La réforme du système judiciaire voulue par Benyamin Netanyahou continue de polariser la société. Des manifestations tous les week-ends mobilisent des milliers de personnes, partisans et opposants. Un homme cristallise les passions: Aharon Barak, l’ancien président de la Cour suprême.
Un vieux monsieur, Aharon Barak…Un survivant de la Shoah qui a fui son ghetto, en Lituanie, caché au fond d’un sac sous des uniformes nazis. Et le voilà à 86 ans sous protection policière, car il fait l’objet de menaces.
Ce juriste de réputation mondiale est en fait l’ancien président – à la retraite – de la cour suprême israélienne. Ceux qui l’adorent voient en lui le plus grand défenseur de la démocratie en Israël, ceux qui le détestent l’accusent de terrorisme, d’être le fossoyeur de l’état juif.
Deux jours après Yom Hashoah, des gens manifestent donc devant la maison d’Aharon Barak, 86 ans ancien Président de la Cour Suprême, retraité et lui même rescapé du ghetto de Kovno aux cris de « Dommage qu’il ait survécu » et « Les allemands auraient du le tuer ». Nous allons mal.
— Noémie Issan (@noemie_issan) April 20, 2023
Car à la tête de la cour suprême, Aaron Barak a profondément modelé le système judiciaire israélien actuel, que veulent casser les partisans de la réforme portée par Benyamin Netanyahou et ses alliés, l’extrême droite et les ultraorthodoxes.
En Israel, la cour supreme est l’équivalent cumulé de notre conseil constitutionnel, de la cour de cassation et du conseil d’état. Tous les litiges d’ordre juridique qu’ils relèvent du droit civil, pénal ou privé remontent à elle. Important dans un pays comme Israël où il n’y a pas de constitution, mais des lois fondamentales.
Sous la présidence d’Aharon Barak, en 1995, dans le cadre d’un litige bancaire, la cour suprême a reconnu le statut constitutionnel au-dessus des lois ordinaires, des lois fondamentales.
A l’époque – à peine quelques jours après l’assassinat de Yitzhak Rabin – la société israélienne ne s’est pas rendue compte que cette décision était en fait une révolution judiciaire, qui allait faire de la cour suprême un puissant contrepouvoir, puisque cela permet à la cour suprême de restreindre le pouvoir de la Knesset, quand les lois qu’elle vote sont jugées contraires aux lois fondamentales, notamment en matière de droits de l’homme.
Loin d’être anodin lorsque cette cour suprême a du statuer sur des questions très sensibles comme le recours à la torture par les services secrets, la politique des assassinats ciblés, les droits fonciers des arabes israéliens, le démantèlement d’avant-postes jugés illégaux, le tracé de la barrière de sécurité.
Pour la droite et l’extrême droite israélienne, le système judiciaire dessiné par Aharon Barak est un frein à la politique menée par le Likoud. Et c’est donc ce pouvoir de la cour suprême que la réforme de la justice veut mettre à terre en diminuant les prérogatives de la Cour suprême, que l’exécutif juge politisée, au profit du Parlement.
A la retraite, Aharon Barak n’est pas pour autant « rangé des voitures ». Celui qu’on compare à Robert Badinter continue de porter sa voix, aux côtés de ceux qui estiment que la réforme de la justice risque de mener à une dérive antidémocratique.
En janvier, il s’est même dit prêt « à passer devant un peloton d’exécution » s’il le fallait pour empêcher la réforme. Fin mars, Benyamin Netanyahou a accepté de faire une pause dans le processus.
Le président d’Israël, Isaac Herzog mène des négociations depuis un mois avec des représentants du gouvernement et de l’opposition afin d’arriver à un compromis.
Pour Aharon Barak, gouvernement et opposition doivent absolument parvenir à un consensus. Esther Hayout, qui préside aujourd’hui la cour Suprême, partage la même vision que lui. Pour elle, la réforme est un coup fatal pour la démocratie israélienne. Elle aussi est menacée et vit sous protection policière.
Elle sera demain à Paris, reçue avec tous les honneurs par les présidents du conseil d’état, de la cour de cassation, et de la cour constitutionnelle français.