De nombreux chercheurs ou professeurs antivax ou complotistes qui utilisent leur institution afin de légitimer leurs propos se trouvent encore en poste aujourd’hui. Cela vous choque-t-il ?
Cette situation donne une image désastreuse de l’université marseillaise et je le regrette profondément, car c’est là que j’ai fait mes études. N’oublions pas que M. Chabrière partage des messages appelant à la torture de ses contradicteurs sur les réseaux sociaux. Peut-être que cela va changer maintenant que le président de l’université, Eric Berton, est « tombé de sa chaise » [à la lecture de la dernière étude publiée par Didier Raoult, en mars dernier, comme l’a rapporté le journal La Provence, NDLR] ?
Pensez-vous que le nouveau directeur de l’IHUm, Pierre-Édouard Fournier, va pouvoir mettre un terme aux graves dérives de l’institut dénoncées par les rapports au vitriol de l’ANSM et l’Igas ?
Je suis affligée par ce qu’il s’est passé là-bas. Arriver à faire à ce point n’importe quoi relève, effectivement, du génie. Avec les moyens qu’ils ont, c’est un grand gâchis. Et quel exemple cela donne-t-il aux jeunes, alors que le métier de médecin, de chercheurs, est fabuleux ?
Mais je crois vraiment que M. Fournier essaye de s’émanciper du legs du Pr. Raoult. Ça ne doit pas être facile, car ça fait tellement longtemps qu’ils ont un fonctionnement complètement aberrant et qu’ils ont perdu pied. Il fait face aux écuries d’Augias. Et les adeptes du Pr. Raoult sont toujours là. Mais il y a aussi là-bas des gens bien qui veulent changer les choses.
M. Chabrière a également porté plainte contre vous. Que vous reproche-t-il ?
J’ai reçu une citation directe pour harcèlement la veille du verdict. Il est représenté par l’avocat de l’association Bon Sens [un collectif antivax et complotiste fondé par la fine fleur du complotisme français, dont Xavier Azalbert, le directeur du blog France-Soir, le Pr. Christian Perronne ou encore Silvano Trotta, partisan de la théorie selon laquelle la Lune est creuse et artificielle, NDLR]. Il me réclame 20 000 euros de dommages et intérêts. Il s’agit, évidemment, d’intimidation.