Sous un auvent de bois près du Goush Etzion, des commensaux improbables partagent un repas organisé par l’association Shorashim-Joudour (« Racines » en hébreu et en arabe). On y célèbre un Palestinien ayant secouru un couple de juifs attaqué à coup de pierres devant chez lui.
L’endroit, dans ce territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, offre un espace de dialogue rare entre Palestiniens et Israéliens alors que le conflit qui déchire les deux peuples semble aspiré dans une nouvelle spirale de violences depuis janvier.
Pour ce quatrième « iftar » organisé par l’association cette année, les plats palestiniens traditionnels ont été préparés sous contrôle rabbinique pour que les juifs pratiquants puissent y goûter sans crainte.
Sur le mur vert au-dessus du buffet, un hadith (parole attribuée à Mahomet et consignée dans la tradition islamique) peint en arabe et en hébreu rappelle que le vrai croyant aime son prochain.
On trouve là des habitants de colonies juives voisines, pourtant considérées comme illégales par l’ONU, quelques Palestiniens des environs et de plus loin, un militant juif d’extrême-droite, un parachutiste israélien en uniforme, des militants de gauche venus du Goush Etzion ou d’Israël… une cinquantaine de personnes en tout.
La peur de passer pour un « traître »
Les Israéliens sont largement plus nombreux que les Palestiniens, et manifestement plus à l’aise. Habitant Jérusalem, Alaa, un Palestinien de 25 ans, n’était encore jamais venu. Il confie à l’AFP ne pas se sentir « très à l’aise avec les personnes qui [sont] ici ».Si des Palestiniens « découvrent plus tard que je me suis assis à la même table qu’un soldat israélien […] alors il pourrait m’arriver quelque chose de dangereux », dit-il, évoquant le risque de passer pour un « traître ».
Il y a des « résistances » des deux bords à ce qui se passe ici, reconnaît Shaul Judelman, codirecteur israélien de Shorashim-Joudour, en notant le grand nombre de ceux pour qui, côté israélien, « le simple fait de parler au camp d’en face est une […] trahison ».
A la différence des autres Palestiniens, qui s’arrangent pour n’apparaître sur aucune photo, l’invité d’honneur de la soirée, Mohammed, se prête au jeu de bonne grâce. Agé de 33 ans, cet habitant d’une petite ville palestinienne plus au sud travaille dans la construction en Israël.
Il raconte comment il est venu très naturellement en aide à un jeune couple d’Israéliens attaqués par des lanceurs de pierres devant sa maison, les abritant chez lui « jusqu’à ce que l’armée [israélienne] vienne les chercher ». Les Palestiniens ne veulent « pas la guerre, mais seulement la paix », assure-t-il.
Yaakov, le père de l’homme qu’il a aidé, est venu lui aussi, « pour remercier [celui] qui a sauvé [son] fils ». Secouriste au Magen David Adom, l’équivalent israélien de la Croix-Rouge, il dit avoir « souvent l’occasion de côtoyer des Palestiniens » dans son travail, « mais c’est la première fois qu'[il vient] à une rencontre de Shorashim », et il « pense que les rencontres de ce genre peuvent contribuer à changer la situation ».
« Nouveau discours »
Avant le repas, juifs et musulmans ont prié séparément mais le dîner fini, un rabbin lit en hébreu une prière, traduite en arabe par l’hôte des lieux, Khaled Abou Awad, codirecteur palestinien de l’association.
« Nous sommes un groupe qui veut mettre un terme à la violence et à la haine entre ces deux peuples afin de trouver un moyen de coexister sur cette terre sainte », et ces repas permettent de créer une atmosphère « d’amour et de respect », explique-t-il.
La famille de M. Abou Awad a payé un lourd tribut au conflit : deux de ses frères ont été tués, sa mère, un autre de ses frères et son fils ont été détenus dans les prisons israéliennes. Le combat de Shorashim-Joudour est non-violent et vise à la reconnaissance de l’autre dans ses droits et sa différence par le dialogue. Créée il y a neuf ans, l’association organise des cours de religion pour que juifs et musulmans apprennent à comprendre la foi de l’autre, ainsi que des actions de solidarité entre ses membres.
M. Judelman plaide la nécessité d’un « nouveau discours sur le conflit », et note que « 99% des Palestiniens ne nous attaquent pas ». « La plupart des Israéliens et des Palestiniens sont des gens bons et modérés, dit M. Abou Awad, et nous devons leur donner l’occasion de montrer que leurs idées peuvent faire advenir la paix, contrairement à l’extrémisme, la vengeance, et la violence ».