Dès mercredi, Christie’s met en vente plus de 700 bijoux ayant appartenu à une milliardaire autrichienne dont le mari a fait fortune avec les nazis.
Avec une collection hors norme, Christie’s s’attend à des transactions vertigineuses. Des centaines de bijoux de la milliardaire autrichienne Heidi Horten sont proposés en mai par la maison de vente aux enchères, qui les évalue à plusieurs centaines de millions d’euros. Mais des organisations et des historiens réclament la suspension des enchères, pointant les liens du mari de la propriétaire de ces lots avec les nazis. Helmut Horten a bâti sa fortune en Allemagne sous le parti Nazi dont il a été membre pendant un temps. La maison souligne de son côté que la vente devra profiter à des œuvres de charité, sans réussir à convaincre le Centre Simon Wiesenthal, spécialisé dans la traque des anciens nazis, qui s’y oppose.
« Moment historique »
La maison met en avant une collection « tout à fait extraordinaire », composée de 700 bijoux qui furent en possession d’Heidi Horten, décédée l’an passé à l’âge de 81 ans. Elle est évaluée au total entre 150 et 200 millions de dollars, a indiqué à l’AFP Rahul Kadakia, directeur international pour la joaillerie chez Christie’s, lors de la présentation des articles lundi. Les ventes seront espacées, avec des centaines de lots proposés dès ce mercredi, puis 300 autres mis en ligne en novembre.
Parmi les lots figurent des pièces exceptionnelles du XXe siècle signées Cartier, Harry Winston, Boivin et Van Cleef & Arpels, ainsi qu’une importante sélection de perles, de pièces en jade et de créations Bulgari des années 1970, 1980 et 1990. L’une des pièces maîtresses de cette collection est une bague Cartier sertie d’un rubis « sang de pigeon » de 25,59 carats, estimée entre 15 et 20 millions de dollars. « Nous avons aussi le ‘Briolette d’Inde' », un diamant de 90,36 carats « de couleur D, la plus blanche, estimé entre 10 et 15 millions de dollars », rattaché à un collier formé d’une myriade de petits diamants blancs, a-t-il ajouté.
Parmi les autres lots phares figure un collier de trois rangées de perles naturelles, avec pour fermoir un diamant rose de 11,15 carats, ainsi qu’un autre collier en or et diamants, qui possède comme pendentif une très grosse émeraude de 362,45 carats du 19e siècle. « La dernière fois que Christie’s a organisé une vente aux enchères d’un tel niveau, c’était en 2011, lorsque nous avons vendu la collection d’Elizabeth Taylor, qui a rapporté environ 145 millions de dollars en deux jours, et il y avait 400 bijoux », a fait valoir Rahul Kadakia. « C’est un moment historique pour Christie’s », avait aussi affirmé quelques jours plus tôt Anthea Peers, présidente de la région Europe, Afrique et Moyen-Orient.
Des fortunes érigées aux dépens de « Juifs désespérés, ciblés et menacés »
Selon le classement Forbes, la fortune d’Heidi Horten s’élevait à 2,9 milliards de dollars. Mais l’origine de la fortune de son mari, qui possédait l’une des principales chaînes de grands magasins en Allemagne, suscite les critiques. En 1936, trois ans après l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir, Helmut Horten avait repris la société textile Alsberg après la fuite de ses propriétaires juifs, avant de reprendre plusieurs autres magasins appartenant à des juifs avant la guerre. Il a par la suite été accusé d’avoir profité de l’« aryanisation » des biens juifs, c’est-à-dire des mesures de spoliation qui visaient à transférer la propriété d’entreprises détenues par des personnes d’origine juive.
Par ailleurs, Helmut Horten a laissé derrière lui une fondation qui porte son nom et qui a révélé dans un rapport publié en janvier 2022 par des historiens qu’elle a mandatés, que l’entrepreneur a bien été membre du parti nazi. Puis il en a été exclu, et le comité de dénazification l’a par la suite disculpé. Quant à Heidi Horten, elle a rencontré son futur mari lors de vacances avec ses parents dans un village autrichien, avant de l’épouser en 1966, selon Christie’s.
Sur son site, Christie’s souligne que «les pratiques commerciales de M. Horten pendant l’ère nazie, pendant laquelle il a acheté des entreprises juives vendues sous la contrainte, sont bien documentées». La maison de vente indique aussi que le produit de la vente ira à la Fondation Heidi Horten, créée en 2021 pour soutenir la collection éponyme, ainsi qu’à la recherche médicale, la protection de l’enfance et à d’autres activités philanthropiques que la riche héritière a soutenues pendant de nombreuses décennies. Christie’s donnera pour sa part «une contribution significative» des commissions liées à la vente à «une organisation qui fait progresser la recherche et l’éducation sur l’Holocauste».
Le Centre Simon Wiesenthal et le Comité juif américain ont appelé ces derniers jours Christie’s à suspendre la vente. « Ne récompensez pas ceux dont les familles ont pu s’enrichir grâce à des Juifs désespérés, ciblés et menacés par les nazis », a plaidé dans un communiqué le rabbin Abraham Cooper, un des responsables du centre Simon Wiesenthal.
Mais la maison d’enchères a accepté de l’organiser car « tous les produits de la vente iront à des œuvres de bienfaisance, (…) et Christie’s fait séparément un don important en faveur de la recherche et l’éducation sur l’Holocauste », a expliqué Rahul Kadakia. « Nous sommes donc convaincus qu’en fin de compte, le produit de la vente fera le bien. » Mais pour le Comité juif américain, cela ne suffit pas : à ses yeux, la vente doit être suspendue « jusqu’à ce qu’un effort sérieux soit fait pour déterminer quelle part de cette richesse est issue de victimes nazies », en vue de la restituer aux survivants et à des programmes éducatifs.