À l’occasion des 75 ans d’Israël, le président du Forum international pour la paix et la réconciliation au Moyen-Orient analyse la situation politique du pays. Face aux divisions internes, l’État d’Israël va devoir définir clairement ses valeurs constitutionnelles, affirme-t-il.
Le Forum international pour la paix et la réconciliation au Moyen-Orient est une ONG qui promeut le dialogue entre Palestiniens et Israéliens. Emmanuel Macron a confié à Ofer Bronchtein une mission en vue du rapprochement des sociétés civiles israélienne et palestinienne. L’auteur est un ancien collaborateur d’Yitzhak Rabin, premier ministre travailliste de l’État d’Israël, cosignataire des accords d’Oslo avec Yasser Arafat en 1993 et assassiné en 1995.
Quelles sont les valeurs constitutives en Israël ? Résoudre ce malaise démocratique impose de choisir. Élucider le rapport à la loi rabbinique et aux droits de l’homme, à l’occupation, à l’annexion, à la colonisation, aux discriminations, à la terre. À ce jour, Israël ne possède pas de Constitution car les Juifs ultra-orthodoxes refusent une constitution séculière. Après soixante-quinze ans d’existence, son identité ne peut être ballottée au gré des coalitions successives. Depuis des semaines, les Israéliens se divisent : qu’est-ce qu’Israël ? Un pan du pays poursuit des ambitions messianiques ou théocratiques. À ses yeux, Israël doit annexer encore, occuper davantage et discriminer plus, jusqu’à l’expulsion des Palestiniens, jusqu’à la primauté de la loi juive. Ce pan fait partie du gouvernement et, pour l’instant, la Cour suprême limite ses projets. L’autre pan manifeste pour une démocratie pluraliste et laïque. La dimension démocratique importe autant que la dimension juive d’Israël.
Le schisme israélien ne date pas du projet de réforme du système judiciaire. L’assassinat de Yitzhak Rabin en 1995 révélait déjà l’ampleur de cette fracture. Juif contre juif. L’État juif contre l’État d’Israël. La destruction du second Temple se rejoue sans cesse. Les projets extrémistes des uns abîment la judaïté des autres. Pendant trente ans, le mythe de la start-up nation et l’instabilité chronique des gouvernements ont masqué la fracture. Nous n’avions ni le temps ni le besoin d’élucider le message d’Israël au monde. Nous avons occulté la question palestinienne, la question religieuse, la question démocratique. Nous avons laissé aux gouvernements successifs le soin de choisir, l’occupation, la colonisation, la normalisation, la croissance, la puissance. Désormais, grâce aux accords électoraux passés avec Netanyahou, les partis extrémistes et messianiques font partie du gouvernement.
Cette partie de l’exécutif est en faillite morale, elle n’attend pas la réforme pour imposer sa vision suicidaire. Le Parlement vient d’approuver une loi temporaire permettant à la police de chercher des armes illégales, sans mandat de perquisition. Parmi leurs projets, la légalisation de la peine de mort, le droit des élus à financer des dépenses légales ou médicales par des dons privés, l’élévation des tribunaux rabbiniques au statut des tribunaux civils. La réforme permettrait à la coalition d’intégrer aux lois fondamentales israéliennes les dogmes religieux et ses projets d’annexion. Le fantasme théocratique et séparatiste de ce gouvernement définira-t-il un jour Israël ?
Les alliés d’Israël s’en inquiètent déjà, les États-Unis en tête. Joe Biden n’invitera pas le Premier ministre israélien à Washington tout de suite. La normalisation d’Israël reposait sur la marginalisation de la question palestinienne et la formation d’un axe uni avec les pays arabes contre l’Iran. Le front israélo-arabe contre l’Iran titube depuis l’accord entre la République islamique et l’Arabie saoudite, d’autant plus que l’annexion d’une partie des territoires palestiniens est au cœur des ambitions du gouvernement actuel. Les pays arabes ne peuvent plus l’ignorer ni l’admettre.
Après la normalisation, Israël risque d’entrer dans l’ère de la marginalisation internationale. La fuite des capitaux à l’annonce de la réforme a révélé aux partenaires d’Israël sa fragilité économique. La «start-up nation» risque de devenir la «no way nation». Jusqu’à maintenant, le soutien des États de droit à Israël reposait avec peine sur l’existence d’une presse libre et d’un système judiciaire quasi-indépendant. D’une société civile pétillante aussi, les manifestations en sont la preuve.
Israël fête ses soixante-quinze ans. L’heure de la réforme est venue, l’heure du choix du message d’Israël au monde. Israël sera une démocratie juive libérale, fondée, sur des valeurs universelles, le droit international et les droits de l’homme, respectant le droit de minorités, ceux des Palestiniens à la liberté, la dignité et l’indépendance, ou Israël sera le foyer des fondamentalistes et des colons seulement.
Par Ofer Bronchtein