Alors que Casino fait l’objet de deux offres rivales, Moez-Alexandre Zouari, qui en mène une, tend la main à l’autre candidat, Daniel Kretinsky, et juge que leurs deux offres ne sont pas incompatibles.
Dans les locaux parisiens de Teract (Gamm Vert, Jardiland), le directeur général Moez-Alexandre Zouari, tout sourire, reconnaît: « La situation est assez animée en ce moment. » Avant de s’amuser de son propre euphémisme. En quelques semaines, la reprise de Casino – géant de la distribution plombé par sa dette et ses mauvais résultats – est devenu l’un des dossiers les plus inflammables de l’économie française, scruté jusqu’à Bercy. Et Zouari est en son centre.
Le projet de Teract, entreprise issue du rapprochement entre la grosse coopérative agricole InVivo et le véhicule d’investissement de Zouari 2MX Organic (mené avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse) tenait jusqu’en avril la corde pour réorganiser Casino France. Mais Daniel Kretinsky – milliardaire tchèque à l’appétit d’ogre, d’Editis à Gala, déjà présent dans la distribution via Fnac Darty, Metro, Sainsbury – est entré dans la danse à la fin du mois, en assumant vouloir prendre le contrôle du groupe. De quoi faire monter la tension entre Kretinsky et Teract.
D’autant plus que Thierry Blandinière, président d’InVivo (l’actionnaire majoritaire de Teract), a immédiatement indiqué de son côté vouloir mettre la main sur Casino France d’ici deux à trois ans. Alors, Moez-Alexandre Zouari, lui, assure vouloir faire retomber la tension. Et remettre au centre des débats son projet industriel.
« Son projet est différent, mais pas incompatible du notre »
« On est ravis que Daniel Kretinsky se manifeste, lance celui qui a fait fortune dans les Franprix. Son projet est différent, mais pas incompatible avec le notre. » D’un côté, le projet industriel de Teract. De l’autre, le financement de Daniel Kretinsky, à hauteur de 1,1 milliard d’euros (750 millions par le milliardaire tchèque, 150 millions par Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière, 200 millions à la discrétion des autres actionnaires). L’un résoudrait le problème de la relance commerciale ; le second résoudrait partiellement celui de la dette. La partie commerciale étant – aux yeux de Teract – la clé: sans relance, le groupe ne repartirait pas de l’avant, et continuerait – comme ces dernières années – à accumuler les stratégies de désendettement, sans repartir de l’avant. Mais quelle est la nature du projet industriel de Moez-Alexandre Zouari ?
Tout part d’un constat: « Les négociations commerciales entre l’industrie agro-alimentaire et la distribution sont aujourd’hui une mascarade, tranche-t-il. Les industriels ont gagné la partie. » D’où l’option d’opter pour une concentration verticale, avec l’agro-alimentaire d’Intermarché, qui est partenaire de Teract dans le but de reprendre certains magasins Casino, les agriculteurs d’InVivo et la distribution de Casino et Intermarché.
A contre-courant des rumeurs de concentration horizontale (Carrefour/Auchan, Casino/Carrefour) qui hantent les marchés depuis des années. « Casino peut proposer une alternative à deux acteurs qui ne parlent que de prix », veut croire Moez-Alexandre Zouari, taclant implicitement Lidl et Leclerc, les champions des parts de marché. Citant son expérience d’actionnaire de référence chez Picard, il promet une montée en puissance sur les marques de distributeurs qualitatives (avec pour objectif qu’elles représentent 50% des ventes du groupe), les produits frais, et les circuits courts, grâce aux agriculteurs d’InVivo. « En 24 mois, on peut récupérer nos parts de marché, s’enflamme-t-il. Casino a le meilleur réseau de France ! » Le groupe a perdu plus de 2 points de parts de marché ces cinq dernières années, passant récemment sous la barre des 6%.
Sons discordants entre Zouari et InVivo
Le chef d’entreprise détaille son projet, schéma à l’appui. Casino France et Teract se verraient reconfigurés en deux entités: une première réunissant les activités de distribution de Teract et Casino – dirigée par Casino à hauteur de 80% -, et la seconde (dirigée par Teract) réunirait l’amont et l’approvisionnement, sous le nom de Teract Ferme France. La nouvelle mouture de Casino France hériterait d’environ 2 milliards d’euros de dettes de Casino, sur les 6 milliards actuels. Et Teract ne prendrait pas le contrôle de l’ensemble du groupe. Kretinsky pourrait donc investir ses milliards ou dans la nouvelle mouture de Casino France, ou dans le groupe Casino (comprenant CDiscount ou les activités brésiliennes du groupe), qui conserverait 4 milliards de dette. Le mandataire Marc Sénéchal (BTSG), qui devrait prendre le dossier en main dans le cadre d’une procédure de conciliation lancée par Casino à partir du 19 mai, pourrait orienter la question, en consultant les créanciers de Casino (BNP, Natixis, Crédit Agricole).
Pas de conflit en vue, donc, selon Zouari, qui veut croire en l’entente d’EP Global Commerce (Kretinsky) et Teract. D’un côté Kretinsky monte au capital (voire prend le contrôle) ; de l’autre Zouari et Teract déploient leur projet et relancent la machine commerciale. Oui mais voilà : le ciel n’est pas si bleu. Déjà, les déclarations de Thierry Blandinière (InVivo), l’actionnaire majoritaire de Teract, ne vont pas du tout dans le même sens que celles de son directeur général. Blandinière estime pouvoir prendre le contrôle de Casino France d’ici deux à trois ans. « Tout le monde ne pourra pas prendre le contrôle à la fin », soupire une source proche du dossier, jugeant faible les chances d’entente. Côté Zouari, on estime que les déclarations de Blandinière relevaient de la posture stratégique, plutôt que de la réelle prise de position.
Matthieu Pigasse et Xavier Niel en embuscade
Deuxième obstacle, le clan Kretinsky ne semble pas totalement convaincu par la proposition de Zouari. D’abord, elle pourrait constituer aux yeux du Tchèque un démantèlement du groupe, et risquerait donc de ne pas l’aider à éponger sa dette. De plus, pour le clan Kretinsky, l’urgence est avant toute chose de réinjecter de l’argent dans Casino et le désendetter. « Le vrai projet industriel, c’est nous », lance même une source proche de l’homme d’affaires tchèque, avec un brin de provocation. Si, aux yeux de Zouari, Kretinsky a besoin de lui pour relancer la machine commerciale, pour Kretinsky, sans de l’argent frais, le groupe ne peut aller de l’avant.
La question du timing est donc centrale : chacun (entre Teract et EP Global Commerce) estime que son opération est la plus urgente à mener. Enfin, Kretinsky veut s’assurer d’avoir le pouvoir au sein de Casino. Or, les déclarations contradictoires de Zouari (qui s’exprime uniquement en son nom, celui de Xavier Niel et celui de Matthieu Pigasse) et Blandinière ne simplifient pas les choses.
Mais Zouari peut justement compter sur ses deux alliés de poids, Niel et Pigasse, qui pourraient prendre goût à faire monter les enchères avec Kretinsky, leur partenaire du Monde. « Ils sont là à toutes les réunions! », sourit-il. Alors que le dossier Casino prend des airs d’imbroglio financier, celui qui est aussi patron de Stokomani veut tenter de remettre la « bienveillance » et ‘l’alimentation durable » dans la discussion. Pour cela, il mise beaucoup sur la procédure de conciliation que devrait lancer Casino autour du 19 mai. Selon un très bon connaisseur de ce genre de dossiers, le médiateur pourrait vouloir régler avec les créanciers la question de la relance industrielle avant même celle de la dette. Ce qui donnerait un coup d’avance à Zouari.
Par Guillaume Echelard