Dans sa chronique, Éliette Abécassis revient sur le désir du roi d’Égypte Ptolémée II de posséder la Torah, le livre qui raconte l’histoire du peuple juif.
Vers 260 avant J.-C., dans la grande bibliothèque d’Alexandrie, le roi Ptolémée II erre, parmi manuscrits et papyrus, accompagné par son ministre.
– Sais-tu Aristos, dit-il, que j’ai dépensé une petite fortune pour construire cette bibliothèque, recueilli des dizaines de milliers de manuscrits du monde entier, dans toutes les langues et sur tous les sujets. J’ai fait chercher par mes émissaires royaux les rouleaux jusqu’en Inde, en Perse, en Géorgie, en Arménie et à Babylone, apportés par bateaux, par chevaux, par caravanes entières. Je l’ai voulu en l’honneur de mon père qui fonda cette bibliothèque, qui aimait la culture, les arts et les lettres. Et je pense aujourd’hui posséder tous les livres écrits au monde.
– Pardonnez-moi, mon Roi, mais… de tous ces ouvrages que vous avez accumulés jusqu’à aujourd’hui et qui sont certes importants, il vous en manque un…</p><p>– Lequel ? Parle, Aristos ! Ou tais-toi à jamais
– La Torah !
– Quel est ce livre ?
– C’est le livre des juifs, ô Roi !
– Les juifs… mon père les a faits esclaves ! Je sais qu’ils sont nombreux ici à Alexandrie, depuis qu’ils ont été exilés de leur pays. Mais je ne connais pas leur histoire et je ne savais pas qu’ils possédaient un livre. Que dit-il ?
– Ce livre raconte l’histoire du peuple juif. Du commencement, jusqu’à la conquête de leur terre. Ils disent être les fils et les filles du premier homme et de la première femme, qu’ils appellent Adam et Ève. Ils pensent avoir été chassés du paradis ! Ils prétendent aussi être les descendants d’un certain Abraham qui vénère un seul Dieu. Celui-ci a transmis sa révélation à son fils Isaac puis à son petit-fils Jacob. Puis ils ont été faits esclaves en Égypte. L’un d’eux, Joseph, a été ministre ici et il a sauvé notre pays de la famine. Puis ils ont été libérés par leur prophète, Moïse, qui était aussi un prince d’Égypte. Et qui leur a donné les Dix Paroles : ce sont les lois auxquelles ils obéissent sans transiger.
– Pourquoi n’avons-nous pas ce livre, Aristos ?
– Impossible, ô Roi ! Cette Torah n’a jamais été traduite, elle n’est retranscrite que dans sa langue d’origine. Les juifs parlent grec, et beaucoup ont essayé de la transcrire en cette langue, mais c’est impossible car ils ont peur de la vengeance de leur Dieu ! Ceux qui s’y sont essayés sont morts, ils ont été frappés.
– Frappés par quoi ?
– Par tout ! La foudre, la lèpre, tétanisés parfois !
– Je veux ce livre, Aristos. Nous le ferons venir ici. Je veux la Torah ! Et je la veux traduite, pour que je puisse la lire.
– Il y a peut-être un moyen… Votre père, ô mon très grand Roi, l’immense Ptolémée Ier, les a rendus esclaves comme vous dites.
– Eh bien ?
– Peut-être pourrait-on les libérer en échange de leur livre ?
Ptolémée acquiesce à la justesse de cette proposition.
– Tu as raison, Aristos. Qu’on ordonne ceci immédiatement : toute personne qui détient un esclave ou une servante juive sera sommée de les libérer dès que j’aurai obtenu cette traduction. Et je veux aussi envoyer une contribution au temple de Jérusalem. Qu’on appelle les orfèvres, qu’ils apportent une table en or massif, ainsi que deux brocs en or, deux brocs en argent et deux coupes en or. Les ustensiles sont sertis de 5 000 pierres précieuses, qui leur donnent un éclat extraordinaire. Qu’on envoie ces présents au grand-prêtre Éléazar et aux Anciens qui siègent à Jérusalem, ainsi qu’une lettre qui dira ceci : « Je vous demande de bien vouloir m’envoyer un Séfer Torah ainsi que 72 Anciens parmi les sages de Jérusalem. »
– Que ferez-vous de ces 72 sages, ô mon Roi ?
– Je les mettrai dans 72 maisons situées sur une île isolée et calme, à un mile d’Alexandrie et ils traduiront la Torah. Chacun sera isolé dans sa demeure sur l’île et n’aura pas le droit de voir les autres. Je ne les libérerai que quand ils auront fini de traduire. Ainsi, Aristos, j’ajouterai la Torah à ma collection de livres, et on l’appellera : la Septante, à cause des 70 sages.
– Il sera fait selon votre volonté, ô Roi !
Eliette Abécassis