Peu d’hommes peuvent évoquer la Seconde Guerre mondiale, la question juive, les nazis, la repentance ou la réconciliation comme Serge Klarsfeld. Il sera à Vichy le 24 avril, pour une longue et riche séquence mémorielle.
Serge Klarsfeld a connu le mal. Il l’a regardé dans les yeux. Il l’a pourchassé, même, avec son épouse Beate. Pas pour se faire justice, mais pour que justice soit rendue. À 87 ans, l’homme incarne plus que quiconque la noblesse d’un combat face auquel il n’a jamais baissé les armes.
Après une rencontre historique avec Emmanuel Macron, le 8 décembre 2021, après un premier colloque organisé, en août 2022, sur « Les rafles de l’été 1942 en zone libre », l’avocat et historien sera de retour à Vichy, la semaine prochaine, pour une nouvelle séquence mémorielle où, entre autres événements marquants, il évoquera « Les temps forts de l’année 1943 en France pour les juifs ». Un moment essentiel. Interview.
Vichy a été le symbole des heures sombre, elle peut être aujourd’hui un symbole de réconciliation??
Pendant longtemps, Vichy a voulu faire comme si rien ne s’était passé. Aujourd’hui elle a la vision de ce qu’a été son destin et elle veut coller à ce destin.
Pourquoi avoir choisi pour thème « Les temps forts de l’année 1943 en France pour les juifs »??
Cette année 1943 montre une diminution sensible du nombre de déportations. On passe de 43.000 en 1942 à 17.000 en 1943. C’est terrible, mais c’est beaucoup moins. Il y a eu une réaction de l’opinion française, notamment en zone libre, et de l’Église en particulier, qui ont condamné les mesures antijuifs.
Ces deux événements sont très importants. La protection italienne a permis de gagner plusieurs mois dans le déroulement de la solution finale. Pendant ce temps-là, la Gestapo a limité le nombre de ses rafles. Quant à la dénaturalisation, pendant que la Gestapo essayait de l’obtenir, elle ne s’est pas concentrée sur les rafles et le nombre des juifs arrêtés en 1943 est tombé en onze semaines.
Et puis il y a le côté plus lumineux de la protection que les organisations et les familles juives ont trouvé dans la population française pour placer leurs enfants. Je le rappelle depuis plus de quarante ans, les enfants juifs ont été protégés en France plus que dans aucun autre pays.
Que s’est-il passé, en 1943, qui a permis d’opérer ce basculement??
Lors des grandes rafles de 1942, on a arrêté les juifs dans les villes, les villages, les hameaux, donc les Français de la base ont vu qu’on arrêtait des hommes, mais aussi des femmes, des enfants et des gens âgés. La thèse officielle que c’était pour le travail ne passait plus. Et on les arrêtait dans des conditions de brutalité qui étaient telles qu’on se doutait du sort qui leur était réservé.
Il y avait aussi des informations diffusées dans la presse américaine, anglaise, des pays neutres, qui faisaient état de la mort massive, brutale, des juifs en Europe de l’Est. L’envoi vers l’Est des juifs étrangers réfugiés en France laissait présager qu’ils connaîtraient le même sort que ceux dont on parlait dans ces journaux. La lettre que le consistoire avait adressée, à la veille de la grande rafle de la zone libre à Pétain, Laval et à d’autres ministres et officiels, disait bien que ce n’était pas pour les ramener dans leur pays d’origine, mais que c’était une extermination systématique, les mots sont bien indiqués.
Donc les Français ne se faisaient pas trop d’illusion sur le sort des juifs et ne pensaient pas qu’ils allaient être traités comme des prisonniers de guerre. Ils ont alors considéré que c’était une atteinte à la tradition française de droit d’asile et de protection des droits de l’homme et spontanément ils ont réagi. Et cela pendant les victoires allemandes.
Car nous sommes à l’été 1942, les Allemands avancent vers Stalingrad, ils avancent vers Le Caire. C’est une période de victoire. Aucune population en Europe n’a réagi comme la population française.
Ils ont au contraire réagi et c’est grâce à eux que le gouvernement de Pétain a freiné sa collaboration qui aurait pu non seulement continuer, mais s’accélérer. Il ne faut pas oublier que quand cette réaction française a eu lieu, les Allemands demandaient un train par jour, entre le 15 septembre et le 31 octobre, c’est-à-dire 45.000 juifs de plus.
La police savait très bien où ils se trouvaient, ils étaient recensés. C’est véritablement le barrage des grands prélats de l’Église catholique, du chef de l’Église réformée et la base de la population française qui ont fait reculer le gouvernement.
Un Juste sera reconnu à Vichy le 24 avril. Cela fait écho à ce courage de la population française.
C’est aussi en quelque sorte la réhabilitation de la population française. Pendant très longtemps, on a dit : « Les Français ont dénoncé les juifs. » Moi, j’ai montré que c’était le recensement. C’est un long, long combat pour montrer ce qu’il s’est véritablement passé en France.
Ce qu’il s’est passé, c’est que le gouvernement Pétain/Laval a contribué à la solution finale en arrêtant les juifs pour le compte des Allemands. Mais la population et les élites spirituelles se sont dressées contre ça. Les Justes, ce ne sont pas simplement les 3.000 ou 4.000 juifs dont on a les dossiers à Jérusalem. C’est une multitude de Justes.
240.000 juifs ont été sauvés. On ne fait pas ça avec 4.000 Justes, mais avec d’innombrables gestes de solidarité, les gens qui ont fermé les yeux, ceux qui ont tendu la main. Beaucoup d’enfants et d’adultes de l’époque ont écrit leurs mémoires et on voit qu’il y a une chaîne de solidarité, une chaîne qui n’est pas organisée. Ce ne sont pas les mouvements de résistance qui ont sauvé les juifs, c’est la population française.
Matthieu Perrinaud
Le programme de la semaine du 24 au 30 avril
Lundi 24 avril. Remise, à titre posthume, de la médaille des Justes parmi les nations au bénéfice d’Étienne Espinel, ancien buraliste à Vichy, à 14 heures, dans le salon d’honneur de l’hôtel de ville.
Mardi 25. Signature de la convention de partenariat avec le Mémorial de la Shoah, à 17h30, à la médiathèque Valery-Larbaud.
Mercredi 26. De 10 heures à 18 heures, au palais des congrès de Vichy, colloque « Les temps forts pour les juifs de l’année 1943 en France », présidé par Serge Klarsfeld, avec de nombreux historiens spécialistes de la Shoah, comme Alexandre Doulut, Tal Bruttmann, Robert Mencherini, Aline Fryszman, Katy Hazan…
Exposition « Les juifs de France en 1943 », réalisée par Serge Klarsfeld.
À 12h30, Inauguration de la nouvelle dénomination du pont Jacques-Chirac, en présence de Claude Chirac, de Frédéric Salat-Baroux, ancien secrétaire général de l’Élysée, et de Serge Klarsfeld.
Samedi 29. Office à 11h30 à la synagogue; messe à 18 heures en l’église Jeanne-d’Arc, dans le cadre du 78e anniversaire de la Journée nationale de la Déportation.
Dimanche 30. Cérémonie au monument aux morts, à 10h30, square du Maréchal-Leclerc, dans le cadre du 78e anniversaire de la Journée nationale de la Déportation.
Du 25 avril au 17 mai. Exposition « Les Justes de France », réalisée par le Mémorial de la Shoah, à la médiathèque Valery-Larbaud.