L’édition britannique se réunissait, ce lundi 15 mai, pour les annuels British Book Awards, récompenses de l’interprofession. L’écrivain Salman Rushdie, visé par une tentative d’assassinat en août 2022, a reçu un prix saluant la liberté de publier, et s’est exprimé sur les « menaces » contemporaines à l’encontre de la liberté d’expression.
Succédant à la maison HarperCollins et l’éditrice Arabella Pike, Salman Rushdie a reçu, ce lundi 15 mai, Freedom To Publish Award, au cours d’une cérémonie saluant les acteurs de l’édition britannique, organisée par la revue professionnelle The Bookseller.
La liberté d’expression « menacée »
Depuis les États-Unis, dans un appel vidéo, le lauréat s’est livré sur la situation mondiale de la liberté d’expression : « Nous vivons à une époque, je crois, où la liberté d’expression, la liberté de publication est menacée dans les pays occidentaux, à un niveau dont je n’avais pas été le témoin de toute mon existence. »
Winner of this year’s British Book Award for Freedom to Publish, @SalmanRushdie accepts his Nibbie via video message #BritishBookAwards #Nibbies pic.twitter.com/fXEV9ukQxj
— The Bookseller (@thebookseller) May 15, 2023
En matière de censure et de restriction à la liberté de création, Rushdie s’y connait pourtant. Outre la fatwa, évidemment, dont il est la victime depuis 1989 pour l’écriture de son livre Les Versets sataniques, il fut le président, entre 2004 et 2006, de l’organisation PEN America, qui lutte pour la défense de liberté d’expression dans le monde entier.
Incarnation de la volonté totalitaire — celle de la République islamique d’Iran, en l’occurrence — de maîtriser l’expression, la fatwa sur Salman Rushdie a poussé un homme à tenter d’assassiner l’auteur, le 12 août 2022.
Libertés de lire et d’écrire
Au cours de son intervention vidéo, Rushdie s’est attardé sur de récents événements portant sur la liberté de publier, mais également la liberté de lire. « Bien sûr, certaines parties du monde sont concernées par une censure persistante, comme la Russie, la Chine et aussi l’Inde, par certains aspects. Mais les pays occidentaux étaient jusqu’à récemment plutôt libres en matière d’édition », a assuré l’auteur.
« Ici, aux États-Unis, je dois assister à une attaque sans précédent envers les bibliothèques et les livres mis à disposition des enfants, dans les écoles. Une attaque envers les bibliothèques elles-mêmes. C’est particulièrement inquiétant, et nous devons y prêter attention, et nous y opposer très fermement. »
L’auteur fait bien sûr référence à la large vague de censure qui s’est abattue sur les bibliothèques publiques et scolaires américaines depuis 2021. Des parents d’élèves, des groupes de pression et des responsables politiques visent les collections d’ouvrages des établissements pour en faire retirer des titres considérés comme « grossiers », « violents », voire « pornographiques ».
En réalité, derrière ces reproches, une croisade idéologique qui cherche à dissimuler des livres évoquant les identités de genre et les relations affectives des personnes LGBTQIA+, mais aussi le racisme, le sexisme et d’autres formes de violences. Qui plus est, un certain nombre d’ouvrages visés sont signés par des auteurs afro-américains, sino-américains ou plus largement issus de la diversité…
Rushdie est enfin revenu sur les réécritures des œuvres de Roald Dahl, Ian Fleming et Agatha Christie, qui ont créé la polémique outre-Manche. À la demande des ayants droit de ces auteurs, certains de leurs textes ont été revus et corrigés, pour retirer des éléments sexistes, racistes ou susceptibles de blesser certains lecteurs. Des modifications motivées par le souhait de maintenir la pertinence commerciale de ces titres.
« Je dois dire que la simple idée que James Bond pourrait devenir politiquement correct est presque comique », a assuré l’auteur, selon The Telegraph, appelant les éditeurs à laisser les livres « venir à nous depuis leur époque, et être de leur époque et, s’ils sont trop difficiles à lire, laissez-les de côté. Lisez un autre livre, mais n’essayez pas de refaire des œuvres du passé à l’aune de nos comportements actuels. »
Au moment de la polémique autour de la réécriture des livres du Britannique Roald Dahl, Salman Rushdie s’était exprimé sur Twitter, la qualifiant de « censure idiote ». « Puffin [l’éditeur] et les ayants droit de Dahl devraient avoir honte », avait-il conclu.