Pornographie, faits divers et politique… Après six mois de tourments, l’écrivain se confie comme rarement sur ses obsessions du moment. Entretien.
Quand tout a commencé à dérailler dans sa vie, Michel Houellebecq a interrompu ses sorties quotidiennes au Monoprix. Pas envie, pas le courage et puis, surtout, la honte, un sentiment étrange qu’il n’avait jamais ressenti au long de sa carrière d’écrivain. Il est resté terré chez lui à zapper entre Chérie 25 et Crime District, ses deux chaînes favorites. Flottant dans son immense parka en coton huilé et aux poches baillantes, chemise en jean repassée et boutonnée, l’écrivain se raconte mercredi 17 mai dans un restaurant populaire du 13e arrondissement de Paris. Il évoque à plusieurs reprises sa « vanité d’écrivain » et cette « célébrité anormale », qui l’a poussé à faire « des choses anormales ». Il pense évidemment aux mots sur les musulmans qu’il a laissé publier dans la revue Front populaire (malgré sa relecture), propos qu’il renie aujourd’hui sans sourciller. Il se flagelle aussi pour cette aventure rocambolesque et glauque qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire du porno de Houellebecq », sordide coup monté dans lequel il a, dit-il, naïvement sauté à pieds joints.
Sur la table, un petit bouquet de fleurs en plastique jouxte une planche de tapas qui sera engloutie avec méthode par un Houellebecq en pleine introspection, niant être devenu l’un de ces personnages un peu pathétiques qui hantent la plupart de ses romans. L’auteur des Particules élémentaires a expié ses turpitudes par une frénésie d’écriture qui le conduit à publier Quelques mois dans ma vie octobre 2022-mars 2023 le 25 mai (Flammarion), court récit autobiographique, drôle, sombre et sec. Dans ce rituel d’exorcisme personnel, il s’accable, espérant se dédouaner. Il veut prouver qu’il n’a pas renoncé à observer ce monde qui l’amuse et le désespère. Il évoquera sa passion pour Xavier Dupont de Ligonnès, sa tentative infructueuse de rencontrer le terroriste norvégien Anders Behring Breivik, son indulgence pour Macron, sa détestation de Mélenchon, son admiration pour les écrits d’Emmanuel Carrère, dont il envie L’Adversaire et son envie de déménager loin de Paris. Confessions d’un homme tourmenté.
Le Point : Vous invoquez la bêtise dès les premières pages de votre livre, notamment vos déclarations sur les musulmans publiées dans la revue Front populaire en novembre dernier. Avec le recul, comment expliquez-vous ce moment ?
Michel Houellebecq : Je pense de plus en plus que le problème n’est pas l’islam, c’est la délinquance. Les délinquants le sont parce que leur nature les porte vers le mal et, lorsqu’ils s’engagent dans le djihad, c’est pour pouvoir faire encore plus de mal, l’islam n’est qu’un prétexte. Ils peuvent avoir accès à des armes sérieuses, introuvables en banlieue, ils peuvent torturer et décapiter, ils sont heureux. J’ai beaucoup aimé le livre d’Emmanuel Carrère, V13, dans lequel on perçoit clairement que les terroristes ne sont pas si pieux que ça. J’avais déjà pressenti que la piété salafiste ne conduit pas au terrorisme avec mon voisin pakistanais en Irlande, qui était un rigoriste, certes, mais qui avait été réellement horrifié par le 11 Septembre. Pascal, qui était pourtant un vrai chrétien, le disait déjà : la religion est le meilleur prétexte que les gens ont trouvé pour s’entretuer en toute bonne conscience.
Avez-vous donc changé sur la question de l’islam ?
Oui, j’ai été pris dans une bêtise collective, il y a tout un discours qui s’est développé sur un lien entre islam et délinquance qui est simplement faux. La pratique assidue d’une religion, quelle qu’elle soit, ne conduit pas à la délinquance, ce sont deux chemins de vie radicalement divergents. Par ailleurs, la lecture du Coran m’a laissé penser que l’interprétation salafiste de l’islam, celle qui est de règle par exemple en Arabie saoudite, est la plus juste, mais qu’elle n’inclut pas l’obligation du djihad guerrier. Les choses sont séparées sur le plan géographique : il y a le domaine de l’islam, il y a le reste du monde, et l’extension du domaine de l’islam n’est pas une obligation du croyant.
Vous évoquez certains passages de la littérature ou les peintures de Picasso, qui avait sa façon de torturer les femmes, de les enlaidir.
Oui, c’est vrai que Picasso me dégoûte dans son comportement et dans sa peinture. Picasso avait vraiment envie de faire du mal aux femmes, son âme était laide. Dans la littérature, je nie qu’il y ait une opposition entre la « fleur bleue », une invention de Novalis, le plus pur des poètes romantiques, et le sexe ; les romantiques étaient des gens aux désirs forts. Gamiani, de Musset, est un récit pornographique réussi.
L’accès au porno est très facile et les gens ont de moins en moins de rapports sexuels. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a un mouvement vers l’asexualité qui avait été pressenti par Philippe Muray mais qui reste difficile à décrire, c’est insidieux et multiple. Les « hikikomoris », qui n’arrivent plus à sortir de chez eux ni à avoir un contact réel avec qui que ce soit, surtout pas avec les femmes, sont apparus au Japon, mais le phénomène a malheureusement tendance à gagner la Chine. C’est une conséquence de la modernité.
Ce n’est pas juste un retour de la pudibonderie ?
C’est vraiment difficile à démêler. Il y a de ça, mais c’est aussi une conséquence de la virtualité. Lorsque j’étais adolescent, dans les années 1970, on baisait davantage que les jeunes d’aujourd’hui. Le Covid a encore accru cette difficulté d’entrer en contact avec les gens, tout le monde arrive à la conclusion que c’est mieux de ne rien faire, finalement.
Certains affirment qu’il y a presque un nouveau séparatisme entre les hommes et les femmes.
Il y a quelque chose de ça, mais je vois une séparation plus générale entre les êtres. Interrogez des homosexuels, ils vous diront qu’aujourd’hui c’est plus dur de draguer que dans les années 1980. À terme, cette séparation générale aura des conséquences. Des populations vont disparaître pour des raisons démographiques évidentes. Ne plus se reproduire, c’est être voué à disparaître.
Est-ce la technologie qui est responsable de ces éloignements ?
La technologie a un rôle destructeur. Quand j’étais étudiant à Paris, il n’y avait bien sûr pas de portables, mais même avoir le téléphone chez soi coûtait cher, beaucoup d’étudiants n’avaient pas le téléphone. Pour voir les autres, ils passaient chez eux sans prévenir. C’est une chose qui est devenue complètement impensable aujourd’hui. Tout s’est refroidi.
Cela peut-il avoir des conséquences politiques, cet isolement… ?
Les gens votent et voteront de moins en moins. Ça m’a frappé au moment des Gilets jaunes, qui étaient censés être un mouvement de ploucs mais qui en sont arrivés à des revendications d’un certain niveau de sophistication, comme le référendum d’initiative populaire, qui dénote un vrai niveau de réflexion politique. Les rassemblements se faisaient sur les ronds-points, ce qui était une réponse à l’isolement de chacun, ce mouvement voulait vraiment dire quelque chose. Je suis d’accord avec eux, je pense qu’il faut des référendums, qu’il faut passer à la démocratie directe.
Et Macron, vous le trouvez comment ? Il va s’en sortir ?
Il est sur le départ, de toute façon. Le Rassemblement national pourrait probablement gagner si c’était Jordan Bardella ; avec Marine, ce sera plus difficile, la malédiction du nom Le Pen fonctionne toujours. Elle ferait peut-être mieux de passer la main si elle veut que son parti gagne.
Que pensez-vous du degré de violence de la société ?
Je peux insulter Mélenchon autant que vous le souhaiterez, ce type est une catastrophe. Je le tiens pour responsable, il est haineux, prétentieux et mégalomane. Il y a une seule personne sympathique chez les Insoumis, c’est François Ruffin. Je trouverais bien qu’il s’allie à Fabien Roussel, et qu’ils mettent fin au mélenchonisme. Roussel est communiste, pour lui la liberté est un concept assez lointain, mais ce n’est quand même pas Mélenchon. Il est pour le nucléaire, les sanctions contre la Russie auraient eu des conséquences moins graves si l’on n’avait pas saboté le nucléaire français.
Beaucoup de gens des classes populaires pensent que Marine Le Pen les défend mieux que la gauche…
Peut-être à juste titre. Ils ont raison de voter pour la personne qui leur paraît les défendre le mieux. Je n’ai jamais eu peur de la gauche. Le seul avantage d’être d’un milieu populaire au départ, c’est qu’on n’a pas peur de la gauche. Elle est là pour servir le peuple, et pas l’inverse. Si les communistes ne les défendent plus, ils ont raison d’abandonner les communistes.
Vous avez changé sur l’islam. Sur l’immigration aussi ?
Non. Il faut considérablement la restreindre. Il faut que les pays arrivent à se développer et qu’ils admettent que c’est maintenant principalement de leur faute s’ils n’y arrivent pas. L’organisation en nations me paraît supérieure à l’idée d’une vaste terre sans frontières. Il ne faut pas écouter les extrémistes no border, les frontières sont bonnes.
N’avez-vous pas le sentiment d’assister à un retour d’un discours marxiste « très années 1970 » ?
On n’a pas vécu les mêmes années 1970 ! Pour moi, les années 1970, ça a surtout été les Pink Floyd… Pour restituer l’esprit de ces années, mieux vaut penser à des groupes de musique. Dans mon lycée de quasi-province, il y avait quelques gauchistes, mais ils étaient très peu nombreux et ils étaient considérés comme sympathiques bien qu’un peu bizarres. Lorsqu’on s’éloignait de Paris, le gauchisme disparaissait peu à peu.
Pensez-vous que vous avez encombré vos livres d’idéologies ?
Ça m’arrive de le penser. J’aurais peut-être dû écrire des choses en mettant moins d’idées. Il m’arrive aussi de me dire que mes idées ne sont pas très intéressantes. Ce qui est intéressant, c’est l’histoire, la grâce de l’écriture, les personnages surtout. Mais c’est vrai que Balzac, porté par une énergie incroyable, mélange un peu tout, écrit tout ce qui lui passe par la tête, des frais de notaire au magnétisme… Pour ma part, j’aime le vocabulaire de la science, il est riche en beaux mots, rarement employés.
Quel livre existant auriez-vous aimé écrire ?
J’envie L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère.
On vous découvre passionné de faits divers…
J’ai été invité par un journal norvégien et j’ai émis l’idée que j’aimerais bien rencontrer Anders Breivik, ils l’ont repoussée avec indignation. Je n’ai pas insisté, mais les écrivains ont le droit de rencontrer des criminels, le résultat peut en valoir la peine… C’est quand même intéressant, Anders Breivik. Je n’ai rencontré aucun criminel, mais c’est l’un de ceux qui m’ont le plus intéressé. Breivik est vraiment étrange. J’ai réussi à lire une partie de son manifeste, qui comporte des passages vraiment curieux. Il conseille à ceux qui s’engagent dans l’action terroriste de prévoir qu’ils seront arrêtés et de ne pas hésiter à se faire un petit soin beauté avant de passer à l’action, ce que l’on appelle, je pense, un soin « coup d’éclat », pour être en valeur sur la photo de l’arrestation. Avant de se donner pour mission de chasser les musulmans de Norvège, c’était une sorte de star du hip-hop à Oslo. Je me suis dit que ça valait le coup que je le rencontre, ça m’a déçu qu’on ne m’y autorise pas, je pense que j’aurais pu faire quelque chose.
Avez-vous un criminel préféré ?
Xavier Dupont de Ligonnès… Je trouve fascinant qu’il tue toute sa famille et que le lendemain il invite au restaurant le seul fils qu’il n’a pas encore tué, et qu’il prévoit de tuer le soir même… Ce qui me plaît aussi chez lui, c’est son parcours après les meurtres. Il est complètement incohérent. Un jour il est dans un hôtel 4 étoiles, le lendemain dans un Formule 1…
Qu’est-ce qui fait qu’un fait divers devient populaire ?
Il y a beaucoup de moyens, mais il faut se distinguer, être original d’une manière ou d’une autre. Jean-Claude Romand, c’était à cause du niveau de mensonge exceptionnel sur lequel il avait construit sa vie ; le fait d’avoir tué le chien, aussi. Plus récemment, l’Algérienne dont le nom m’échappe, comme celui de la victime [affaire Lola, tuée le 14 octobre 2022 dans le 19e arrondissement de Paris ]. Une femme tortionnaire sexuelle, ça porte une horreur particulière.
Vous dites « je suis entré en enfer en janvier, je n’en suis pas sorti ». N’êtes-vous pas aussi l’instrument de votre propre malheur ?
Oui. Des gens me disent à juste titre que mes lecteurs s’en foutent que je fasse du porno, peut-être même que certains ne m’en apprécieront que davantage. Je termine mon livre avec Gérard Depardieu parce que c’est le seul qui a vraiment compris que j’étais entré dans une zone anormale à cause de la célébrité. Cela me fait réagir de manière anormale. Aux stars, on demande des choses qu’on ne demande pas à des gens normaux. Il y a des choses que je ne peux plus me permettre. Et, plus encore, il y a des choses que je ne peux plus permettre qu’on me fasse. Contrôler mon image, c’est devenu une obligation professionnelle.
Vous évoquez votre goût pour le porno amateur pendant des pages… Pensez-vous à vos lecteurs de droite, catholiques ?
Oui. J’ai toujours été en désaccord avec eux sur ce point, qui les rapproche des pires tendances du puritanisme anglo-saxon. Quand j’entends des prédicateurs déclarer aux jeunes filles que leur corps est le « temple de l’Esprit saint », ça me terrorise. Et je ne crois pas non plus que « true love waits » ; quand on aime, on a envie de tout sauf d’attendre, aimer rend déjà suffisamment timide, ce n’est vraiment pas la peine d’en rajouter avec des considérations morales hors sujet. Ils devraient cesser cette cause anti-pornographique qui n’est pas conforme aux traditions de laisser-aller du catholicisme européen – surtout en Italie, en France et en Espagne. C’est un vrai désaccord.
Depardieu, c’est une figure de paria aujourd’hui. Et vous, êtes-vous un paria ?
Non. Depardieu est menacé de devenir un paria, il est dans une situation devenue malheureusement habituelle. Les filles mentent, tout simplement. On ne peut pas avoir un désir de séduire et être un violeur en même temps, ce n’est pas compatible, Depardieu est dans le désir de séduire, je ne crois pas du tout qu’il ait violé qui que ce soit. Il me l’a dit et je le crois.
Vous définissez-vous comme un macho ?
Oui, je suis un macho romantique, tendance grunge.
Est-ce que ce qui vous est arrivé pendant ces quelques mois fait de vous un personnage de Michel Houellebecq ?
Non, je ne crois pas. J’ai peu de personnages au statut social exceptionnel. Je vis des événements anormaux liés à mon niveau de célébrité anormal. Le fait que mes organes sexuels valent potentiellement de l’argent accentue mes réserves à l’égard du libéralisme.
Que l’on puisse louer un ventre pour une GPA, ça ne vous plaît pas non plus ?
Ah non, pas du tout. Je suis pour la prostitution, mais la GPA, non. Je suis franchement contre, pour des raisons simples : il arrive que la grossesse se passe mal, l’accouchement aussi, et que ça laisse des séquelles. Mais je n’en fais pas un point de rupture comme l’euthanasie. Le stade suivant par rapport à la GPA, la vente d’organes, serait pour moi un autre point de rupture.
Vous parlez de ce livre comme d’un exorcisme. Est-ce le cas ?
Oui, je pense que ça marche. Au moins, j’ai dit ce que je pensais et ce qui m’était arrivé. Je compare ça avec mon exorcisme de la peur du cancer de la langue… qui, lui, n’a pas marché du tout, même après un livre long, dont la fin était pénible à écrire. J’ai échangé plein de mails avec un chirurgien spécialisé qui m’a envoyé des photos, des schémas. Mais j’ai toujours peur du cancer de la langue.
Ça ne vous empêche pas de fumer…
Si ! Je fume moins. Je n’ai jamais eu peur du cancer du poumon, mais le cancer de la langue, je n’aime pas l’idée.
Dans votre livre, il y a le cafard, la truie, la vipère… Et vous, quel animal seriez-vous ?
Un mouton, ou peut-être une tortue. Je suis distrait et je pense lentement.
Vous dites que vous avez besoin d’explorer les positions extrêmes avant de vous faire votre opinion. On vous découvre par moments terriblement consensuel, raisonnable, vous demandez pardon… Êtes-vous devenu centriste ?
C’est un peu vrai. Disons que je pense que Valeurs actuelles s’est mis à déraisonner à un moment donné. Outre le soutien à la candidature d’Éric Zemmour, la croisade anti-porno, ils ont commencé à exagérer à propos de l’islam. Le voile ne m’a jamais vraiment dérangé, je parle du voile ordinaire, pas de la burqa. Mais, avec le burkini, c’est devenu vraiment ridicule. On devinera sans peine que ce n’est pas mon maillot de bain favori. Mais en quoi est-ce que ça me dérange de voir des femmes en burkini à la plage ? En quoi est-ce que ça m’agresse ?
Est-ce que votre récit est anti-décadent ?
Je trouve que l’Occident a ses mérites, il les a eus, en tout cas, mais il y a un désir de mort en Occident, les mots de « culture de mort » prononcés par Jean-Paul II étaient les mots justes. Donc non, je pense que l’Occident et plus généralement la modernité sont mal partis. J’espère simplement que les successeurs conserveront certains vestiges de notre civilisation, qu’ils tiendront compte de ce qui a été accompli culturellement (et plus égoïstement qu’ils s’abstiendront de brûler mes livres). Pour l’instant, le processus est en cours, je ne vois rien qui puisse interrompre cette décadence.
Vous avancez l’idée que ne pas vouloir travailler est typique d’un moment décadent…
Oui, quand même, c’est un signe. Tout comme le fait de ne plus vouloir faire d’enfants.
Cette inflexion de votre discours sur l’islam vient-elle de votre envie d’entrer dans un dialogue avec les représentants des religions sur la question de la fin de vie ?
Cela a joué, la réconciliation était nécessaire pour communiquer. Il me fallait en finir avec ces brouilles qui me paraissent mineures par rapport à la cause de la lutte contre l’euthanasie. Il ne s’agit pas uniquement des religions monothéistes : les bouddhistes y sont hostiles, les hindouistes aussi. Le fait que toutes les traditions spirituelles soient du même avis sur la question est, je le sais bien, un argument d’autorité, mais je trouve bien arrogant le progressisme lorsqu’il rejette en bloc l’ensemble des traditions spirituelles antérieures. Je serais prêt à aller à un débat télévisé, à condition qu’il soit animé par David Pujadas. Peut-être même à affronter Raphaël Enthoven, qui est loin d’être bête, c’est un adversaire plutôt redoutable.
Quand on vous lit, il y a du désespoir, de la solitude. Lors d’un pot de fin de tournage, vous estimez que c’est votre « dernier moment de bonheur ». Vraiment ?
J’ai vécu un des plus violents contrastes de ma vie. Le tournage se passe dans l’amitié et l’harmonie. Quand j’arrive en France, je m’aperçois que le contrat que j’avais signé avec le réalisateur néerlandais est rétroactif… là, je n’avais pas du tout percuté. Je suis habitué à ne pas lire les contrats que je signe. Mais là, il m’a fallu lire plusieurs fois, puis demander à des gens compétents, avant d’admettre qu’une clause rétroactive n’était pas impensable.
Vous racontez que vos amis vous disent de ne pas accorder d’importance à ces choses, mais quelque chose s’écroule en vous, un sentiment de honte vous submerge…
Avec cette histoire de film, au début, je n’arrivais plus à aller nulle part. Je prenais l’escalier pour ne pas croiser des gens dans l’ascenseur, j’ai arrêté de faire mes courses chez Monoprix… Mon vrai contact avec le monde réel, c’est d’aller au Monoprix, j’y tiens beaucoup. Là, ça va, je retourne à Monoprix, mais il suffirait que le film sorte et ça redeviendrait infernal. Je crois que c’est ma vanité qui m’a entraîné là-dedans. Quand une fille me dit qu’elle veut coucher avec moi parce que je suis le plus grand auteur français, je trouve ça normal… Peut-être que je ne devrais pas.
Vous décrivez le porno amateur comme un don, vous parlez de « générosité ». Pourquoi ?
Par moments, je trouve ça beau, oui. On ressent de l’amour. Ce n’est pas la majorité des cas, mais il y en a. J’ai vu mes premiers pornos professionnels très tard et ça m’a dégoûté, j’ai trouvé ça nul. Pour le porno amateur, c’est autre chose, je trouve ça très bien d’en faire : ça cimente le couple et procure de bons souvenirs. Par contre, le diffuser, c’est une démarche que je ne ferais pas.
Pourtant, c’est ce que vous avez fait.
Je ne l’ai pas fait exprès. J’étais censé n’être reconnaissable dans aucun plan pornographique.
Vous parlez d’« exhibitionnistes honnêtes », qu’est-ce que c’est ?
C’est quelqu’un qui s’exhibe pour le plaisir, sans en tirer profit. J’ai décidément un problème avec le libéralisme…
Le sexe constitue-t-il vos seuls moments de bonheur ?
Non, mais je ne suis plus tout jeune, il y a beaucoup de petites souffrances physiques qui s’accumulent, et le seul moment où mon corps m’apporte vraiment du bonheur, c’est le sexe. Lorsqu’il y a de l’amour, c’est encore mieux, bien qu’une certaine sympathie puisse suffire.
C’est un cliché très féminin que de vouloir éprouver des sentiments dans le sexe…
C’est peut-être un cliché dans le cadre du désir, les femmes peuvent désirer de manière tout aussi tyrannique et arbitraire que les hommes, mais sûrement pas dans celui du plaisir. C’est étonnant à quel point on peut donner du plaisir à une femme qui vous aime, alors qu’on ne fait rien de très remarquable.
Vos amis politiques ont été présents ces derniers mois. Bruno Le Maire ?
Bruno Le Maire ne m’a pas laissé tomber. Il ne pouvait pas faire grand-chose non plus, alors il a fait comme s’il ne se passait rien de spécial.
Vous avez une formation d’ingénieur. La croissance verte, est-ce une bonne idée ?
J’ai une formation d’ingénieur agronome, spécialisé en écologie végétale. Il y a eu un scandale quand des diplômés d’Agro Paris Tech avaient dit qu’ils refusaient d’utiliser leur diplôme, qu’ils ne voulaient pas cautionner ce qui se passe… mais, en l’occurrence, ils avaient raison. Le personnage principal de Sérotonine est dans la situation à laquelle ils souhaitent échapper. Il écrit des rapports raisonnables, basés sur une formation scientifique sérieuse, et on n’en tient pas compte. L’agriculture intensive détruit la microbiologie des sols, ce productivisme est stupide et à terme suicidaire, détruire la biologie des sols les rend en réalité de moins en moins productifs.
Vous lisez quoi en ce moment ?
Je suis en train de lire un livre de Stefano Montefiori, que je recommande, j’ai appris beaucoup de choses sur l’Italie. Juste avant, je lisais Camilla Grebe, ce n’est pas mal du tout. Sinon, ma découverte la plus récente est La Sentence de John Grisham, je vous le conseille, c’est étonnant.
Vous racontez à propos de Blanche Gardin que vous n’avez pas beaucoup de choses en commun mais que vous vous êtes bien entendus. Pourquoi ?
Oh si, il y a des choses en commun. Mes grands-parents, qui m’ont élevé, votaient communiste, mais c’était un pur vote de classe, ils n’auraient pas eu l’idée de lire Marx. Mais j’ai été orienté vers la lecture de Pif plutôt que vers celle de Mickey, ce dont rétrospectivement je me réjouis. Mais je ne savais pas, avant de la rencontrer, qu’elle-même venait d’une famille communiste – des communistes intellectuels, eux, par contre.
Et vous, avez-vous visité des pays communistes ?
Oui. Ce n’était pas si mal, les pays de l’Est. Je suis allé en Pologne avant que tout ça ne se casse la gueule, je n’ai pas détesté. Les gens ne se gênaient pas pour critiquer ouvertement le régime, même en parlant avec des étrangers. Ils ne se gênaient pas pour dire que les choses étaient mal organisées, et c’est vrai que c’était objectivement très mal organisé. J’ai vu des magasins où il n’y avait qu’un ou deux produits en rayon, d’énormes piles de haricots ou de tomates en boîte. Si vous n’aimiez aucun des deux, il fallait revenir un autre jour. Ce qui est bizarre, c’est que les communistes réussissaient à produire des choses, mais pas à les distribuer. Alors que ça ne paraît pas si difficile de distribuer des choses. Dans les aspects positifs, il y avait des concerts de musique classique de très grande qualité. J’ai eu une amante russe qui m’a dit que la seule chose qui avait toujours fonctionné en Russie, même dans les pires périodes, c’était le chauffage. Jamais en panne.
Sur l’Ukraine et la Russie, pensez-vous que Macron fait ce qu’il faut ?
Oui, Macron a fait ce qu’il fallait. Il ne pouvait pas faire grand-chose, mais il l’a fait de son mieux.
Vous pensez qu’il ne faut pas livrer d’armes à l’Ukraine ?
L’Ukraine a été victime d’une agression injuste, le monde entier a-t-il pour autant le devoir de l’aider ? Je ne m’y sens personnellement pas obligé.
Ils ne sont pas décadents, eux ?
Si, au moins autant que la moyenne des pays européens. En 2022, l’indice synthétique de fécondité en Ukraine est de 1,3 – inférieur même à celui du Japon. L’Ukraine est par ailleurs le leader mondial sur le marché de la GPA.
Vous avez quitté le 13e arrondissement de Paris, ça ne vous manque pas ?
Je vais bientôt rechanger. Mon objectif est d’habiter à la campagne, je vais quitter Paris. Peut-être en Mayenne, ou dans la Manche, c’est bien la Manche. J’aime les zones océaniques, je vais plutôt essayer d’habiter par-là.
Par Valérie Toranian et Clément Pétreault